« ARRETE AVEC TES MENSONGES »

Philippe Besson

196 pages

Editions Juillard, 2017

Je remercie lecteurs.com et les éditions Juillard de m’avoir fait gagner ce livre, finaliste des prix 2017 Orange des lecteurs et Blù Jean-Marc Roberts, élu du Prix Maison de la Presse 2017 et du Prix Psychologies du Roman inspirant.

Je n’avais jamais lu d’écrit de Philippe Besson. Je connaissais vaguement l’homme public, notamment au travers de la campagne présidentielle 2017, mais sans connaître vraiment son parcours. C’est donc sans aucun a priori que je me suis plongée dans cette lecture.

Philippe est en terminale. Il est homosexuel, il le sait depuis longtemps. Philippe a un handicap majeur vis-à-vis de ses copains d’école : il est le fils de l’instituteur, c’est un intellectuel « toujours dans les livres », un « élève exemplaire » avec une voie toute tracée. Donc plutôt seul. Et il craque sur un autre jeune de son lycée, Thomas, qui semble n’être intéressé que par les filles. Jusqu’au jour où une relation s’installe entre eux. Mais quelle relation !

A contrario du titre du livre, Philippe Besson invoque le fait de n’avoir jamais caché qui il était, de n’en avoir jamais pris honte ou ombrage : « Jamais. Je m’en tiens à ce que je suis. Dans le silence, certes. Mais un silence têtu.» Il était même fier de ce qui le faisait être différent des autres, lui qui aurait voulu qu’on l’acceptât plus pour ses qualités intellectuelles. Et son amour pour Thomas le contraint, car Thomas n’assume pas sa sexualité. Il refuse de la vivre au grand jour. Il refuse les mots qui provoqueraient l’attachement (« Tout le temps que durera notre relation, il se méfiera de la douceur. »), bien que Philippe soit déjà fou de lui. Mais Thomas est un visionnaire : il décèle en Philippe ce qu’il deviendra plus tard, il sait que son destin n’est pas de rester dans la petite ville charentaise : « (…) il m’a vu non pas tel que j’étais, mais tel que j’allais devenir. »

Après le baccalauréat, Thomas part dans sa famille en Espagne. Philippe, désemparé, ne le reverra pas. Mais cette histoire d’amour et de désir imprimera sa vie, ses futures amours, ses romans même. Jusqu’à l’incroyable, « imprévisible » ? rencontre, plus de 20 ans après, qui aurait pu tout changer, qui d’ailleurs l’a sans doute fait.

Ce livre est court, se lit très vite, car l’écriture est fluide, très agréable. On y sent une impatience, dans les phrases à rallonge, tout en virgules, qui agitent le présent. Et beaucoup plus courtes quand on aborde le passé et les sentiments.

L’auteur y dévoile ses pensées les plus intimes, notamment relatives à sa sexualité naissante, et expose ainsi, au travers de sa propre histoire amoureuse, les thématiques qui ont marqué ensuite ses pas d’écrivain : « l’impondérable, l’imprévisible qui détermine les évènements », le manque, « la privation insupportable de l’autre », ainsi que les personnages que l’on peut retrouver dans ses autres ouvrages.

Le langage est cru sans être vulgaire. Philippe Besson dissèque les émotions que lui fait ressentir Thomas. C’est le dévoilement de la sexualité d’adolescents mais plus encore d’un grand amour naissant, totalement assumé par l’un, totalement rejeté par l’autre, l’impossibilité d’exprimer pleinement des sentiments qui fait presque ravaler cette relation à un simple échange charnel.

Mais on découvre également un peu de l’histoire du jeune Philippe, les circonstances du décès de sa grand-mère, ses relations avec son père (la narration de la séquence du catéchisme m’a fait bien rire !), les vacances sur l’île de Ré, son acharnement à montrer que sa vie n’est rien que très normale, « rien qui fasse vendre ».

Un livre émouvant, même dans sa photo de couverture, tellement ressemblante à la description de la page 122… jusqu’à ce que se pose la question : l’ultime mensonge de Philippe Besson n’est-il pas de qualifier ce livre de roman, et non d’autobiographie ?

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VERA

Karl Geary

256 pages

Editions Payot et Rivages, 2017

En préambule, je remercie l’éditeur et lecteurs.com de m’avoir fait parvenir cet ouvrage.

Ce court roman de l’acteur Karl Geary met en scène l’histoire d’un jeune Irlandais de 16 ans, Sonny, avec les envies de son âge -séduire les filles et échapper à son quotidien affectivement difficile. Son père joue aux courses le peu qu’il gagne, sa mère essaie de faire face. Les relations avec ses frères semblent complexes. Sonny va au lycée mais ne fait aucun effort pour travailler, il aime surtout bricoler les pièces qu’il vole pour construire son propre vélo. Il a une copine sur laquelle il fantasme, Sharon, qui voudrait devenir sa petite amie. Sonny travaille le soir dans une boucherie pour gagner un peu d’argent et accompagne son père le samedi dans quelques chantiers de rénovation dans les quartiers aisés. C’est à l’occasion d’un de ces chantiers à Montpelier Parade (titre orignal du roman) qu’il rencontre Vera, la maîtresse des lieux, une bourgeoise et surtout une femme mûre.

Pour Sonny, c’est un coup de foudre charnel, qui se transforme assez vite en amour pour cette femme que plus rien ne rattache à la vie.

Une relation singulière que Sonny va s’acharner à protéger coûte que coûte, y compris lorsque ses vols sont découverts et que ses parents s’en mêlent.

Tout est quasiment gris dans ce roman : la misère sociale, la fumée de cigarette omniprésente (il faudrait compter le nombre de cigarettes fumées dans cet ouvrage!!!), la misère affective des protagonistes.

Les seules éclaircies sont dans les instants où Sonny est avec Vera et ceux, rares, où ils semblent communier, car la femme ne s’épanche pas. Et surtout quand il s’évade grâce à la lecture des livres trouvés chez elle. Il découvre avidement des grands auteurs qu’il n’ouvrirait sans doute pas en classe et visite un musée.

Je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages ni à leur histoire, dont la révélation finale me laisse perplexe quant aux intentions de Vera envers Sonny.

Peut-être est-ce également dû à l’écriture qui, employant la deuxième personne du singulier pour parler de Sonny en lieu et place du « je » ou du « il », ce que je trouve par ailleurs plutôt intéressant dans la construction littéraire, met à distance les émotions.

LA ROUTE SAUVAGE

Willy Vlautin

320 pages

Editions Albin Michel, 2018

Portland, Oregon, de nos jours, début de l’été.

Charley Thomson a 15 ans. C’est un adolescent perpétuellement affamé (« Tu n’as pas faim Charley? J’ai toujours faim ») dont l’objectif est de s’entraîner tous les jours afin de pouvoir intégrer l’équipe de football de son nouveau lycée à la rentrée.

A la faveur de son rituel de course à pied, il découvre le « Portland Meadows », hippodrome mythique de la ville et regarde de loin les chevaux.

Mais comme il a faim, il doit trouver de l’argent pour se nourrir, car son père est généralement plus occupé par ses conquêtes féminines que par son obligation de soin envers son garçon. Charley rencontre incidemment Del, un homme lunatique, qui entraîne des chevaux de courses et lui permet de travailler pour lui. Charley va découvrir l’univers des chevaux et se prendre d’amitié pour l’un d’entre eux, Lean on Pete (titre du roman en VO). Lorsque le père de Charley est hospitalisé, le cheval devient le seul confident de l’adolescent. Mais les méthodes de Del pour gagner des courses sont plus que douteuses, et lorsque Lean on Pete montre des signes de faiblesse dans une jambe, Charley comprend que son ami risque de terminer à l’abattoir. Sur un coup de tête, et parce que c’est le seul être qui compte vraiment pour lui, Charley s’enfuit avec le cheval pour retrouver sa tante, qui habite dans le Wyoming. S’ensuit alors une longue route semée de rencontres plus ou moins douloureuses pour le garçon, certains lui venant en aide et d’autres le traitant violemment.

La quatrième de couverture évoque le passage clé du roman de Willy Vlautin qui va faire basculer l’histoire de Charley Thomson. Mais cet épisode ne prend forme qu’à la moitié de l’ouvrage.

L’auteur a lui-même indiqué qu’il avait commencé l’écriture de ce livre lorsqu’il avait compris sa naïveté face à ce qui se passait réellement sur les champs de courses. Et sa volonté de sortir de ce milieu tant aimé par lui et qu’il ne pouvait plus voir de la même façon après l’épisode du cheval qui se casse une patte durant une course.

Et c’est cette naïveté qu’on retrouve chez Charley. C’est un jeune garçon, son rêve, c’est de devenir champion de football, pas d’être jockey ou palefrenier. Au début, son travail est strictement alimentaire et c’est au fil du temps, lorsqu’il se sent très seul, qu’il finit par se lier profondément avec ce cheval. A l’encontre d’ailleurs de ce que lui disent les autres : il ne faut pas s’attacher à un cheval… Mais Charley n’a personne d’autre à aimer près de lui.

La solitude et la violence sont très présentes dans ce livre. Charley doit se débrouiller seul, voler pour se nourrir et s’habiller lorsqu’il ne trouve pas de travail. Rappelons que Charley a 15 ans.

Le livre est écrit de façon documentaire, les faits et rien que les faits relatés par Charley. Et même lorsqu’il dit qu’il pleure, c’est factuel. Il met une distance face aux malheurs qui le touchent. Cette pudeur empêcherait presque le lecteur de ressentir de la compassion pour l’enfant si n’étaient distillés par instant certains de ses souvenirs, joyeux avec sa tante, beaucoup plus violents avec son entourage proche, son père et ses compagnons. Cette pudeur est d’ailleurs une protection mentale pour Charley (et pour le lecteur ?) qui doit survivre coûte que coûte et fait preuve d’un grand courage pour y arriver. On observe d’ailleurs la honte qui le prend lorsqu’il se retrouve obligé de voler pour manger. Lui veut travailler, gagner de quoi se nourrir. Au lieu de cela, il en est bien souvent réduit à finir les plats abandonnés par les gens dans les fast-foods.

Il y a également plusieurs histoires dans ce roman : celle de Charley, bien sûr, puisque c’est lui le narrateur des événements de cet été, mais également celle d’une Amérique distanciée des problèmes sociaux et surtout celle de l’univers des courses hippiques. J’avais déjà lu plusieurs ouvrages (romans de Dick FRANCIS par exemple ou témoignages) sur ce milieu, les dopages, la triche, la folie des paris, la difficile reconversion des jockeys, et on a ici un condensé des thématiques. Et dans la façon d’écrire et les sujets abordés, je trouve un peu de Steinbeck.

L’adaptation cinématographique est sortie cette année, d’où la réédition du livre en France, je ne sais pas si j’irai le voir. Car la distance de l’écrit ne saurait probablement être traduite dans des images. Et j’ai bien peur de succomber à l’émotion face à ce jeune garçon acculé par la vie!

Un très beau livre.

Je remercie Le Club des Explorateurs de lecteurs.com et les éditions Albin Michel (collection Terres d’Amérique) pour m’avoir permis de découvrir à la fois le livre et l’auteur dans le cadre d’une lecture commune avec Zabouille.