Meurtres à l’Académie

Jô Soares, traduit par François Rosso

281 pages

Editions des Deux Terres, 2008, Le Livre de Poche, 2009

Lu 10 février 2019

Le commissaire Machado Machado, mal habillé mais toujours coiffé de son panama, doit enquêter sur des morts mystérieuses qui affectent les soi-disants immortels de l’Académie des lettres de Rio de Janeiro. Fait troublant, le premier de la série, Belizário Bezerra, qui est décédé durant sa cérémonie de réception, avait écrit un obscur ouvrage décrivant « la mort par assassinat de la totalité des membres de l’Académie ». De là à imaginer une malédiction, il n’y a qu’un pas.

Mais Machado, aidé de son ami le légiste Penna-Monteiro, s’inquiète plutôt de probables empoisonnements. De genre inconnu et sans trace de la manière dont ils sont administrés.

Et le mystère s’épaissit quand Machado reçoit des missives anonymes en forme de rébus.

Séducteur dans l’âme malgré l’importance de sa charge, le commissaire n’hésite pas à honorer de ses faveurs les belles qu’il interroge au cours de son enquête.

Ronds-de-jambes des incultes pour accéder au fauteuil d’élu, mafia locale, cohorte de personnages venus d’horizons divers sont au cœur de l’histoire.

Semé de dessins et de photos, d’affiches et d’encarts de journaux, ce polar primé plein d’humour et de second degré mais très documenté se lit très vite (et s’oublie de même!). A conseiller pour une lecture de vacances ou d’avion.

Citations

« En somme, comme à toutes les funérailles, la seule personne vraiment silencieuse était le défunt. »

« Aucun doute n’était permis au sujet du talent de Belizário Bezerra : en tant qu’écrivain, la postérité lui réserverait le plus grand anonymat. L’insipidité était sa muse inspiratrice, et, avec une ténacité surprenante, il pontifiait en plusieurs langues sur des sujets dont il ne savait rien. »

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Ciao Bella

Serena Giuliano

280 pages

Le Cherche-midi, 2019

Je remercie les éditions du Cherche-midi et Babelio pour l’envoi de ce livre dans le cadre de la rencontre avec l’auteure le 25 mars 2019.

Anna est enceinte de son deuxième enfant. Et consulte une psy. Parce qu’elle a des peurs, de toutes sortes, depuis toujours. Mais aussi et surtout à cause de sa première grossesse, qui s’est mal terminée.

Mais Anna ne supporte pas vraiment d’être assistée non plus. Alors elle râle. Elle se plaint. Elle se compare.

Et nous ressemble finalement beaucoup! Certes, son enfance n’a pas été toute rose entre un père joueur, une mère sévère et une sœur autiste… mais Anna avait sa nonna, sa grand-mère, celle qui lui permettait de s’échapper de cet univers qui ne lui convenait pas.

Alors Anna se confie à sa psy, mais nous lisons ses pensées, ses remarques, ses coups de gueule, ses traits d’humour. Et heureusement qu’elle en a, de l’humour!!! Alors de 2010 à 2018, et c’est ce qui fait le charme de ce livre, les réflexions tristounettes alternent avec des remarques à mourir de rire (dès le premier chapitre « une symphonie du moche en ré laideur » pour décrire le cabinet de consultation!). De très courts chapitres amènent un rythme soutenu, et dévoilent la réflexion sur le passé grâce à la résurgence des souvenirs et leurs conséquences sur le présent, avec cette volonté toujours présente d’en finir avec ces peurs qu’Anna sait irrationnelles, mais également d’aller enfin de l’avant.

La rencontre avec cette sympathique auteure a permis de mieux cerner l’approche scripturale. Serena Giuliano a en effet mis beaucoup d’elle dans le personnage d’Anna. Les peurs, ce sont les siennes. La volonté d’y échapper par l’écriture, idem. Et la nécessité de passer par une alternance de dialogue et de journal intime pour y instiller de l’humour et ne pas tomber dans le « pathos », allier rythme et chapitres courts, cela correspond à ce qu’elle aime lire. C’était plus facile de piocher dans son quotidien pour écrire, même si tout ne lui ressemble pas. L’auteure a également choisi de lever des tabous : non, toutes les jeunes mamans ne sont pas « gagas » de leur enfant, oui, aller voir un « psy » peut faire du bien et il n’y a pas à en avoir honte… et surtout une thérapie se conçoit sur du long terme !

Forte des rencontres virtuelles avec d’autres femmes sur son blog « wonder woman » et de l’appui de sa famille et de ses amies, Serena Giuliano a écrit Ciao Bella en se servant de sa propre expérience de petite fille venue d’Italie qui a dû s’adapter très vite à une autre culture, qui a conservé une grande tendresse pour sa « nonna » dont elle a pu prolonger le souvenir en la recréant dans son livre. La magie de l’écriture ! Se décrivant elle-même comme « un cerveau d’hyperactive dans un corps de feignante », Serena Giuliano est toujours en alerte pour noter des pensées et idées pour son blog ou ses livres.

Ciao Bella aborde des sujets très difficiles, tabous même pour certaines personnes, mais l’écriture alerte et l’humour en font un premier roman plein de fraîcheur avec un message de l’auteure à travers son personnage : il est possible d’apprendre à vivre avec son passé et de se servir de ses faiblesses pour en faire une force.

Une vraie réussite !

Citations

« C’est l’heure des dessins animés. Il y a Princesse Sarah. Je l’envie tellement. Tout le monde me dit que c’est triste ce qu’elle vit.

Mais elle n’a pas de parents et possède une magnifique poupée. Le rêve. »

« Je veux rentrer chez moi. Le problème, c’est que je ne sais plus du tout où c’est. »

« Elle est encore plus hypocondriaque que moi et nous avons la même formation en médecine : bac Doctissimo + 8. Avec spécialisation en recherches Google. »

« J’aime écrire car cela ne fait pas de bruit. L’écriture permet de crier en silence, de pleurer sans larmes, de communiquer sans paroles.

Parler, c’est terrifiant. »

Presidio

Randy Kennedy

Traduit par Éric Moreau

345 pages

Éditions Delcourt Littérature, 2019

Texas, novembre 1972.

Troy a un jour décidé de ne plus rien posséder. Il vole donc des affaires dans les chambres d’hôtel et endosse l’identité du volé, ses vêtements et conduit sa voiture durant quelques temps avant de se débarrasser du tout pour recommencer avec un autre.

Le risque étant de se faire prendre… Mais Troy est toujours très prudent.

Jusqu’à ce que, après six ans d’une telle vie, il soit amené à aider son frère cadet Harlan, qui recherche son ex-femme Bettie, partie avec l’héritage de son père. Cette Bettie est une vieille connaissance de Troy… qui veut donc également la retrouver…

Les deux frères se mettent ainsi en quête, mais la voiture qu’ils volent contient un élément imprévu : une petite fille, Martha, qui va exiger d’eux qu’ils la ramènent près de son père au Mexique. A défaut, elle les dénoncera.

La première partie est majoritairement consacrée à la narration de la vie de Troy, alternant les notes qu’il a prises au fil de ses déplacements et la description de ce qu’il a fait. La seconde est plus axée sur les pérégrinations des deux frères et l’exposé de ce qui a conduit Martha à se retrouver loin de sa famille mennonite et notamment loin de son père. Ce père lui-même objet durant son enfance d’un long périple jusqu’au Manitoba.

Ça peut paraître lent, car Randy Kennedy ne propose pas énormément d’action. Mais cette lenteur convient bien aux descriptions du Texas, de ses longues étendues poussiéreuses, de la chaleur qui s’abat sur vous, de ces villages qu’il est possible de traverser incognito si on choisit les bonnes heures. Au travers du prisme de ses personnages, le lecteur regarde différemment ce paysage, s’imprègne de sa beauté et de fait, s’évade totalement.

Troy, amoral s’agissant de son rapport à la possession, se révèle malgré tout dans ses notes et ses actions attachant et plein d’humour. Les relations entre les deux frères, dont les personnalités sont aux antipodes, s’avèrent entachées de non-dits anciens et de rigidités, chacun campant sur ses positions : le premier vol commun de voiture est ainsi décrit de manière très drôle. De façon subtile, l’auteur nous laisse entrer dans l’intimité de ces hommes marqués par leur enfance et évoque avec pudeur les rapports à leurs parents.

L’arrivée de Martha dans leur périple va cependant les obliger à s’accorder durant un laps de temps. La petite fille, qui a déjà bien vécu malgré ses onze ans, propose un personnage à la fois très sûre d’elle et malgré tout avec des réactions de son âge. Et son implication dans l’histoire permet également l’évocation d’un pan de celle de son père et des « campos » mennonites au Mexique.

De New Cona à Presidio, voici un road-trip très complet que je verrais bien devenir un road-movie, tant les détails inhérents aux personnages et aux paysages sont précis. Les grandes étendues, la vieille guimbarde, les couchers de soleil mériteraient qu’on s’arrête instant pour les contempler, quitte à devoir ensuite s’ébrouer pour chasser la poussière.

Un grand merci aux Éditions Delcourt Littérature pour m’avoir permis de découvrir ce superbe premier roman.

Citations

« (…) ma véritable profession consiste à perpétuer une vie presque totalement affranchie de la propriété privée – tâche délicate et très précaire. »

« Si l’on portait le regard vers l’horizon, la prairie tout entière semblait encore être un plateau, pourtant des dunes basses s’y élevaient, dissimulées par leur uniformité, illusion d’optique rompue seulement quand le balancier noir d’un chevalet de pompage émergeait et disparaissait parmi elles, tirant sur sa tige à un rythme régulier. »

L’aigle de sang

Marc Voltenauer

511 pages

Slatkine et Cie, 2019

Au tout début, il y a une couverture : le visuel de ce coucher de soleil sur un hameau de maisons. Derrière, au verso, il y a une carte : Gotland, l’île et ses principales villes.

Ça commence plutôt bien.

Ensuite, il y a l’histoire. Celle de la recherche des origines de l’inspecteur Andreas Auer, qui, délaissant la Suisse et ses enquêtes, va se ressourcer dans la maison familiale de Gotland, petite île entre Suède et Estonie.

Et le lecteur est plongé dans la fin des années 70, avec une bande de copains qui décident de remettre au goût du jour une société secrète perpétuant les pratiques des Vikings. Andreas va comprendre que son destin s’est noué à ce moment-là en interrogeant, 38 ans après, ceux qui pourraient l’aiguiller sur ses origines. Car il se heurte rapidement au manque de collaboration de certains protagonistes, voire à leur hostilité.

Il est excessivement difficile de parler de ce livre sans en dévoiler l’intrigue. Alors je vais de nouveau me pencher sur la forme.

La construction est celle d’un roman de Camilla Läckberg : alternance de chapitres évoquant le passé puis le présent. Mais la force de Marc Voltenauer, qui revendique d’ailleurs cette influence, c’est que les chapitres sont courts, ce qui évite de se perdre dans l’histoire – ou dans les histoires, devrais-je dire. Car finalement on remonte encore bien avant les années 70, pour découvrir des faits qui vont nourrir le passé plus récent et le présent.

Un autre point fort réside dans l’attachement que crée l’auteur autour du personnage d’Andreas. Je l’ai découvert dans Qui a tué Heidi? Il y était au début dans une mauvaise passe professionnelle, puis réhabilité, c’est sa vie personnelle qui est impactée. Et dans L’aigle de sang, on comprend qu’Andreas a non seulement besoin de s’interroger sur lui-même, de connaître l’origine de ces cauchemars qui l’accablent chaque nuit, mais également de mettre une distance avec ses proches après les terribles événements survenus dans le précédent opus. C’est un homme en déroute, qui heureusement garde ses réflexes de policier, mais qui est profondément touché au fur et à mesure qu’il progresse dans sa quête. Et, ce faisant, il nous touche aussi.

Par ailleurs, la multiplicité de personnages ne m’a pas gênée ici. Elle permet à l’auteur de nous laisser errer entre différents coupables, différentes voies, et si ça m’agace prodigieusement quand je m’égare, cela maintient totalement en haleine. Et nous entraîne de la Suisse à la Suède, et de Gotland à Paris.

Enfin, l’écriture. J’aime lire, mais je n’aime pas, généralement, les descriptions. Sauf si elles sont bien tournées. Et c’est le cas ici. J’ai aimé les mises en scène du clan viking, je me suis délectée des promenades d’Andreas. Parce que Marc Voltenauer s’est beaucoup documenté, qu’il a rencontré des professionnels (policiers des différents pays, archéologue, …), parce qu’il connaît bien Gotland et qu’il y a rédigé son ouvrage, le lecteur se trouve immergé dans l’histoire, dans la géographie de l’île, visualise les scènes tel un film. Et tout y est : les explications sont données, rien n’est laissé en suspens, on referme le livre avec la réponse à toutes les questions qu’on aurait pu se poser au fil de la lecture. Cette écriture à la fois pleine de poésie en description et alerte dans l’action m’a embarquée jusqu’au bout et laissée pantoise en bout de course.

Lu d’une seule traite, en une journée, ce livre est assurément un coup de cœur! A quand l’adaptation cinématographique ?

Je remercie infiniment les Éditions Slatkine et Cie (merci Marion!) pour m’avoir adressé cet ouvrage et invitée à la rencontre avec l’auteur le 25 mars 2019.

Et je remercie chaleureusement Marc Voltenauer pour son accueil, sa gentillesse, pour les réponses qu’il a bien voulu m’apporter lors de mon quasi « interrogatoire » à cette occasion. 😉 C’était un moment très sympathique et convivial qui m’a permis d’apprécier l’auteur au-delà de son œuvre.

Citations

« C’était l’histoire de sa vie. Une existence tout en contrastes, entre des teintes éclatantes et blafardes, le clair et l’obscur, le flou, la netteté. La toile reflétait aussi la polarité entre sa vie passée et présente, entre une enfance désenchantée dans un village isolé et l’émerveillement de l’âge adulte dans une ville fourmillante, entre une lente déchéance et une ascension fulgurante, un gris pâle et terne évincé par un vert radieux. »

« – Tu as trouvé ?

⁃ Celui que j’étais censé être semble ne pas avoir existé. »

« Andreas était fasciné par la vie sauvage et la faune. Plus il passait du temps avec les humains en général, plus il avait envie de se retrouver dans la nature en compagnie d’animaux. »