World Trade Center, 47ème étage

Bruno Dellinger

191 pages

J’ai lu, 2004, Editions Robert Laffont, 2002

Un témoignage de plus sur le 11 septembre 2001? Oui

Identique aux autres? Non

Parce que Bruno Dellinger, Français expatrié et chef d’entreprise, n’a pas été tué dans les attentats, parce que physiquement il allait plutôt bien. Mais parce que les informations qu’il délivre dans ce récit, sur une année environ, sont celles du rescapé. L’un de ceux qui étaient dans la Tour numéro un, qui a entendu l’impact et qui est descendu par les escaliers depuis le 47ème étage. Il a pu sortir de la tour, il a pu se réfugier dans une banque après l’effondrement de la Tour deux et le nuage de fumée qui a tout envahi. Mais parce que le stress post-traumatique a été très important et que cela, les médias n’en ont pas beaucoup parlé. L’horreur s’était abattue sur New-York, le nombre de morts était considérable, alors les vivants ont été quelque peu oubliés.

C’est le récit haletant de cette journée effroyable, celui de l’indicible, de l’impossibilité à mettre des mots sur ce qui s’est passé. Bruno Dellinger croit tout d’abord à un accident. Tout s’enchaîne, les deux tours touchées, puis le Pentagone. Sur une cinquantaine de pages, on visualise à nouveau les images répétées en boucle dans le monde entier.

Mais le reste du livre, c’est le lent travail de reconstruction psychique que raconte Bruno Dellinger, le travail de reconstruction de sa société aussi. C’est sa tendresse pour cette Amérique si différente de l’Europe, où seul l’individu compte, mais où il doit s’en sortir seul aussi : trouver des bureaux, reconstituer ses fichiers clients, acheter des fournitures. L’élan de compassion s’arrête où le business reprend ses droits : tu veux reprendre ton activité professionnelle ? Tu vas devoir payer deux ou trois fois le prix d’avant!!! Mais c’est aussi une façon de survivre et de permettre à ses deux employés de surmonter aussi leurs souffrances, il faut continuer à avancer, même quand on préférerait rester dans l’hébétude.

Il nous raconte aussi sa terreur d’ouvrir son courrier, à cause de l’anthrax (j’avais oublié ces atteintes dans le mois qui a suivi la tragédie), son impression d’être seul parmi la foule, l’incompréhension des médecins, jusqu’à celle, bénévole dans un grouoe de soutien, qui va enfin l’écouter et lui permettre de confier enfin ses angoisses.

L’auteur nous livre ses réflexions sur la politique américaine du début des années 2000, sur son hégémonie. Facile de le lire avec 17 ans de recul et de constater que le récit était étrangement prémonitoire…

C’est un récit forcément touchant, mais sans pathos, un document que j’aurais aimé lire plus tôt. Et surtout, j’aimerais savoir si Bruno Dellinger a toujours cette phrase notée sur son Palm :

« Dum vita superest, bene est! » (Tant que la vie perdure, tout va bien! Casanova).

A découvrir absolument, pour avoir une vision de l’intérieur, avec le recul des années écoulées.

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Loup, y es-tu ?

Janine Boissard

413 pages

Éditions France Loisirs, 2010 (Éditions Robert Laffont 2009)

Vous rentrez chez vous un soir. Vous découvrez un petit garçon endormi sur votre paillasson. Quel réflexe avez-vous alors? Appeler la police, les pompiers? Mais lorsque vous regardez bien l’enfant et que lui vous fixe aussi, vous venez de comprendre que votre vie ne sera plus jamais la même. Car cet enfant, il a les yeux de votre sœur Agathe. Votre sœur, décédée il y a 4 ans dans un incendie en Sicile, après avoir disparu après une dispute mémorable entre vous.

Voilà ce qui arrive à Manon. Et le coup de téléphone lui enjoignant de sauver l’enfant la met dans tous ses états.

Au fil du roman, on suit les efforts de Manon pour aller à la recherche de son passé et de celui d’Agathe, au sein d’une famille marquée par un père à la fois absent et pervers et par une mère trop soumise. Ce passé dont elle ne pourra peut-être se défaire qu’en comprenant ce qui est vraiment arrivé à Agathe. Avec l’aide de Vic et Armelle, ses fidèles amies, de Juan, ancien reporter marqué par l’attentat qui a brisé sa vie, Manon va tout mettre en œuvre pour sauver le petit Mano des griffes d’un parrain de la mafia.

Plongée lumineuse dans Palerme et Syracuse, éclosion des sentiments si longtemps enfouis, mise en valeur de l’amitié, une jolie histoire racontée par la plume habile de Janine Boissard.

La beauté des jours

Claudie Gallay

404 pages

Actes Sud, 2017

Vous est-il déjà arrivé de croiser les regards des voyageurs dans le métro ou le train et d’essayer de deviner leur vie? Moi oui.

Mais Jeanne, la quarantaine, elle, va beaucoup plus loin. Elle suit des gens, elle invente, elle envisage. Pourtant, dans la vie de Jeanne, tout est bien réglé : un mari, deux filles, une famille qu’on retrouve tous les dimanches. Trop réglé peut-être. Parce que si cette routine la rassure, elle la bloque aussi. Et l’artiste serbe Marina Abramović (qui existe « en vrai »), qu’elle admire depuis son adolescence, lui sert de prétexte pour remettre sa vie en question.

Elle rencontre par hasard son premier amour, sa meilleure amie connaît une rupture, ses filles désertent la maison familiale, cet été semble finalement moins routinier qu’il n’y paraît.

Un très joli livre qui invite à réfléchir sur ce qui fait le sel de la vie, les habitudes qui naissent de ce que d’autres ont imaginé pour nous (les phrases de la mère de Jeanne sont tellement réductrices!), la peur du changement et de ce qu’il pourra induire, la façon dont l’art peut également permettre d’envisager le dépassement de soi et de ses propres doutes… ou de se rendre compte qu’on est très bien comme ça.

La découverte aussi d’une artiste dont je ne connaissais pas l’œuvre, très intéressante dans ses recherches de sublimation des relations humaines et des ressentis.

Une héroïne rêveuse et fantasque, au sein d’un univers banal, à qui il est donc facile de s’identifier, un livre qui fait du bien.

Mortel Caravage

Renée Bonneau

207 pages

Nouveau Monde Éditions, avril 2018

Décidément, mes lectures ce mois-ci m’ont ramenée vers l’histoire et notamment la Deuxième Guerre Mondiale et ses exactions.

Après les jeunes enfants arrachés à leurs parents pour intégrer le programme Lebensborn, après la douloureuse découverte de son ascendance allemande par un jeune magnat de l’immobilier New-Yorkais, voici un livre qui relate « l’ « aryanisation » des biens juifs » et notamment les œuvres d’art.

L’auteure est partie d’une probable copie du tableau « Judith décapitant Holopherne » du Caravage réalisée par le peintre lui-même au début du 18ème siècle, peu avant sa mort. On retrouve cette copie chez un galeriste d’art juif en 1941, Mathias Wengel. Mais c’est l’époque où les œuvres d’art sont pillées par les nazis et notamment Goering. Aussi Wengel décide-t-il de mettre à l’abri le tableau, avec l’aide de sa fille Judith.

Mais c’est sans compter l’acharnement d’un SS, ancienne connaissance de Judith, qui met en jeu un sordide contrat pour récupérer le tableau. Judith doit fuir et Wengel est arrêté. Bientôt la fin de la guerre, mais les Russes ont aussi envie d’art…

Ce court roman réussit à mettre en avant les méthodes des SS pour s’approprier des œuvres incomparables, ainsi que celles des Russes non moins condamnables. Le roman d’invention est très documenté (la première partie sur la réalisation du tableau par le Caravage notamment) et l’histoire de Judith et de son père est plausible au regard des faits réels rapportés après la libération.

Une découverte intéressante.