LA MAISON D’A CÔTE

 

Lisa Gardner

2010, Albin Michel, 418 pages

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Banlieue de Boston. Sandra et Jason Jones sont mariés depuis cinq ans. Ils ont une petite fille, Clarissa, surnommée Ree, âgée de quatre ans.

Sandra est professeur dans un collège, le jour.  Jason est journaliste, il travaille plus spécifiquement la nuit. Ainsi, ils peuvent se relayer pour élever leur fille. De l’extérieur, tout semble normal dans leur vie, lorsque Sandra disparaît. Jason rentre chez lui une nuit après son travail, tout est fermé, mais Sandra a disparu. Ree est sans doute le seul témoin de sa disparition.

L’inspectrice fétiche de Lisa Gardner, DD Warren, va essayer de faire la lumière sur cette disparition dans une maison digne de Fort Knox – « Des verrous à double entrée, murmura DD. Pas de caméra. Je me demande si ce dispositif vise à empêcher quelqu’un d’entrer ou de sortir. ». Elle se retrouve confrontée au mari, mutique, dont le seul but semble être de protéger sa fille, mais pas de chercher sa femme. « Fascinant, non ? Quoi, sa femme se volatilise au milieu de la nuit en laissant sa fille seule à la maison et, loin de coopérer ou de nous poser la moindre question logique sur nos démarches pour retrouver sa femme, Jason Jones reste assis dans son canapé aussi muet qu’une carpe. » Et bien évidemment, il est le suspect tout trouvé, puisque le plus proche de Sandra.

Mais un délinquant sexuel, Aidan, habite également à proximité. Il suit un programme d’insertion, il travaille, mais ne serait-il pas impliqué ? D’ailleurs, lui-même détecte très vite la présence de la police, avant même que l’affaire ne soit dévoilée au grand public : « J’ai jeté un œil par la petite fenêtre au-dessus de l’évier et il était là, dans un joli cadre de dentelle renaissance : individu de sexe masculin, blanc, environ un mètre soixante-quinze, un mètre quatre-vingts, cheveux  bruns, yeux marron, qui marchait à grandes enjambées sur le trottoir d’en face en direction du sud. Il portait un pantalon de coutil sans plis, une veste sport dans le genre tweed et une chemise bleue à col boutonné. Des chaussures de cuir brun cirées avec d’épaisses semelles en caoutchouc noir. Dans sa main droite, un petit carnet à spirale.

Un flic . (…) Enquête de voisinage. Les flics font une enquête de voisinage dans la rue. Et ils viennent du nord. Donc il s’est passé quelque chose, probablement dans cette rue, un peu plus au nord. (…)

Les flics vont venir me chercher. Tôt ou tard. A deux, à trois, avec toute une équipe d’intervention, ils convergeront vers ma porte. C’est pour ça que les gens comme moi existent. Parce que chaque quartier doit avoir un mouton noir et on peut faire autant qu’on veut comme si tout était normal, ça n’y changera rien. »

Ce thriller de Lisa Gardner relate l’enquête de police au travers des attitudes et agissements de Jason et Aidan notamment, avec une alternance d’un récit par Sara de sa propre vie avant son mariage et durant son mariage, de ses interrogations sur ce qu’est une famille.

Lisa Gardner est toujours aussi habile à faire monter la tension, nous baladant de suspect en suspect, montrant aussi l’empathie de son enquêtrice vis-à-vis de la petite fille qui souhaite avant tout retrouver sa maman, son ambivalence concernant l’implication du mari ou du délinquant dans l’affaire, les difficultés à faire jaillir la vérité au milieu de tous les mensonges.

Si je devais sous-titrer ce livre, cela pourrait d’ailleurs donner : « Où l’on découvre que la vie d’une petite famille bien rangée est peut-être plus compliquée qu’il n’y paraît, que les mensonges peuvent être le socle de l’unité familiale ». Mais quelle valeur ces mensonges ont-ils vraiment au regard de la disparition de Sandra ? En sont-ils la cause ?

Un livre très documenté sur les procédures concernant le suivi des délinquants sexuels au sein de la société aux Etats-Unis, et sur les traces informatiques que nous laissons sur tout appareil connecté… Je recommande donc ce bon polar qui pourra vous faire douter de votre voisin si gentil et serviable… Et  d’ailleurs, je crois que je vais arrêter là, on ne sait jamais… !

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LE LISEUR

Bernhard Schlink

1996, Editions Gallimard, 242 pages

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Avertissement : J’avais déjà entendu parler de ce livre et du film The Reader qu’on en a tiré. Merci Eli Zabeth de me l’avoir conseillé…

Je n’en connaissais absolument pas le sujet, et il est difficile d’en parler sans en déflorer une partie essentielle… je prends donc le parti ici de n’évoquer que ce qui pourra encourager un éventuel lecteur à ouvrir le livre… pour ne plus le lâcher…

Quand Michaël rencontre Hanna, il a 15 ans, elle en a 35. Ils deviennent amants. Michaël est très attaché à la jeune femme malgré une certaine incompréhension face aux réactions qu’elle a quelquefois. Une caractéristique importante de leur relation est que Hannah souhaite que Michaël lui fasse la lecture à haute voix chaque jour : « Lecture, douche, faire l’amour et rester encore un moment étendus ensemble, tel était le rituel de nos rendez-vous. »

 Leur histoire dure finalement très peu de temps, moins d’une année, car Hannah le quitte brusquement et Michael en est effondré. Sans jamais l’oublier, il poursuit ses études de droit, et sept ans plus tard, à la faveur d’un séminaire, il assiste à un procès au cours duquel Hanna est dans le box des accusés.

Durant plusieurs semaines, Michael écoute et observe les femmes accusées dont Hanna, qui manifestement ne se défend pas bien. Michael ne comprend pas pourquoi Hanna ne réagit pas, et à force de réflexion, il finit par découvrir son secret. Il se demande alors s’il doit ou non intervenir, car cela pourrait changer le cours des choses pour Hanna : « J’avais été spectateur, et j’étais soudain devenu partie prenante, dans le jeu et la décision. Je n’avais ni cherché ni choisi ce nouveau rôle, mais je l’avais – que je le veuille ou non, que je fasse quelque chose ou que je reste passif. » Les autres accusées rejettent toute faute sur Hanna, qui finit par être condamnée à la détention à perpétuité.

Au regard des crimes commis, Michael ne souhaite pas avoir de contact avec Hanna pendant son séjour en prison et sa vie à lui se poursuit jusqu’au moment où il décide après l’avoir revue une fois, bien des années plus tard, d’écrire leur histoire, finalement l’histoire de toute une génération.

Le liseur est un livre à part.

 Dans trois parties bien distinctes, Bernard Shlink évoque tout d’abord une histoire d’amour singulière, très sensuelle, la naissance du désir et son obsession chez le jeune homme, puis le procès avec la découverte de la personnalité, des actes  d’Hanna et les interrogations de Michaël, son voyage sur les lieux du « crime d’Hanna », et enfin l’après procès avec les leçons que le jeune homme essaye de tirer de cette aventure. Les descriptions sont fabuleuses dans cet ouvrage, que ce soient les représentations presque oniriques  d’Hanna par Michaël alors jeune homme romantique, ou la noirceur du reste dès qu’on n’est plus dans le souvenir :

  • visuelles : «Je lui offris la chemise de nuit en soie. Elle était de couleur aubergine, avec des bretelles minces, dégageant les épaules et les bras, et elle descendait aux chevilles. Le tissu était brillant et chatoyant. Hanna fut contente, souriante, rayonnante. Elle se pencha pour voir, tourna, sur elle-même, dansa quelque pas, se regarda dans la glace, observa brièvement son reflet et se remit à danser. C’est aussi une image qui me resta d’Hanna. »
  • olfactives : « J’avais tant aimé son odeur, jadis. Une odeur toujours fraîche : de linge frais ou de sueur fraîche, une odeur de femme fraîchement lavée  ou fraîchement aimée (…) Souvent j’ai flairé sa peau comme un animal curieux, (…). »
  • sensitives : « je n’avais pas froid, et le hurlement du vent, le grincement d’un arbre devant ma fenêtre et le claquement épisodique d’un volet n’étaient pas violents au point de m’empêcher de dormir. Mais c’est intérieurement que j’étais de plus en plus agité, jusqu’à me mettre à trembler de tout mon corps. J’étais angoissé, mais non comme on s’attend à un évènement fâcheux, c’était un état physique. »

De nombreux thèmes sont abordés dans cet ouvrage : entre autres, le passage initiatique d’un tout jeune homme vers l’adulte qu’il deviendra, la recherche de ce qui fait l’autre, ce qu’on ne connaît pas de lui. Et comment cette nouvelle conscience de l’autre, de ses actes, peut également modifier la perception de la relation que peuvent avoir eu deux êtres. Michael restera marqué à jamais par cette femme qui lui a donné son corps mais ne s’est finalement pas confiée à lui. Il ne pourra pas s’empêcher (comment lui en vouloir d’ailleurs ?) de se repasser les moments intenses qu’ils ont vécus au filtre des actes ignobles commis par Hanna.

Et ainsi est particulièrement bien décrite dans ce livre, la difficulté de prendre la bonne décision quand on détient une information qui peut changer le cours d’une vie : à l’aune de quelles valeurs peut-on juger ce que fait autrui ? ne pas se défendre alors qu’on en a la possibilité est-il légitime ? n’est-ce pas une autre façon de reconnaître et de vouloir expier ses fautes ?

Et cette sublime phrase que je retiens : «Fuir n’est pas seulement partir, c’est aussi arriver quelque part. »

Un livre bouleversant.

QUI ?

Jacques Expert

2013

SONATINE Editions

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Une petite fille, Laëtitia,  violée et tuée il y a environ 20 ans. Le tueur n’a jamais été arrêté.

Ce soir, quatre couples sont devant leur poste de télévision, au moment de la diffusion de la reconstitution des faits et de l’enquête qui n’a jamais cessé de mobiliser la police. Un des quatre hommes est le tueur.

Le roman est composé de chapitres où on découvre les avis des couples lors de la diffusion, alternant avec des chapitres du couple « elle » et « lui » qui est concerné directement par l’affaire.

En une soirée, on évoque  toute l’histoire, les conversations des couples qui se souviennent de leurs faits et gestes au moment de l’affaire, on entre dans leur intimité, les tribulations des enquêteurs, les rebondissements, autant d’indices qui sont donc parsemés tout au long en vue de nous faire découvrir l’auteur du crime.

« Au fond de lui, derrière sa façade tranquille et placide d’homme fatigué, il se sentait euphorique. Pas seulement parce qu’il leur avait échappé, mais parce que, au fil de cet interrogatoire, il avait acquis la certitude qu’ils n’avaient rien, qu’ils n’avançaient pas dans l’enquête. Ils avaient beau se dire confiants, ils pataugeaient, les cons!

Il était rassuré au-delà de toute espérance. »

Entre 22 H 25 et 23 H 28, l’affaire sera résolue… mais à quel prix ?

J’ai bien aimé, surtout l’alternance entre le visionnage du reportage (on a vraiment l’impression d’être devant son poste de télévision), les conversations spécifiques à chaque couple et celle du COUPLE, mais j’avais trouvé l’auteur du crime et deviné la fin… donc un peu restée sur ma faim !!!

La bibliothèque des cœurs cabossés

KATARINA BIVALD

2015

Editions DENOËL

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Une petite bouffée d’air pur avec ce roman conseillé par ma marraine de blog (merci Eli Zabeth)…

Sara Linqvist, jeune suédoise libraire, a correspondu au sujet de leur passion commune, les livres, durant deux ans avec Amy Harris, retraitée de l’Iowa, lorsque cette dernière l’invite à passer l’été dans sa petite ville de Broken Wheel. Mais quand Sara arrive, Amy est décédée et elle se retrouve seule face à des habitants plus ou moins accueillants. Elle vit dans la maison d’Amy, est conduite par George, un homme malheureux parce que sa femme est parti avec leur fille, va faire ses courses chez John qui lui refuse tout paiement, et commence à connaître Andy, Caroline, Grace, Tom…

Sara, qui ne veut pas être redevable de l’hospitalité qu’on lui offre (« Depuis son arrivée à Broken Wheel, Sara avait le sentiment d’avoir une dette envers la ville. Ce n’était pas uniquement le loyer, même si ce détail continuait à la perturber. C’était aussi le café, la bière, les hamburgers et les tomates de John »), va utiliser les ouvrages accumulés par Amy afin d’ouvrir la nouvelle librairie du village, et faire renaître celui-ci. Avec ses méthodes bien à elle, Sara va organiser sa boutique avec les livres qu’elle chérit tant (une classification comportant les « livres à la fin malheureuse »). Les premiers clients paraissent, et se multiplient. Mais son visa de touriste arrive bientôt à expiration…

Sara n’a jamais vraiment vécu, sauf au travers des livres (« Passer son existence à lire n’était pas déplaisant, mais ces derniers temps, Sara avait commencé à se demander si c’était réellement… une vie »), et certains habitants ont également « claqué la porte » aux sentiments, notamment pour ne pas ternir leur image. C’est la ville entière qui va se mobiliser pour garder Sara.

L’ouvrage est délicieux, entre publication des lettres d’Amy et ressenti de Sara et des habitants.

On pourrait le lire en premier degré comme des histoires d’amour et de vie.

On s’aperçoit très vite que l’auteure est très documentée, de nombreuses références littéraires émaillant le propos.

Mais également, qu’il s’agit d’un ouvrage ouvrant la porte à la tolérance et à l’acceptation de soi et des sentiments éprouvés, les thèmes du racisme et de l’homosexualité étant très ouvertement abordés.

Ce livre se déguste, il ne peut pas laisser indifférent.