Orphelins 88

Sarah Cohen-Scali

430 pages

Editions Robert Laffont, Collection R, septembre 2018

Merci aux Editions Robert Laffont et à Babelio de m’avoir permis de découvrir ce livre dans le cadre de la rencontre proposée avec l’auteure le 24 septembre 2018 dans les locaux de Babelio. Rencontre passionnante avec une auteure habitée par son sujet et désireuse de faire partager ses recherches et ses pistes de réflexion.

J’ai lu beaucoup de témoignages sur la Deuxième Guerre Mondiale, mais certains sujets me sont moins familiers, et notamment le devenir de ces jeunes du programme eugéniste des nazis, le Lebesborn. Je regrette simplement de ne pas avoir pu lire au préalable Max, roman de la même auteure couronné de prix, qui relate le début dudit programme, puisque Orphelins 88 en est somme toute une forme d’écho. L’auteure a d’ailleurs indiqué durant la rencontre qu’elle avait « souhaité continuer à vivre avec son personnage », et ne pas laisser les nombreuses recherches historiques sans en faire quelque chose. Elle a ainsi décidé de traiter le sujet cette fois sous l’angle suivant : « mais que sont devenus ces enfants » après la guerre ?

Au début de l’histoire, le narrateur raconte comment il a été ramassé par les Américains et nommé Josh par eux, après être parti d’une Napola (école d’élite) allemande pour une autre au moment de la libération. Ayant perdu la mémoire, ce garçon est dans l’ambivalence permanente car, orphelin, il a été élevé dans la droite ligne du Reich, mais il cache sur son bras gauche un tatouage de numéro qui n’a pu être effectué que dans un camp de concentration.

C’est dans le centre d’Indersdof, en Bavière, où il a été recueilli, et qui va bientôt accueillir des centaines d’autres orphelins, que Josh va se rendre compte qu’il ne sait rien de sa vie d’avant la Napola, même pas son nom. Apparemment, il serait peut-être d’origine polonaise, puisqu’il cauchemarde en polonais…

Il a du mal à se lier avec les enfants de son âge « entre 10 et 12 ans » selon les médecins, et préfère les bébés qui ne reçoivent pas assez d’affection.

D’ailleurs, quand il se tourne vers les dortoirs des adolescents, il finit par se faire tabasser par les jeunes juifs car il parle aussi allemand dans son sommeil…

Bref, Josh pourrait bien succomber à une forme de schizophrénie, sans l’aide d’Ida, la directrice du centre, et de Wally, le jeune soldat américain qui l’a pris sous son aile et qui l’emmène se balader en voiture. Wally, c’est en quelque sorte le miroir américain de la ségrégation effectuée sous le régime nazi envers les Juifs et les Noirs : Josh découvre combien ces libérateurs donneurs de leçons sont eux-mêmes racistes envers leurs propres populations. Le témoignage de Wally est très intéressant pour éclairer cette partie méconnue de la Libération.

Lorsque Josh prend conscience de ses probables racines, il décide de partir à la recherche de sa famille dont il a été séparé.

Vie dans un orphelinat avec des enfants affluant de toutes parts, parcours dans l’Europe dévastée de l’après-guerre, rencontres amicales ou détestables, le roman nous fait entrevoir la dure existence de ces jeunes confrontés au racisme des populations toujours assoiffées de sang (pogroms en Pologne) malgré les années de guerre, dont on aurait pu croire qu’elles en sortiraient rassasiées. Mais les Russes sont là aussi…

Et quelques instants de lumière grâce aux livres découverts par Josh, ces livres qui le font voyager au-delà de la faim, de la misère et de la peur : « J’ai faim de mots presque autant que de nourriture. »

Un roman pour jeune adulte… moi qui suis une vieille adulte, j’ai une nouvelle fois pris une claque face aux horreurs perpétrées pendant et autour de la Deuxième Guerre Mondiale. Et je pense qu’il mériterait d’être étudié en classe tant les thèmes développés sont importants : qui suis-je sans racine? Puis-je construire un avenir si je ne connais pas mon passé ? Quand commence le racisme ?

La quête de l’identité est au cœur de ce roman très documenté, fruit des longues recherches menées par Sarah Cohen-Scali, une grande majorité des faits (voire même des personnages) décrits dans le roman étant basés sur la triste réalité de l’après-guerre. C’est un roman historique mais ce n’est pas que de l’Histoire : l’exercice d’équilibriste est maîtrisé, on s’attache vraiment aux personnages grâce à la construction romanesque et à l’écriture. On pourrait le lire comme des aventures qui peuvent arriver à des enfants, comme une course après le temps pour reconquérir leur passé, … tout en sachant à présent que cela a vraiment existé. Et combien le lecteur a des difficultés à quitter ces personnages une fois le livre refermé…

A ne surtout pas manquer!

Citations

« Après tout, est-ce que c’est si important, un prénom ? À quoi ça sert un prénom ? À obéir aux ordres. Machin, au rapport ! Truc, corvée de chiottes! Même pas. À la Napola, seuls le nom et le grade comptaient. »

« Je déteste les camions et j’aime les livres. Allez savoir pourquoi… C’est comme ça. Les camions me font peur, les livres m’apaisent, me font rêver. J’ai faim de mots presque autant que de nourriture. Je lis avec voracité. Je veux m’en fourrer plein la tête comme je m’en fourre plein la bouche pendant les repas. »

« Ce qu’il faudrait, c’est que je me coupe en deux : une moitié chez les rescapés des camps, une autre chez les Germanisés. Le docteur Philippe devrait me renvoyer à Gauting pour qu’on m’y opère. On me greffe une fermeture Éclair, comme ça je fais glisser le zip et le tour est joué. »

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2 réflexions sur « Orphelins 88 »

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