Ciao Bella

Serena Giuliano

280 pages

Le Cherche-midi, 2019

Je remercie les éditions du Cherche-midi et Babelio pour l’envoi de ce livre dans le cadre de la rencontre avec l’auteure le 25 mars 2019.

Anna est enceinte de son deuxième enfant. Et consulte une psy. Parce qu’elle a des peurs, de toutes sortes, depuis toujours. Mais aussi et surtout à cause de sa première grossesse, qui s’est mal terminée.

Mais Anna ne supporte pas vraiment d’être assistée non plus. Alors elle râle. Elle se plaint. Elle se compare.

Et nous ressemble finalement beaucoup! Certes, son enfance n’a pas été toute rose entre un père joueur, une mère sévère et une sœur autiste… mais Anna avait sa nonna, sa grand-mère, celle qui lui permettait de s’échapper de cet univers qui ne lui convenait pas.

Alors Anna se confie à sa psy, mais nous lisons ses pensées, ses remarques, ses coups de gueule, ses traits d’humour. Et heureusement qu’elle en a, de l’humour!!! Alors de 2010 à 2018, et c’est ce qui fait le charme de ce livre, les réflexions tristounettes alternent avec des remarques à mourir de rire (dès le premier chapitre « une symphonie du moche en ré laideur » pour décrire le cabinet de consultation!). De très courts chapitres amènent un rythme soutenu, et dévoilent la réflexion sur le passé grâce à la résurgence des souvenirs et leurs conséquences sur le présent, avec cette volonté toujours présente d’en finir avec ces peurs qu’Anna sait irrationnelles, mais également d’aller enfin de l’avant.

La rencontre avec cette sympathique auteure a permis de mieux cerner l’approche scripturale. Serena Giuliano a en effet mis beaucoup d’elle dans le personnage d’Anna. Les peurs, ce sont les siennes. La volonté d’y échapper par l’écriture, idem. Et la nécessité de passer par une alternance de dialogue et de journal intime pour y instiller de l’humour et ne pas tomber dans le « pathos », allier rythme et chapitres courts, cela correspond à ce qu’elle aime lire. C’était plus facile de piocher dans son quotidien pour écrire, même si tout ne lui ressemble pas. L’auteure a également choisi de lever des tabous : non, toutes les jeunes mamans ne sont pas « gagas » de leur enfant, oui, aller voir un « psy » peut faire du bien et il n’y a pas à en avoir honte… et surtout une thérapie se conçoit sur du long terme !

Forte des rencontres virtuelles avec d’autres femmes sur son blog « wonder woman » et de l’appui de sa famille et de ses amies, Serena Giuliano a écrit Ciao Bella en se servant de sa propre expérience de petite fille venue d’Italie qui a dû s’adapter très vite à une autre culture, qui a conservé une grande tendresse pour sa « nonna » dont elle a pu prolonger le souvenir en la recréant dans son livre. La magie de l’écriture ! Se décrivant elle-même comme « un cerveau d’hyperactive dans un corps de feignante », Serena Giuliano est toujours en alerte pour noter des pensées et idées pour son blog ou ses livres.

Ciao Bella aborde des sujets très difficiles, tabous même pour certaines personnes, mais l’écriture alerte et l’humour en font un premier roman plein de fraîcheur avec un message de l’auteure à travers son personnage : il est possible d’apprendre à vivre avec son passé et de se servir de ses faiblesses pour en faire une force.

Une vraie réussite !

Citations

« C’est l’heure des dessins animés. Il y a Princesse Sarah. Je l’envie tellement. Tout le monde me dit que c’est triste ce qu’elle vit.

Mais elle n’a pas de parents et possède une magnifique poupée. Le rêve. »

« Je veux rentrer chez moi. Le problème, c’est que je ne sais plus du tout où c’est. »

« Elle est encore plus hypocondriaque que moi et nous avons la même formation en médecine : bac Doctissimo + 8. Avec spécialisation en recherches Google. »

« J’aime écrire car cela ne fait pas de bruit. L’écriture permet de crier en silence, de pleurer sans larmes, de communiquer sans paroles.

Parler, c’est terrifiant. »

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Presidio

Randy Kennedy

Traduit par Éric Moreau

345 pages

Éditions Delcourt Littérature, 2019

Texas, novembre 1972.

Troy a un jour décidé de ne plus rien posséder. Il vole donc des affaires dans les chambres d’hôtel et endosse l’identité du volé, ses vêtements et conduit sa voiture durant quelques temps avant de se débarrasser du tout pour recommencer avec un autre.

Le risque étant de se faire prendre… Mais Troy est toujours très prudent.

Jusqu’à ce que, après six ans d’une telle vie, il soit amené à aider son frère cadet Harlan, qui recherche son ex-femme Bettie, partie avec l’héritage de son père. Cette Bettie est une vieille connaissance de Troy… qui veut donc également la retrouver…

Les deux frères se mettent ainsi en quête, mais la voiture qu’ils volent contient un élément imprévu : une petite fille, Martha, qui va exiger d’eux qu’ils la ramènent près de son père au Mexique. A défaut, elle les dénoncera.

La première partie est majoritairement consacrée à la narration de la vie de Troy, alternant les notes qu’il a prises au fil de ses déplacements et la description de ce qu’il a fait. La seconde est plus axée sur les pérégrinations des deux frères et l’exposé de ce qui a conduit Martha à se retrouver loin de sa famille mennonite et notamment loin de son père. Ce père lui-même objet durant son enfance d’un long périple jusqu’au Manitoba.

Ça peut paraître lent, car Randy Kennedy ne propose pas énormément d’action. Mais cette lenteur convient bien aux descriptions du Texas, de ses longues étendues poussiéreuses, de la chaleur qui s’abat sur vous, de ces villages qu’il est possible de traverser incognito si on choisit les bonnes heures. Au travers du prisme de ses personnages, le lecteur regarde différemment ce paysage, s’imprègne de sa beauté et de fait, s’évade totalement.

Troy, amoral s’agissant de son rapport à la possession, se révèle malgré tout dans ses notes et ses actions attachant et plein d’humour. Les relations entre les deux frères, dont les personnalités sont aux antipodes, s’avèrent entachées de non-dits anciens et de rigidités, chacun campant sur ses positions : le premier vol commun de voiture est ainsi décrit de manière très drôle. De façon subtile, l’auteur nous laisse entrer dans l’intimité de ces hommes marqués par leur enfance et évoque avec pudeur les rapports à leurs parents.

L’arrivée de Martha dans leur périple va cependant les obliger à s’accorder durant un laps de temps. La petite fille, qui a déjà bien vécu malgré ses onze ans, propose un personnage à la fois très sûre d’elle et malgré tout avec des réactions de son âge. Et son implication dans l’histoire permet également l’évocation d’un pan de celle de son père et des « campos » mennonites au Mexique.

De New Cona à Presidio, voici un road-trip très complet que je verrais bien devenir un road-movie, tant les détails inhérents aux personnages et aux paysages sont précis. Les grandes étendues, la vieille guimbarde, les couchers de soleil mériteraient qu’on s’arrête instant pour les contempler, quitte à devoir ensuite s’ébrouer pour chasser la poussière.

Un grand merci aux Éditions Delcourt Littérature pour m’avoir permis de découvrir ce superbe premier roman.

Citations

« (…) ma véritable profession consiste à perpétuer une vie presque totalement affranchie de la propriété privée – tâche délicate et très précaire. »

« Si l’on portait le regard vers l’horizon, la prairie tout entière semblait encore être un plateau, pourtant des dunes basses s’y élevaient, dissimulées par leur uniformité, illusion d’optique rompue seulement quand le balancier noir d’un chevalet de pompage émergeait et disparaissait parmi elles, tirant sur sa tige à un rythme régulier. »