Le malheur du bas

Inès Bayard

268 pages

Albin Michel, 2018

Rentrée littéraire

Une vie banalement heureuse, un désir d’enfant, puis une sauvage agression qui remet tout en cause : Marie a été violée par son patron, n’a pas osé le dire à son entourage, même pas à son mari. De peur de tout perdre, de peur qu’il la regarde autrement. Et c’est la lente déchéance de la vie conjugale, mais également l’entrée dans une sorte de folie quand elle apprend qu’elle est enceinte. Le père de son enfant ne peut être que son violeur. Marie va donc reporter sa haine sur cet enfant.

On entre dans le livre par une effroyable scène, point final de ce qui est arrivé à Marie. Ce n’est qu’ensuite qu’on découvrira tout le processus qui l’a menée à cette extrémité. Toute la narration est au présent de l’indicatif, ce qui accentue cet ancrage dans le présent : le passé est aboli, il n’y aura pas d’avenir. La beauté de ce qui faisait la vie de Marie se pare bientôt de couleurs sombres, son univers se craquelle, ce qui lui plaisait la rebute désormais. Tout n’est que dégoût. Les descriptions sont claires, pas de place pour la minauderie : le corps peut exulter sous la passion, il peut aussi régurgiter sous l’indicible, c’est lui qui trahit ce que la bouche se refuse à dire.

Les questions posées par ce roman sont prégnantes : comment l’entourage d’une victime réagira-t-il face à cet aveu? Comment aider la victime ? Comment une femme à qui tout sourit peut-elle être ainsi amenée à garder ce secret, continuer à vivre, jusqu’à commettre l’irréparable? Quelle est vraiment la place de la femme dans la société moderne qui prône tant l’égalité des sexes? C’est la question de la dénonciation d’un acte qui pourrait entraîner la destruction d’une famille.

Un roman coup-de-poing, car le sujet, autant que le viol et ses conséquences sur une femme, c’est la plongée dans l’intimité d’un couple après un tel acte. Certains passages sont d’une telle violence qu’on voudrait venir en aide à Marie, même malgré elle.

Lu très vite, âmes sensibles s’abstenir, peu sensibilisés au sujet également… la psychologie d’une victime n’a rien à voir avec celle d’une personne lambda.

Bouleversant, une vraie claque.

Citations

« Il existe peu de femmes véritablement misanthropes, qui osent porter la responsabilité de ne pas être actives ni sociables. Le laisser-aller d’un homme est souvent considéré comme plus naturel, voire poétique. Celui de la femme est contre nature. »

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Eden Springs

Laura Kasischke

175 pages

PAGE A PAGE, 2018

Rentrée littéraire

Un très très court roman/fiction/récit de Laura Kasischke, car il ne fait réellement que 150 pages, le reste étant composé de photos et d’une postface de Lola Lafon sur le travail d’écriture de l’auteure, tant pour ce livre que pour ses autres ouvrages.

J’aime habituellement les livres de Laura Kasischke, mais j’ai su rapidement que je n’accrocherais pas à celui-ci : mi-fiction, mi-réalité, je ne m’y retrouve jamais. Donc ce roman ne fait pas exception.

Le prétexte : l’histoire de la communauté rassemblée à Ben Harbor, Michigan, autour d’un homme, Benjamin Purnell, au début du XXème siècle. Charismatique, il séduit les foules mais surtout les jeunes filles… qui bien souvent tombent enceintes de ses œuvres.

Un fossoyeur enterre un cercueil qui est censé contenir une femme âgée, mais dont il découvre qu’il s’agit d’une jeune femme. La police doit enquêter.

Laura Kasischke utilise sa recherche documentaire pour mettre en exergue quelques témoignages historiques et bâtir une fiction car les personnages sont inventés, sauf le principal, bien sûr. Elle réussit à recréer un univers qui semble lumineux avec le parc d’attractions d’Eden Springs, les vergers alentours, les habitants tout de blanc vêtus. Une ville dans la ville, à fortes retombées touristiques et économiques. Mais au-delà des apparences, se cache le sordide : rapports sexuels contraints avec de très jeunes filles pour les amener vers l’éternité, manipulation religieuse (on dirait sectaire aujourd’hui), relations et jalousie entre adeptes s’apparentant presque à un syndrome de Stockholm. Et un autre personnage central, Cora Moon, l’ex-enseignante devenue collaboratrice du gourou, qui œuvre dans l’ombre.

Je ne suis pas déçue de l’avoir lu car je savais à quoi m’attendre, mais je n’en garderai pas un souvenir impérissable…

j’ai par contre trouvé beaucoup d’intérêt à la postface de Lola Lafon.

Plus dure est la chute

Nina Sadowsky

314 pages

City Editions, septembre 2016

Chiné à une vente médiathèque, je ne regrette pas mon choix! Premier livre de Nina Sadowsky, scénariste et productrice à Hollywood, c’est aussi le seul publié en français à ce jour.

Ellie va se marier avec Rob. C’est le grand jour. Tout va être au mieux maintenant pour eux deux, un grand bonheur les attend. Ou pas.

Car c’est sans compter le passé de Rob qui le rattrape juste après le découpage du gâteau… et qui contraint Ellie à se soumettre au pire : exécuter les ordres de ses ravisseurs pour sauver son mari… exécuter… peut-être bien au sens propre!

Mais Ellie n’est sans doute pas aussi innocente qu’elle voudrait le faire croire. Mais si elle le retrouve, pourra-t-elle faire confiance à cet homme, son mari, que finalement elle ne connaît pas autant qu’elle le croyait ?

La majorité du roman se déroule sous le ciel nonchalant des Caraïbes, ce qui dénote avec la noirceur et le côté haletant du récit.

Encore une fois, ce roman présente une alternance de chapitres avant/maintenant mais l’ordre temporel est modifié sur les chapitres « avant », comme si on plongeait directement dans les souvenirs d’Ellie ou de Rob, bien qu’il n’y ait aucune narration à la première personne. Cela permet de découvrir l’enfance de chacun, les relations à leurs parents et à la violence qui va jaillir soudainement.

Par ailleurs, on distingue le métier premier de l’auteure dans les détails de « mise en scène » des personnages et des décors. J’ai vraiment eu l’impression de visualiser un film, d’embrasser une scène globale avant de me focaliser sur un détail.

Et le suspense est entier jusqu’au bout, ce qui ne gâche rien!

Un très bon moment de lecture.