NOS RICHESSES

Kaouther Adimi

2017

Editions Seuil, 216 pages

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Dans ce court ouvrage, estampillé « roman », Kaouther Adimi nous conte en fait la vie de libraire et d’éditeur d’Edmond Charlot, personnage qui a marqué le monde de l’édition dès 1935, puisqu’il est le premier à avoir inséré une jaquette avec le résumé du livre et la biographie de l’auteur, en 1949. On suit ses envies et ses désillusions au fil d’une narration à la manière d’un journal intime. On assiste à Alger à l’ouverture de la bibliothèque-librairie «Les vraies richesses », où l’on croise les auteurs connus (Camus, Gide, …) et ceux qui le deviendront au fil du temps.

Mais ce livre est également un prétexte pour évoquer les liens qui vont se distendre entre la France et l’Algérie, où Charlot va jouer un rôle, puisqu’il publiera des manifestes pour l’indépendance.

On y voit aussi les amis du début, ceux avec qui il aura été associé, se mettre en travers d’Edmond Charlot, jusqu’à la dissolution de ses sociétés, et finalement la fermeture de la librairie. Et la partie romancée commence ici : un jeune homme est chargé de vider la librairie et de rendre les locaux propres à un autre commerce. Mais c’est sans compter la mobilisation des gens du quartier, et du vieil Abdallah, le dernier gérant de la librairie.

Une découverte de la vie de l’éditeur, des risques financiers qu’il a pris pour défendre les auteurs et les ouvrages, l’histoire d’un homme dans l’Histoire de l’Algérie et des livres. Un plaidoyer parfois très drôle ( « Est-ce que les cachous ont une date de péremption ou sont-ils comme les livres, impérissables ? ») pour conserver les livres, évidemment !

Mais toujours une difficulté pour moi quand je n’arrive pas à démêler le vrai de l’écriture d’invention… J’ai donc intercalé d’autres lectures pour arriver jusqu’au bout.

CITATIONS

« J’ai confié aux copains : « Je n’ai jamais dissocié la librairie et les éditions. Jamais. Pour moi, c’est la même chose. Je n’arrive pas à croire qu’on puisse être éditeur si on n’a pas été ou si on n’est pas libraire à la fois. » Autant vendre des cachous. »

Pour écrire :

« Achetez une table, la plus ordinaire possible, avec un tiroir et une serrure.

Fermez le tiroir et jetez la clé.

Chaque jour, écrivez ce que vous voulez, remplissez trois feuilles de papier.

Glissez-les par la fente du tiroir. Evidemment sans les relire. A la fin de l’année, vous aurez à peu près 900 pages manuscrites. A vous de jouer. »

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NE FAIS CONFIANCE A PERSONNE

Paul Cleave

460 pages

Sonatine Editions, 2017

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Jerry Grey est un écrivain de polars à succès dont la devise est : « Ecris ce que tu sais et fais semblant pour le reste ». Il est heureux en ménage avec Sandra et leur fille Eva qui est fiancée, et compte toujours son ami d’enfance Hans parmi ses intimes.

Mais le bonheur va bientôt s’arrêter, car à 49 ans, Jerry apprend qu’il est atteint d’un Alzheimer précoce. Terrifié, il décide alors d’écrire sa vie, surtout pas un journal intime, mais un « Carnet de folie » pour le « Futur Jerry ». Petit à petit, il se rend compte qu’il confond la réalité et la fiction, que son double créateur Harry Cutter prend quelquefois le dessus, jusqu’au moment où il se demande s’il n’a pas véritablement commis les crimes qu’il a décrits dans ses livres.

En effet, Jerry s’enfuit fréquemment du centre où il est interné, et se retrouve avec du sang ou des bijoux appartenant à des femmes dont le meurtre est révélé par la presse. Il s’accuse donc auprès du personnel soignant, l’infirmière Hamilton et l’aide-soignant Eric, et la police finit par intervenir.

Jerry est tellement perturbé qu’il en arrive même à souhaiter en finir avec sa vie qui ne ressemble en rien à celle qu’il menait.

C’est le premier livre de Paul Cleave que je lis, et je ne suis pas déçue !

Même si j’ai trouvé la narration longue parfois, surtout au début, j’en conçois la nécessité pour ancrer le processus qui fait passer Jerry de la santé mentale à la folie. C’est un livre horrifiant, un polar bien sûr, dans lequel on suit le cheminement de Jerry, entre périodes de lucidité, paranoïa, quasi-schizophrénie et absence totale, grâce aux confidences de son carnet. Haletant surtout en deuxième partie, où l’on se surprend à vouloir aider Jerry à gérer sa maladie, à trouver les réponses aux questions qu’il se pose.

Mais c’est aussi un livre qui interroge sur cette terrible maladie, ce « Capitaine A » qui finit par diriger la vie de Jerry et par ricochet celle de ses proches. Heureusement, Jerry est également doté de beaucoup d’humour (quelquefois malgré lui !) et certaines scènes m’ont bien fait rire (je recommande tout spécialement la scène des toasts au mariage d’Eva !).

Citations :

« Il est un homme sans avenir en passe d’oublier son passé. »

« – J’espérais mon avocat habituel.

Tim a ouvert sa serviette et est en train d’en sortir un bloc-notes quand Jerry dit ça. Il s’interrompt en plein mouvement et l’observe. Il a l’air soucieux.

« Je suis votre avocat habituel, déclare-t-il. Donc pas la peine de vous demander si vous me reconnaissez. »

Jerry hausse les épaules.

« Ne le prenez pas personnellement. » »

« Au mur se trouve la phrase tirée de Fahrenheit 451. Il s’en approche et touche le cadre qui l’entoure.

« Si ça se trouve, il a fallu toute une vie à un homme pour mettre certaines de ses idées par écrit, observer le monde et la vie autour de lui, et moi j’arrive dans deux minutes et boum ! tout est fini. »

Ray Bradbury

« Il achète une bouteille d’eau, un sandwich et une carte SIM. La fille à la caisse lui demande s’il passe une bonne journée, et plutôt que de lui dire la vérité, il répond que oui, puis lui demande également comment se passe la sienne. Elle répond : « Très bien », et il suppose que c’est parce qu’il ne s’est pas réveillé chez elle ce matin. »

« Les gens disent que le suicide est un acte égoïste. Que c’est lâche. Mais ils disent ça parce qu’ils ne comprennent pas. Ce n’est pas lâche, ça demande un courage incroyable. Regarder la mort dans les yeux et lui dire qu’on est prêt… C’est un acte de bravoure. L’égoïsme serait de s’accrocher à la vie tandis qu’on est traîné dans la boue dans les médias et les tribunaux, et que sa famille subit le même sort. Certains diront que l’égoïsme survient quand on essaie d’échapper à ça, mais c’est faux. Ta mort maintenant sera comme arracher un pansement – une douleur vive pour ta famille, mais qui s’estompera rapidement. Tu leur dois bien ça. Une lettre d’adieu. A boire. Un flingue. C’est le programme, partenaire. »

ENTRE DEUX MONDES

Olivier Norek

2017

Editions Michel Lafon, 415 pages

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Entre deux mondes tranche fortement avec les précédents polars écrits par Olivier Norek. On est loin des cités de la région parisienne et des luttes « classiques » des policiers.

Ici, l’Entre-deux mondes, c’est en 2016 le camp de migrants de Calais, un lieu de transit, pour aller du monde qu’on fuit vers le monde qui semble plus accueillant.

Bastien, policier bordelais, a demandé à être affecté à Calais pour se rapprocher de sa belle-mère, afin d’aider sa femme Manon, dépressive après la mort de son père. Leur fille Jade, 14 ans, essaye de trouver sa place dans ce nouveau décor. Bastien doit prendre la mesure de son poste, car il encadre désormais une équipe bien installée.

Adam, policier syrien, doit fuir son pays car il aide sous couverture les rebelles contre le régime en vigueur et risque d’être démasqué. Il a déjà fait partir sa femme Nora et sa fille Maya quelques jours plus tôt, il doit les retrouver à Calais. Mais leur arrivée tarde.

Et tandis qu’Adam attend à l’entrée du camp, photos en main, pour ne pas les manquer, il est confronté à la vie dans la jungle, où la survie est délicate : conflits larvés entre ethnies, vols, violence en tous genres. Adam va ainsi sauver du viol un jeune garçon, Kilani, et essayer de le protéger avec l’aide d’Ousmane, le chef des Soudanais, qui est devenu son protecteur. La jungle est une zone de non-droit où même la police n’ose pas entrer.

Cependant, des meurtres sont commis, et Bastien va demander à son équipe d’intervenir. Il va ainsi s’adjoindre les services d’Adam, car il est difficile d’obtenir des informations utiles au sein de la jungle. Et en contrepartie, Adam va lui demander de tout faire pour sauver Kilani.

En filigrane du livre, se trouve l’attente des migrants, cette quête pour rejoindre les siens, les méthodes employées par les forces de l’ordre des deux côtés de la Méditerranée, l’intensité de la violence qui touche les enfants.

C’est une histoire bouleversante qui place le lecteur directement au cœur du camp de migrants, hors du cadre habituel de spectateur de flash info, très éloigné de leur quotidien : on y croise ainsi les aidants, les migrants qui espèrent encore, ceux qui se sont résigné, les passeurs, les trafiquants en tout genre, une micro-société qui peut exploser à tout moment. Les peurs, la promiscuité, les espoirs, les doutes, tout y est décrit de façon très réaliste. Des histoires qui s’enchevêtrent, entre petits délinquants et grands meurtriers… ou l’inverse parfois.

C’est la rencontre aussi de ces deux policiers que tout pourrait opposer, sauf leur humanité. Et celle d’autres protagonistes, prêts à se mettre hors-la-loi pour sauver une âme en détresse, celle d’un enfant abîmé par la guerre des adultes.

Quelques touches d’humour (la « jungle hour » pour dîner par exemple) offrent une respiration dans l’horreur qu’on côtoie bien malgré soi, sans pouvoir lâcher ce livre au suspense haletant… qui m’a tiré des larmes et mise dans l’impossibilité d’en commencer un autre dans la foulée… trop d’émotions, trop de questions soulevées sur ma propre vision et la question que je me suis toujours posée : et si ça m’arrivait… comment vivrais-je cet éloignement de ma terre, de mes racines et de ceux qui me sont chers ? Et pourtant ce livre n’est pas un plaidoyer, l’auteur relate simplement, sincèrement devrais-je dire, les faits tels qu’il a pu en connaître au contact des migrants et policiers qu’il a pu interroger pour contribuer à son écriture.

Un roman, mais presque un document. Un coup de cœur, assurément.

Citations :

« Alors qu’il restait encore de nombreux passagers à imbriquer dans la masse déjà compacte de migrants, une vague frappa plein flanc et jeta en pluie dense plusieurs centaines de litres d’eau salée au-dessus d’eux. Ils voyaient encore la plage qu’ils étaient déjà transis de froid. Dans près de cinq cents kilomètres, ils auraient rejoint le port de Pozzalo, en Italie. Cela pouvait prendre une nuit. Comme trois.

Au fond du bateau, Nora était écrasée et jouait des bras pour que Maya n’en sente rien. Puis ce fut un peu plus anarchique. Une femme et sa fille s’assirent carrément sur ses jambes, mais Nora n’osa leur faire aucune remontrance. Elles étaient leur reflet, à Maya et elle. Une autre histoire, un autre pays, une autre guerre. Pour finir, deux petits Blacks la compressèrent à sa gauche quand un autre tenta de se glisser sous elle. N’y parvenant pas et voyant Maya apeurée, prête à pleurer, le gamin devint grand frère et se mit devant elles, comme un bouclier, la tête entre les genoux. »

« Excuse-moi, je suis un peu fatiguée.

Le regard de Bastien tomba sur la plaquette d’antidépresseurs posée sur la table basse, à côté d’un verre d’eau. Ils faisaient partie du décor depuis près de trois mois maintenant. Un laps de temps assez long pour que se pose légitimement la question de leur efficacité. Parfois Bastien se montrait patient, parfois il mourait d’envie de secouer sa femme. Il l’embrassa sur le front, empocha ses clés, quitta l’appartement et descendit les marches deux à deux.»

« Le chaos qui régnait ici rendrait l’autoroute impraticable pour ce soir. La situation s’apaisa, comme dans les jeux des cours de récréation lorsque l’un des enfants dit « pouce » et que la guerre est finie.

Les silhouettes se retirèrent calmement, sans courir, et les migrants qui avaient réussi à se dissimuler dans les chargements sortirent de sous les bâches et passèrent devant les CRS pour rejoindre leurs compatriotes. Un gamin un peu perdu chuta au sol et un flic, anonyme en tenue Robocop, le releva avec précaution.

Les migrants recommenceraient demain. Les flics seraient au rendez-vous. Le manège durait depuis plus d’un an. »

« – Quand un Soudanais arrive et qu’il a assez d’argent pour se payer une tentative – généralement l’argent récolté auprès de toute  sa famille au pays -, il me contacte. Je le présente aux Afghans, ils nous font un prix spécial et je récupère une centaine d’euros.

– Et si la traversée échoue ?

– Alors il n’a plus d’argent. Et il appartient à la Jungle.

Adam garda les yeux baissés.

– Je viens de te le dire : partout dans le monde, tu trouveras toujours un homme pour profiter de la détresse des autres. Je te déçois ? lui demanda Ousmane.

– Tu survis. Je ne juge pas. »

ADIEU

Jacques Expert

2011

Sonatine Editions, 330 pages

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L’Adieu, c’est celui du commissaire Langelier à ses années de « bons et loyaux services » dans la police et la préfectorale. Au cours de son pot de départ, Langelier va revenir sur l’affaire qui lui a valu d’être rejeté par l’administration et ses collègues.

2001, deux familles très ordinaires font l’objet d’un sort terrible. Dns l’intervalle d’un mois, le même processus se répète : la femme est égorgée, les enfants étouffés avec leur oreiller, et le mari a disparu. Dès le début, Langelier soupçonne que le coupable est un des maris. Il se heurte à son ami et supérieur le commissaire Ferracci, qui penche plutôt, comme la presse, vers un tueur en série. Langelier s’obstine et concentre toute son attention sur cette enquête, délaissant sa vie de famille, au point que sa femme Stéphanie demande à Ferracci de lui retirer l’affaire afin que son mari puisse revenir vers elle. Las, c’est le contraire qui arrive. L’affaire lui est retirée, Langelier est muté peu après mais va continuer à enquêter de son côté, si bien que sa famille finit par le quitter, à son grand soulagement : il va enfin « pouvoir [se] consacrer encore plus à [son] enquête » car « Même abandonné de tous, il poursuivra sa mission. »

C’est Langelier qui raconte « l’affaire de sa vie » à ses collègues réunis à son pot d’adieu. Il les tient en haleine («(…) je sens que mes auditeurs ont hâte que j’en finisse »), et le lecteur par la même occasion, s’efforçant à montrer combien les lacunes de l’enquête ont été préjudiciables à la poursuite du tueur. On suit la progression de Langelier, les doutes qu’il a tour à tour sur la culpabilité de l’un ou l’autre des pères. On est happé par sa détermination à poursuivre coûte que coûte cette quête de la vérité. On subit avec lui les pressions  de celui qu’il considère comme son ancien ami, Ferracci, car il lui met des bâtons dans les roues : « A défaut d’obtenir de moi des informations, Ferracci m’a fait surveiller », « Dès que j’ai poussé la porte de mon appartement, j’ai tout de suite compris que j’avais eu de la visite (…) J’ai mis longtemps à me calmer, tellement, bien plus que les souvenirs anciens, la haine m’a submergé. Je me suis senti seul. Ils avaient violé mon secret. » On se prend à espérer que Langelier, qui a tapissé son appartement de notes et photos relatives à l’affaire,  qui a mis toute son énergie à la résoudre, qui a passé dix ans de sa vie à lutter contre l’avis de son ancien ami, va enfin apporter la solution.

Et jusqu’au bout, on cherche avec lui qui était vraiment ce tueur. Vingt pages avant la fin, je ne savais toujours pas de qui il s’agissait…

J’avais un doute sur le dénouement, mais la façon dont s’y prend Jacques Expert pour nous embarquer dans la quête du commissaire Langelier est magistrale. Un excellent roman policier que je recommande vivement, du point de vue du suspense, un de meilleurs que j’ai pu lire ces derniers temps.