Tous complices

Nicci French

415 pages

Fleuve Noir, Univers Poche, 2011

Bonnie doit monter un groupe de musiciens pour jouer au mariage d’une de ses amies. Bonnie pioche parmi ses connaissances et un nouvel arrivé, Hayden, s’avère le plus talentueux. Mais le plus cynique aussi. Il vit aux crochets des uns et des autres, a une moralité douteuse et semble semer la zizanie partout où il passe. Mais Bonnie tombe amoureuse. Et voilà qu’Hayden meurt.

Qui donc a bien pu le tuer? Pour quelles raisons?

Bonnie relate dans des chapitres alternés les faits et gestes de chacun avant et après la mort d’Hayden.

L’histoire est finement orchestrée par le couple French, qui fait tourner le lecteur en bourrique, le héros malgré lui étant un homme tour à tour attachant et repoussant et les suspects potentiels nombreux. Le fait que l’histoire soit racontée par Bonnie, personnage central en tant que chef d’orchestre du groupe, est très habile car elle a une vision élargie des implications de la mort d’Hayden, et elle en est elle-même partie prenante. C’est gênant, déconcertant et donc hautement intéressant.

Mais pas le meilleur des Nicci French, car un peu lent à mon goût.

Je regrette par ailleurs le travail d’édition, car je crois n’avoir jamais lu un livre avec autant de fautes et d’oublis de mots…

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Orphelins 88

Sarah Cohen-Scali

430 pages

Editions Robert Laffont, Collection R, septembre 2018

Merci aux Editions Robert Laffont et à Babelio de m’avoir permis de découvrir ce livre dans le cadre de la rencontre proposée avec l’auteure le 24 septembre 2018 dans les locaux de Babelio. Rencontre passionnante avec une auteure habitée par son sujet et désireuse de faire partager ses recherches et ses pistes de réflexion.

J’ai lu beaucoup de témoignages sur la Deuxième Guerre Mondiale, mais certains sujets me sont moins familiers, et notamment le devenir de ces jeunes du programme eugéniste des nazis, le Lebesborn. Je regrette simplement de ne pas avoir pu lire au préalable Max, roman de la même auteure couronné de prix, qui relate le début dudit programme, puisque Orphelins 88 en est somme toute une forme d’écho. L’auteure a d’ailleurs indiqué durant la rencontre qu’elle avait « souhaité continuer à vivre avec son personnage », et ne pas laisser les nombreuses recherches historiques sans en faire quelque chose. Elle a ainsi décidé de traiter le sujet cette fois sous l’angle suivant : « mais que sont devenus ces enfants » après la guerre ?

Au début de l’histoire, le narrateur raconte comment il a été ramassé par les Américains et nommé Josh par eux, après être parti d’une Napola (école d’élite) allemande pour une autre au moment de la libération. Ayant perdu la mémoire, ce garçon est dans l’ambivalence permanente car, orphelin, il a été élevé dans la droite ligne du Reich, mais il cache sur son bras gauche un tatouage de numéro qui n’a pu être effectué que dans un camp de concentration.

C’est dans le centre d’Indersdof, en Bavière, où il a été recueilli, et qui va bientôt accueillir des centaines d’autres orphelins, que Josh va se rendre compte qu’il ne sait rien de sa vie d’avant la Napola, même pas son nom. Apparemment, il serait peut-être d’origine polonaise, puisqu’il cauchemarde en polonais…

Il a du mal à se lier avec les enfants de son âge « entre 10 et 12 ans » selon les médecins, et préfère les bébés qui ne reçoivent pas assez d’affection.

D’ailleurs, quand il se tourne vers les dortoirs des adolescents, il finit par se faire tabasser par les jeunes juifs car il parle aussi allemand dans son sommeil…

Bref, Josh pourrait bien succomber à une forme de schizophrénie, sans l’aide d’Ida, la directrice du centre, et de Wally, le jeune soldat américain qui l’a pris sous son aile et qui l’emmène se balader en voiture. Wally, c’est en quelque sorte le miroir américain de la ségrégation effectuée sous le régime nazi envers les Juifs et les Noirs : Josh découvre combien ces libérateurs donneurs de leçons sont eux-mêmes racistes envers leurs propres populations. Le témoignage de Wally est très intéressant pour éclairer cette partie méconnue de la Libération.

Lorsque Josh prend conscience de ses probables racines, il décide de partir à la recherche de sa famille dont il a été séparé.

Vie dans un orphelinat avec des enfants affluant de toutes parts, parcours dans l’Europe dévastée de l’après-guerre, rencontres amicales ou détestables, le roman nous fait entrevoir la dure existence de ces jeunes confrontés au racisme des populations toujours assoiffées de sang (pogroms en Pologne) malgré les années de guerre, dont on aurait pu croire qu’elles en sortiraient rassasiées. Mais les Russes sont là aussi…

Et quelques instants de lumière grâce aux livres découverts par Josh, ces livres qui le font voyager au-delà de la faim, de la misère et de la peur : « J’ai faim de mots presque autant que de nourriture. »

Un roman pour jeune adulte… moi qui suis une vieille adulte, j’ai une nouvelle fois pris une claque face aux horreurs perpétrées pendant et autour de la Deuxième Guerre Mondiale. Et je pense qu’il mériterait d’être étudié en classe tant les thèmes développés sont importants : qui suis-je sans racine? Puis-je construire un avenir si je ne connais pas mon passé ? Quand commence le racisme ?

La quête de l’identité est au cœur de ce roman très documenté, fruit des longues recherches menées par Sarah Cohen-Scali, une grande majorité des faits (voire même des personnages) décrits dans le roman étant basés sur la triste réalité de l’après-guerre. C’est un roman historique mais ce n’est pas que de l’Histoire : l’exercice d’équilibriste est maîtrisé, on s’attache vraiment aux personnages grâce à la construction romanesque et à l’écriture. On pourrait le lire comme des aventures qui peuvent arriver à des enfants, comme une course après le temps pour reconquérir leur passé, … tout en sachant à présent que cela a vraiment existé. Et combien le lecteur a des difficultés à quitter ces personnages une fois le livre refermé…

A ne surtout pas manquer!

Citations

« Après tout, est-ce que c’est si important, un prénom ? À quoi ça sert un prénom ? À obéir aux ordres. Machin, au rapport ! Truc, corvée de chiottes! Même pas. À la Napola, seuls le nom et le grade comptaient. »

« Je déteste les camions et j’aime les livres. Allez savoir pourquoi… C’est comme ça. Les camions me font peur, les livres m’apaisent, me font rêver. J’ai faim de mots presque autant que de nourriture. Je lis avec voracité. Je veux m’en fourrer plein la tête comme je m’en fourre plein la bouche pendant les repas. »

« Ce qu’il faudrait, c’est que je me coupe en deux : une moitié chez les rescapés des camps, une autre chez les Germanisés. Le docteur Philippe devrait me renvoyer à Gauting pour qu’on m’y opère. On me greffe une fermeture Éclair, comme ça je fais glisser le zip et le tour est joué. »

Écume de sang

Elizabeth Haynes

378 pages

Presses de la cité, 2012

Tellement emballée par le premier livre écrit et publié en français d’Elizabeth Haynes, Comme ton ombre, j’ai laissé passer quelques lectures avant de me plonger dans Écume de sang, de peur d’être déçue.

Mais j’ai tout de même été déçue…

L’histoire de départ est plutôt intéressante : Gennie a plaqué son boulot, son appartement, bref, sa vie d’avant à Londres pour retaper une péniche dans le Kent, le rêve de sa vie.

Mais la nuit suivant sa pendaison de crémaillère, une de ses anciennes connaissances, Caddy, est retrouvée morte noyée près de sa péniche.

Gennie ne veut pas dire qu’elle la connaissait, car Caddy et elle exerçaient une activité de danseuses de pole-dance dans un club pour messieurs. Et qu’un des proches du patron, Dylan, avait confié à Gennie un colis en toute discrétion, dont elle soupçonne qu’il n’est pas très légal.

Gennie ne sait plus trop vers qui se tourner, surtout lorsqu’elle se fait agresser sur sa péniche. Mais un gentil policier pourrait bien l’aider…

Alternance du passé et du présent qui permettent de découvrir l’histoire de Gennie à Londres, mais il y a beaucoup d’invraisemblances.

Pour moi le plus intéressant a été de découvrir la partie concernant la retape de la péniche, ainsi que celle des activités nocturnes de Gennie. Le reste est plutôt cousu de fil blanc, sauf un petit retournement qui fait sourire.

A lire pour se divertir, mais pas du tout dans la lignée du précédent ouvrage.

L’Absente de Noël

Karine Silla

442 pages

Éditions de l’Observatoire/Humensis, 2017

« Vous, les Occidentaux, vous avez l’horloge, nous, les Africains, nous avons le temps. »

Voilà qui pourrait résumer ce très beau roman de Karine Silla, auteure franco-sénégalaise. Sous prétexte de nous raconter l’histoire de la famille composée, recomposée et décomposée qui part à la recherche de Sophie, jeune idéaliste de 20 ans, Karine Silla propulse le lecteur dans un Sénégal haut en couleurs et en bruits, par contraste avec le froid Noël français.

Sophie est partie pour un voyage humanitaire dans ce pays et doit revenir pour fêter le réveillon en famille. Oui mais quelle famille!

Sophie ne rentre pas, alors presque d’un coup de tête, la seule chose plausible c’est d’aller la chercher.

C’est majoritairement Virginie, la maman protectrice de Sophie qui narre les événements et les ressentis, mais tour à tour, on explore les pensées des autres personnages. Le beau-père réparateur, Gabriel, essaie de maintenir les soupapes en-dessous du point de rupture.

Chloé, la sœur de Sophie, est jalouse de l’attention encore une fois portée à son aînée.

René, père de Virginie, grand-père de Sophie, est celui qui se montre le plus équilibré.

Antoine, le père de Sophie, ainsi que son épouse Fanny et leur fils Paul, vont se retrouver embarqués malgré eux dans l’aventure.

Et tout ce petit monde qui s’ignorait jusqu’alors va devoir cohabiter : dans un avion, puis dans un minibus, enfin dans un hôtel. Les rancœurs, les non-dits, la haine parfois vont enfin s’exprimer après tant d’années de mensonges et de souffrances.

N’eussent été les superbes descriptions du Sénégal, des odeurs, des bruits, des couleurs, des individus aux croyances ancestrales, on aurait pu croire à un huis-clos.

La confrontation des croyances et des modes de vie, ces instants transportés hors du temps habituel vont permettre à ces personnes que tout semble opposer de construire un pont, grâce à la sagesse et à l’humanité de Sénégalais très attachants.

Une très jolie découverte.