Nous les menteurs

Emily Lockhart

Traduit par Nathalie Peronny

277 pages

Éditions Gallimard Jeunesse, 2015

Un mot tout d’abord pour la couverture que je trouve superbe. Le nom de l’auteure et le résumé de la quatrième sont en relief. Le titre est lui est en taille douce, donnant l’impression (sans jeu de mots…!) de se confondre avec les adolescents que l’on voit se baigner. Une étonnante lumière entoure ces jeunes, tandis que l’île est plutôt sombre.

Beechwood, Masachussets, au large du cap Cod.

Cadence Sinclair est l’aînée des petits-enfants de Harris et Tipper Sinclair.

Dans cette richissime famille, rien ne doit déborder, tout est dans les apparences. Chaque année, toute la famille se retrouve dans les maisons bâties sur l’île privée de Beechwood, et les plus grands des enfants, Cadence, Johnny et Mirren, ainsi que Gat, neveu d’un des oncles, forment alors Les Menteurs.

Cadence souffre de grosses migraines, prend des médicaments, depuis un accident survenu il y a bientôt trois ans, l’année de ses quinze ans. Accident dont elle ne se souvient plus du tout.

Alors elle retourne sur l’île familiale pour essayer de rassembler ses souvenirs. Entre-temps, elle a voyagé en Europe, a essayé de contacter ses amis, mais sans succès. Pourtant, tout semble revenir à la normale durant ces vacances. Alors Cadence interroge ses cousins et amis, ses tantes sur cet accident qui lui semble crucial pour sa reconstruction mais au sujet duquel personne ne souhaite l’éclairer.

Emily Lockhart entraîne le lecteur au sein de cette famille élargie dans laquelle trois femmes, des sœurs, se disputent l’héritage du père et donc les maisons sur l’île, et font de leurs enfants leur porte-parole auprès de leur grand-père. Les maisons semblent des personnages à part entière du livre, tant les enjeux sont importants. Le racisme aussi est dénoncé par l’auteure au travers de la pièce rapportée dans le clan des enfants qu’est Gat, d’origine indienne.

Cadence nous narre sa relation à l’île, à ses tantes, ses cousins, ce grand-père si froid envers ses filles qui ne pourront jamais remplacer le fils qu’il n’a pas eu. Elle dévoile les histoires qu’elle s’invente pour s’évader aussi de ce contexte parfois compliqué à gérer. Elle évoque avec pudeur sa tendresse pour Gat, qui ne saurait plaire à son grand-père.

Beaucoup de poésie dans ce livre estampillé jeunesse, mais qui est tout à fait adapté aux adultes et dont la chute est aussi surprenante qu’effroyable.

J’ai beaucoup aimé.

Publicité

Grégoire et le vieux libraire

Marc Roger

237 pages

Éditions Albin Michel, 2019

Grégoire a 18 ans et tout raté, il se cherche, sa mère couturière voudrait le voir partir. Alors elle lui dégote une place d’agent de service hospitalier au sein de l’Epahd Les Bleuets. Et c’est lui qui raconte son histoire.

Le vieux libraire, c’est Monsieur Picquier. De sa bibliothèque initiale de trente mille volumes, il n’a pu en garder qu’un dixième, qui tapisse tous les murs de sa petite chambre de l’Epahd. Atteint de la maladie de Parkinson et d’un glaucome, homosexuel, c’est un dandy qui a du mal à gérer sa déchéance physique.

Ces deux hommes aux antipodes, celui en devenir et celui qui s’est accompli, vont se trouver autour de la lecture. Car c’est une sorte de rite initiatique que propose Marc Roger, jouant l’entremetteur entre le lecteur et son ouvrage, à la découverte d’auteurs méconnus ou délaissés.

C’est donc l’histoire d’un jeune homme non lecteur qui va être sauvé par la lecture.

Son sens critique qui se développe au fil des découvertes fait basculer l’apprenti lecteur qui veut ensuite lire ce qu’il veut et non plus ce qu’on lui impose.

Car M. Picquier lui a imposé non seulement les livres, mais le rythme de la lecture, les pauses, les inflexions de voix, tel un compagnonnage et un chemin spirituel qui l’amènerait à devenir lui-même un lecteur accompli.

Au travers d’autres personnages hauts-en-couleur, Marc Roger dénonce en parallèle les abus sexuels, le quotidien dans les structures d’accueil de personnes âgées (qu’il connaît bien pour y intervenir fréquemment), l’induction prédictive de la scolarité ratée sur le devenir d’un adolescent et la soumission au regard de l’autre.

La rencontre avec l’auteur au sein de la librairie Folies d’encre d’Aulnay-sous-Bois le 16 février 2019 a permis d’éclairer la construction du livre : même si cela n’apparaît pas, Marc Roger a écrit la biographie du vieux libraire, de façon à garder une cohérence sur l’enchaînement des événements de sa vie ; s’agissant des citations, le choix des œuvres a été réalisé pour leur permettre «  d’être le déclencheur de la situation à venir ».

Après avoir écrit des récits de voyage, Marc Roger s’est essayé au roman, et c’est une vraie réussite. J’ai eu un coup de cœur pour ce livre qui allie des références littéraires très fouillées à un humour parfois potache, et crée un attachement particulier à ces deux hommes, le jeune et le vieux, qui se rejoignent grâce à la lecture.

Citations

« – Le syndrome du membre fantôme. Oui, parfois, le membre amputé te démange, tu ne peux pas te gratter et ça vire au cauchemar. Imagine ! Vingt-sept mille livres que je ne peux plus feuilleter. »

« Mes livres et mes archives sont à la fois ma garde, mes épouses et mes soldats, et en brûlant, leurs cendres mélangées aux miennes pourront servir d’engrais à un arbre, qui sait ? L’audace serait qu’on me disperse dans une usine de pâte à papier ! Le délire, Grégoire. (…) Ma mégalomanie enfin comblée ! Le nombre de livres à la fabrication desquels je serais ainsi mêlé. »

Là où elle repose

Kimberley McCreight

Traduit par Elodie Leplat

412 pages

Le Cherche Midi, 2016

Lu 9/03/2019

Ridgedale, New Jersey. Avocate de formation, et arrivée un an et demi plus tôt dans la petite ville avec son mari Justin et leur fille Ella, Molly Sanderson écrit dans les pages culturelles du journal local, The Ridgedale Reader.

Mais un matin tôt, en l’absence de son collègue malade, Erik le rédacteur en chef, lui demande d’enquêter sur la mort d’un nourrisson.

Molly se retrouve donc à enquêter près du campus de l’université et y fait la connaissance de Steve le commissaire et de Deckler, un agent de sécurité du campus. Elle essaye donc de rassembler des informations concernant cette mort malgré les réticences de son mari qui s’inquiète pour elle, car elle a perdu leur deuxième enfant et se relève à peine d’une grave dépression. Justin pense qu’elle n’arrivera pas à mener cette enquête jusqu’au bout sans grosses difficultés. Néanmoins Molly le rassure et en fait ça devient une délivrance que de pouvoir travailler sur cette affaire, de se sentir à nouveau en vie et de pouvoir effectuer quelque chose qui rende justice à cet enfant.

En parallèle, on découvre la vie d’autres personnages, Barbara voisine de Molly et épouse de Steve, très à cheval sur la discipline pour ses enfants, Stella, dont le fils Will est dans la même classe qu’Ella, Sandy, une jeune fille qui pourrait élever son niveau social par des études, …

En fait, on ne comprend pas au début qui sont tous ces personnages, quel est leur intérêt dans l’enquête que mène Molly, et puis, au fil des chapitres, on découvre des informations concernant chacun d’eux (et bien d’autres, trop sans doute, j’ai eu quelque mal à associer les couples!) et on se rend compte que tout est lié depuis finalement fort longtemps!

Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler le suspense, le rythme est assez lent mais c’est très bien ficelé, j’ai eu des avis qui se sont modifiés au fil du livre car il y a pas mal de twists!

Et j’ai beaucoup aimé.

Citation

« ‘Tu ne peux pas simplement contacter le Reader pour qu’ils le retirent, ou qu’ils tracent le mail de la personne, ou que sais-je ? »

Il secoua la tête. « Premier amendement. Il n’y a pas de menace tangible, et être un connard est un droit constitutionnel.(…) » »