
Laure Catherine
364 pages
Les éditions de l’Observatoire, 22 août 2018
J’ai gagné ce premier roman (rentrée littéraire 2018) de la journaliste écrivain Laure Catherine lors du pique-nique Babelio, et j’en remercie également les Editions de l’Observatoire.
Emma, 16 ans, mène une vie bien tranquille, mais surtout bien ennuyeuse dans « une ville paumée de l’Est d’où aucun grand homme n’était jamais sorti, et encore moins une grande femme » entre sa mère qui a du mal à joindre les deux bouts et sa petite sœur Amélie surdouée. Elles ne doivent pas avoir de contact avec leurs voisins du 14, un père et ses deux fils.
La meilleure amie d’Emma, Anisha, fait du running pour se remettre d’une ancienne agression.
Arrhur et Paul veulent échapper à leur mère rescapée d’un accident de la route qui a peur de tout et à leur père magouilleur, grand ami du maire.
Des graffeurs, des squatteurs, tout un petit monde de jeunesse dans des quartiers très populaires dont la vie va être bouleversée quand des tags apparaissent le jour même où des cygnes sont décapités.
Les jeunes désœuvrés s’interrogent, jusqu’au moment où une jeune serveuse est retrouvée morte noyée dans le canal. Est-ce le même auteur des faits?
Le lieutenant DaSilva enquête et se demande si le livre de JG Ballard Le Massacre de Pangbourne dans lequel les enfants se retournent contre leurs parents et qui circule parmi les jeunes, joue un rôle dans les événements.
J’ai bien aimé la façon de raconter l’histoire, on rentre tout de suite dans le vif du sujet, carrément dans la tête d’Emma lors de son premier interrogatoire par DaSilva. Mais ce n’est pas que l’histoire d’Emma et d’Amélie et de leurs copains.
Sur un mois, on suit des très jeunes gens dont l’univers se résume à l’alcool et à la drogue car il n’y a rien d’autre à faire. De leurs cerveaux embrumés, on essaye d’extirper un peu d’action révolutionnaire – les jeunes « friqués » qui se retrouvent parmi les squatteurs, celui qui voulait devenir boxeur mais qui se dit non-violent -, mais on trouve surtout une étrange tristesse due au manque d’intérêt de leur vie adolescente.
Les préoccupations des adolescents, presque des adultes, l’amour, l’orientation scolaire ou professionnelle, la vision des parents, sont particulièrement bien décrites, avec des personnalités bien campées. Et puis les entrelacs d’histoire sont bien trouvés, jusqu’à la désignation du coupable.
Un premier roman très réussi.
Citations
« Sa mère lui faisait des recommandations pour la journée – les brocolis à préparer ce midi, les fenêtres et les volets à ouvrir à tel étage et à telle heure selon l’ensoleillement, le livre qu’elle lui avait acheté pour lui permettre de s’avancer dans le programme scolaire… Des trucs de caserne… »
« C’était une banlieue minus, les Charmilles, une banlieue Groland. Mais on s’y ennuyait comme dans le 93 et on y était encore plus méprisé. Des paysans qui se la jouaient. Ils voulaient tous faire comme à Bobigny. Ridicule. »
« Où commençait la folie qui découpait des cadavres en rondelles, en fait, et combien de dingues étaient considérés comme de gentils excentriques par leurs voisins jusqu’au moment où ils décidaient de faire un carnage à la kalach? »
« Tout le monde restait entre soi, comme ça tout le monde avait l’impression d’avoir raison. »
« Ravagée par la pauvreté, les tentes, les bouts de tôle, de tissu et de plastique, la clairière y avait peut-être gagné une autre beauté, mais la trouver nécessitait de creuser un peu : c’était la beauté du désastre, la splendeur bancale conférée par la volonté de survivre et l’immense contradiction entre la nature si majestueuse et les constructions précaires, presque risibles, qui la piétinaient allègrement. La Nature, le grand autre contre lequel les habitants du campement avaient, peu ou prou, les mêmes armes que les trois petits cochons du conte. »
« On ne pouvait pas tout avoir. L’amour avec un grand A, la sécurité et la liberté étaient mutuellement exclusifs. »