Anne-Laure Bondoux & Jean-Claude Mourlevat
280 pages
Fleuve Editions, mars 2015
Pierre-Marie est un écrivain victime de la « page blanche » depuis le départ de sa dernière épouse Véra, dont il ne s’est pas remis. Il reçoit un jour une enveloppe expédiée par Adeline Parmelan, une lectrice assidue, et alors qu’il envisage de lui retourner ce qu’il imagine être un manuscrit, une relation épistolaire (par courriel) s’installe entre ces deux êtres esseulés. Mais on lit également les échanges avec les amis de Pierre-Marie, son éditeur, une dame très entreprenante qui souhaite adapter un de ses livres pour le théâtre, …
J’aime les romans de ce type où les personnages se révèlent un peu à chaque envoi (cf Quand souffle le vent du nord de Daniel Glattaeur, un modèle du genre !), la distance permettant paradoxalement de s’épancher plus que s’ils se voyaient en face à face. « Aucun risque que vous puissiez me voir : je peux donc me montrer. » Et cerise sur le clavier, il y a également une vraie intrigue autour de la fameuse enveloppe.
Le ton est enlevé, les émotions des héros exacerbées, leur quotidien est décortiqué, avec les petites (ou grandes) entorses à la vérité que permet l’anonymat relatif de l’échange. Mais est-il vraiment possible de conserver une telle distance très longtemps, la réalité, sans compter la vérité, ne risque-t-elle pas de tout compliquer ? « Je sais à présent que je dois trier le vrai du faux dans ce que vous m’avez confié de vous. Il y a des choses que je ne vous crois pas capable d’avoir inventé. (…) Il y en a d’autres qui n’ont guère d’importance, mais dont je serai bluffé d’apprendre qu’elles sont des fictions parce que c’est si bien trouvé ! »
Et oui c’est « bien trouvé » ! J’aime beaucoup les positions littéraires prises Pierre-Marie, celle sur les points de suspension par exemple, est très drôle. Il ne les aime pas, pour lui « ceux qui les utilisent (…) rappellent ces types qui font mine de vouloir se battre, qui vous forcent à la retenir par la manche et qui vocifèrent : retenez-moi ou je lui pète la gueule à ce connard ! En réalité, ils seraient bien embêtés qu’on les laisse aller au combat. »
Beaucoup d’humour, de dérision, de la tendresse aussi et la peur de « perdre » l’autre qu’on ne connaît que de loin mais qui a pris finalement une place importante, jusqu’à créer un manque.
Une chouette découverte !
Citation :
« Excusez-moi Pierre-Marie, mais j’ai l’impression d’entendre la plainte d’un enfant gâté. Vous souffrez d’un manque d’inspiration, d’accord, mais est-ce une raison pour haïr ce que la plupart des gens vous envient ? Vous avez choisi d’être écrivain, non ? Alors assumez ! Soyez écrivain dans le silence et le désarroi, soyez écrivain sans un mot, sans une virgule. Vivez cette souffrance avec autant d’intensité que les instants grisants qui vous manquent : c‘est le prix à payer. »