
Davide Enia
230 pages
Albin Michel, 5 septembre 2018
Je remercie les Éditions Albin Michel et Babelio pour m’avoir fait bénéficier via la masse critique du livre de Davide Enia pour la rentrée littéraire 2018.
Je découvre à la fois un écrivain, celui qui rédige, qui met en mot les faits et les sentiments, mais aussi, au travers de ce récit, un quasi journaliste, tant il est attaché à rapporter les événements.
Lampedusa, « l’île d’une île », la Sicile, est au coeur de l’ouvrage. « Lampedusa, un bouton sur la mer pour attacher deux continents ».
Voilà, tout est presque dit. La poésie qui se dégage de l’écriture permet une respiration dans l’horreur qui y est parfois décrite. Parce que c’est en effet la situation géographique exceptionnelle de Lampedusa qui en fait un carrefour migratoire, à 240 km de la Lybie. Et que Davide Enia, a recueilli pendant plus de trois ans la parole des amis, des médecins, des bénévoles, des plongeurs qui n’ont de cesse de sauver et d’apporter un sourire aux personnes rescapées des naufrages parce que « après ce qu’elles ont vécu, le minimum, c’est de les accueillir par un sourire, non? » et qu’il s’est attaché à les mettre sur papier.
J’entends déjà les mauvais coucheurs dire que certains de ces migrants ne fuient pas la guerre, ils veulent gagner l’Europe aussi pour des raisons économiques. Certes. Il n’en reste pas moins que quand on en est réduit à se retrouver sur la mer dans des conditions extrêmement précaires et qu’on y risque sa vie, c’est sans doute aussi parce qu’on n’a plus grand-chose à perdre, à part cette vie, justement.
Et c’est ce que j’aime dans ce livre : il n’y a aucun jugement, juste la relation des faits.
Le lecteur-spectateur voit surgir de vraies destinées dans ces migrants qui paraissent si semblables dans les reportages télévisés. « Ces gens qu’on avait devant les yeux, c’étaient des gens en chair et en os, pas des statistiques dans le journal ou des chiffres assénés à la télévision ».
J’ai été frappée par la répétition qui est faite des réactions face à un premier débarquement : pour plusieurs habitants de l´île, qui se pensaient très altruistes en général, le premier mouvement a été de s’enfermer, de se barricader. Et la honte immédiatement ressentie de cette réaction finalement humaine face à une situation inédite, qui a ensuite fait place à l’action. Cela donne tout de même à réfléchir… Et c’est aussi le propre de ce livre, d’amener le lecteur dans ses retranchements, tout en douceur.
Parce que ce n’est pas qu’un document sur l’étape migratoire qu’est devenue Lampedusa. Il s’agit ici aussi de la relation « mutique » entre Davide, écrivain, et son père, chirurgien cardiaque à la retraite qui l’accompagne sur l’île durant quelques jours, à deux reprises. Ils en apprennent sans doute plus l’un sur l’autre à cette occasion que toute leur vie.
Semés ici et là, ce sont aussi quelques souvenirs de l’enfance de Davide, des informations sur la culture sicilienne et italienne. Et en filigrane, le cancer de l’oncle de Davide, Beppe, auquel son père compare le triste destin des migrants « je ne sais pas si j’arriverai à t’expliquer… ces situations où n’importe qui dirait « Qu’est-ce que je vais faire? » sans recevoir de réponse. » »
On s’émeut, on pleure, on sourit (merci pour la blague racontée par le Kurde), on pleure à nouveau, on est horrifié face aux terribles naufrages. Mais l’écriture de Davide Enia nous enveloppe de douceur, de tendresse et de poésie. Il y a peu de commentaires de sa part, avec la difficulté qui est la sienne d’évoquer son ressenti.
Alors oui La loi de la mer est un livre dur, douloureux, mais il raconte aussi les rapprochements possibles, au sein des familles et entre les peuples.
Un superbe récit.