UN MARIAGE EMPOISONNÉ

Wilkie Collins

202 pages gros caractères

Encre bleue Editeur, 1998

Il s’agit dans cette édition en gros caractères de deux nouvelles (Un mariage empoisonné et Tel est pris qui croyait prendre) rédigées par Wilkie Collins, auteur du XIXème siècle, ami de Charles Dickens et précurseur des romans policiers.

Voici le résumé des deux nouvelles, mon appréciation ensuite :

Un mariage empoisonné

Un gentilhomme anglais, M. Lepel (le narrateur), et son ami moins fortuné Rothsay, assistent en Italie à une pièce de théâtre : l’histoire est celle d’un homme riche qui, voyant sa fin arriver précocement, propose à son ami pauvre d’épouser la jeune fille qu’il aime afin de la doter et que, veuve du riche, elle puisse enfin épouser le pauvre.

Pendant le spectacle, Rothsay est victime d’un malaise et les deux amis quittent le théâtre sans jamais connaître la fin de l’histoire.

Ils se séparent et rentré à Londres, M. Lepel est invité par son oncle Lord Lepel à passer quelques semaines à la campagne. Le jeune homme y fait la connaissance de la jeune Susan, fille de la gardienne du domaine, et se prend d’amitié pour elle.

Mais M. Lepel doit écourter son séjour car sa sœur vient à mourir et restant sans famille, il décide de rédiger son testament. Il tombe ensuite malade et ne pouvant retourner chez son oncle, c’est Rothsay qui y va et s’éprend de Susan.

Rothsay parti, et son état de santé empirant, M. Lepel se souvient du spectacle vu à Rome et propose à Susan de l’épouser en secret.

A vous de découvrir le reste!!!

Tel est pris qui croyait prendre

Il s’agit ici de la correspondance entre le détective privé Matthew Sharpin et l’inspecteur principal Theakstone de la police judiciaire, ainsi qu’entre cet inspecteur et son sergent Bulmer, au sujet d’un vol d’argent survenu de nuit au domicile de Mr et Mrs Yatman, commerçants.

On y lit comment le détective va s’y prendre pour découvrir le voleur.

Et ce qui est drôle, c’est l’antagonisme qui transparaît dans les rapports et courriers échangés.

Mon avis :

Deux nouvelles bien agréables.

J’aime cette atmosphère anglaise, la bienséance apparente avec tous les petits à-côtés bien humains. Et Wilkie Collins est un de mes auteurs anglais préférés, car il dresse des portraits hauts en couleur de ses personnages, même dans ces courtes nouvelles policières.

Le personnage de la mère de Susan et celui du détective dénotent de la suffisance.

On se surprend à imaginer la douce Susan penchée sur ses livres et l’inspecteur principal froncer les sourcils et marmonner de colère dans sa belle moustache.

Alors oui, ce ne sont pas des thrillers, ni des polars de maintenant. Mais ce sont des petits bijoux à découvrir avant peut-être d’envisager la lecture de son plus beau roman : « La dame en blanc ».

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CODE 93

Olivier Norek

360 pages

Pocket, 2014

Plongée dans les cités du 93, la misère, les trafics en tous genres, la police qui fait ce qu’elle peut : un cadavre qui revient à la vie, un autre salement brûlé, des dossiers disparus, des lettres anonymes.

On suit la construction de l’équipe du Capitaine Victor Coste au SDPJ 93, qui fera le socle des deux livres qui suivent : « Territoires » et « Surtensions ». Et il vaut mieux les lire dans l’ordre pour comprendre les affinités et les taquineries des uns et des autres.

Au fil de l’enquête, on découvre les vies parallèles de ces policiers, quand ils en ont… car il n’est pas simple d’avoir une vie de famille, une vie de couple, quand votre profession vous amène à toucher la laideur du monde et que vous n’avez pas

d’horaires.

Tout le talent d’Olivier Norek s’exprime dans la construction de personnages attachants parce qu’humains, ce ne sont pas des super-héros. On sent aussi la sincérité dans la narration, ils existent ces quartiers, ces lieux de retrouvailles (la pizzeria… excellente d’ailleurs!), ces lieux traversés à fond au son du deux-tons. Heureusement que l’humour est également à l’honneur, certaines réflexions m’ont fait rire, et relâcher la tension.

Mais on frémit également parce que le premier métier de l’auteur c’est d’être policier. Et qu’on sait aussi que la réalité dépasse souvent la fiction. Alors à qui peut-on faire confiance ?

Un rythme rapide, une enquête prenante, un livre haletant.

Citations

« Malgré sa taille et une gueule à lui demander pardon même si on n’a pas tort, il ne semblait pas prêt à revivre cette histoire tout de suite. »

« Placées côte à côte, la photo prise au cours du mariage et celle réalisée dans les locaux de garde à vue faisaient l’effet d’une pub avant/après. Avant la came, après la came. Il fallait enlever quinze kilos, cerner de gris le contour des yeux, jaunir les dents restantes, ajouter dix ans de fatigue et un regard de hérisson pris dans les phares d’un 4×4 pour reconnaître à peu près la même personne. »

Les quatre filles du Révérend Latimer

Colleen McCullough

660 pages

Éditions France Loisirs, 2016

J’ai lu beaucoup de livres de Colleen McCullough, « Tim » notamment m’avait beaucoup touchée dans les années 80. J’aime son talent de conteuse.

Dernier écrit par l’auteure australienne avant son décès en janvier 2014, ce roman propose d’explorer la période de la crise économique de 1929 et ses répercussions en Australie au travers de la vie de quatre jeunes femmes, deux paires de jumelles issues du révérend Latimer.

Le révérend Latimer est un homme affable, mais rigoriste, affublé d’une seconde épouse dominante qui lui mène la vie dure tout comme à leurs 4 filles.

Les deux premières jumelles Edda et Grace, nées du mariage précédent du révérend, voudraient s’émanciper, tandis que les autres jumelles Heather « Tufts » et Kitty souhaiteraient échapper à l’emprise de leur mère.

En 1925, le révérend propose de créer pour ses filles l’apprentissage du métier d’infirmière dans l’hôpital de leur ville dont il est un des administrateurs. Les 4 jeunes filles y seront confrontées aux disparités sociales, en butte à la jalousie de leurs consœurs et aux contraintes mises en place par un directeur radin. Leurs aspirations sont pourtant très différentes : Edda voudrait devenir médecin, chose inconcevable à l’époque, Grace n’aime pas les études et leur préfère les trains, Heather est méthodique et pragmatique tandis que Kitty, la préférée de leur mère au regard de sa beauté, ne rêve que d’avoir une famille nombreuse.

Les rencontres qu’elles feront, que ce soit dans leur vie privée ou professionnelle, leur permettront d’affiner leurs envies et et d’atteindre leurs objectifs quelquefois de manière très inattendue.

Des caractères bien trempés, des amours heureuses ou moins, la gémellité mais aussi le féminisme naissant dans une époque troublée et la conquête du pouvoir politique sur fond de crise économique, autant de thèmes abordés dans ce livre qui est bien plus que la simple narration de la vie et des relations des jumelles.

La description des personnages dits « secondaires » mais qui ont un fort impact sur les jumelles est très intéressante : la marâtre et son désir de paraître et de dominer autrui, notamment son entourage proche, en devient ridicule. Mais la personnalité des hommes est également fort bien décrite, celle de Charles « Charlie » Burdum mérite le détour : difficile à cerner, tour à tour ange (très généreux et altruiste) et démon (possessif et violent), son physique même dénote ses traits de caractère. Son ambition politique sert également de prétexte à explorer le système politique en vigueur dans les années 30 en Australie.

Et tout ce petit monde évolue dans une communauté réduite où tout se sait, tout prête à commérages : doit-on en faire fi ou se conformer à la bienséance ?

Un livre très complet donc, avec des rebondissements et l’évolution des 4 jeunes femmes sur presque une décennie, un moment de lecture très plaisant.

« ARRETE AVEC TES MENSONGES »

Philippe Besson

196 pages

Editions Juillard, 2017

Je remercie lecteurs.com et les éditions Juillard de m’avoir fait gagner ce livre, finaliste des prix 2017 Orange des lecteurs et Blù Jean-Marc Roberts, élu du Prix Maison de la Presse 2017 et du Prix Psychologies du Roman inspirant.

Je n’avais jamais lu d’écrit de Philippe Besson. Je connaissais vaguement l’homme public, notamment au travers de la campagne présidentielle 2017, mais sans connaître vraiment son parcours. C’est donc sans aucun a priori que je me suis plongée dans cette lecture.

Philippe est en terminale. Il est homosexuel, il le sait depuis longtemps. Philippe a un handicap majeur vis-à-vis de ses copains d’école : il est le fils de l’instituteur, c’est un intellectuel « toujours dans les livres », un « élève exemplaire » avec une voie toute tracée. Donc plutôt seul. Et il craque sur un autre jeune de son lycée, Thomas, qui semble n’être intéressé que par les filles. Jusqu’au jour où une relation s’installe entre eux. Mais quelle relation !

A contrario du titre du livre, Philippe Besson invoque le fait de n’avoir jamais caché qui il était, de n’en avoir jamais pris honte ou ombrage : « Jamais. Je m’en tiens à ce que je suis. Dans le silence, certes. Mais un silence têtu.» Il était même fier de ce qui le faisait être différent des autres, lui qui aurait voulu qu’on l’acceptât plus pour ses qualités intellectuelles. Et son amour pour Thomas le contraint, car Thomas n’assume pas sa sexualité. Il refuse de la vivre au grand jour. Il refuse les mots qui provoqueraient l’attachement (« Tout le temps que durera notre relation, il se méfiera de la douceur. »), bien que Philippe soit déjà fou de lui. Mais Thomas est un visionnaire : il décèle en Philippe ce qu’il deviendra plus tard, il sait que son destin n’est pas de rester dans la petite ville charentaise : « (…) il m’a vu non pas tel que j’étais, mais tel que j’allais devenir. »

Après le baccalauréat, Thomas part dans sa famille en Espagne. Philippe, désemparé, ne le reverra pas. Mais cette histoire d’amour et de désir imprimera sa vie, ses futures amours, ses romans même. Jusqu’à l’incroyable, « imprévisible » ? rencontre, plus de 20 ans après, qui aurait pu tout changer, qui d’ailleurs l’a sans doute fait.

Ce livre est court, se lit très vite, car l’écriture est fluide, très agréable. On y sent une impatience, dans les phrases à rallonge, tout en virgules, qui agitent le présent. Et beaucoup plus courtes quand on aborde le passé et les sentiments.

L’auteur y dévoile ses pensées les plus intimes, notamment relatives à sa sexualité naissante, et expose ainsi, au travers de sa propre histoire amoureuse, les thématiques qui ont marqué ensuite ses pas d’écrivain : « l’impondérable, l’imprévisible qui détermine les évènements », le manque, « la privation insupportable de l’autre », ainsi que les personnages que l’on peut retrouver dans ses autres ouvrages.

Le langage est cru sans être vulgaire. Philippe Besson dissèque les émotions que lui fait ressentir Thomas. C’est le dévoilement de la sexualité d’adolescents mais plus encore d’un grand amour naissant, totalement assumé par l’un, totalement rejeté par l’autre, l’impossibilité d’exprimer pleinement des sentiments qui fait presque ravaler cette relation à un simple échange charnel.

Mais on découvre également un peu de l’histoire du jeune Philippe, les circonstances du décès de sa grand-mère, ses relations avec son père (la narration de la séquence du catéchisme m’a fait bien rire !), les vacances sur l’île de Ré, son acharnement à montrer que sa vie n’est rien que très normale, « rien qui fasse vendre ».

Un livre émouvant, même dans sa photo de couverture, tellement ressemblante à la description de la page 122… jusqu’à ce que se pose la question : l’ultime mensonge de Philippe Besson n’est-il pas de qualifier ce livre de roman, et non d’autobiographie ?