Miriam Toews
Traduction Lori Saint-Martin et Paul Gagné
227 pages
Éditions Buchet et Chastel, 22 août 2019
Reçu dans le cadre d’une rencontre avec l’auteure le 26 juin 2019, pour une publication lors de la rentrée littéraire d’automne 2019, je remercie les Éditions Buchet et Chastel et Babelio pour m’avoir adressé cet ouvrage.
Miriam Toews évoque dans ce livre un fait divers relaté dans le journal The Guardian : des femmes mennonites qui ont dénoncé les violences physiques et sexuelles dont elles ont été victimes, de la plus jeune à la plus âgée, par certains membres masculins de leur communauté.
L’auteure a fait partie de cette communauté de chrétiens baptistes très fermée, dans laquelle les droits des femmes sont inexistants. Sa colère à la lecture du fait divers a donné lieu à un livre qui expose, sous forme de compte-rendu écrit par l’instituteur du village, les tergiversations de huit femmes durant quarante-huit heures : ce laps de temps qui permettrait aux hommes de la communauté emprisonnés de voir payée leur caution doit en effet permettre aux femmes de décider si elles vont partir ou rester dans la communauté.
Trois axes se dégagent ainsi : « Voilà qui nous ramène une fois de plus à nos trois raisons de partir, toutes valables. Nous voulons que nos enfants soient en sécurité. Nous voulons préserver notre foi. Et nous voulons pouvoir penser. »
August, l’instituteur, amoureux silencieux d’Ona, n’est pas considéré comme un homme par les autres. C’est ce qui lui permet d’être intégré par les femmes. Et comme celles-ci sont illettrées, il est le seul qui peut écrire les débats. Il aura également la charge de rééduquer les jeunes garçons et ensuite les jeunes filles pour leur permettre une émancipation des pratiques fondamentalistes de la communauté.
August se réfère fréquemment à Flaubert car il a vécu hors de la communauté et respecte les auteurs classiques. Il s’agit de reprendre le rôle fondamental de l’enseignement par l’amour et non par la violence prônée par les chefs de la communauté. Flaubert n’a-t-il pas écrit « Je suis Madame Bovary »?
Les caractéristiques des huit femmes ont été choisies par l’auteure dans les femmes de son entourage, sa mère, sa soeur, sa meilleure amie, sa fille, la meilleure amie de sa fille, …
Ce roman-témoignage (je le classe ainsi dans la catégorie des documents pour son apport à la connaissance de la communauté mennonite) est étouffant de violence : on la sent dans les propos tenus, dans les cris de certaines des femmes, dans les silences parfois. Et à certains instants, les jeunes filles apportent un peu de luminosité par leurs rires et leurs facéties, offrant ainsi au lecteur une petite respiration. Pour mieux replonger ensuite dans la discussion animée dont on voudrait extirper très vite ces femmes, les soulager d’un poids trop lourd à porter en prenant la décision à leur place.
Et on souffre aussi pour August et son amour malheureux, mais qui sera sauvé de la dépression par le fait d’avoir été le témoin actif de la discussion et son scribe consciencieux.
Il s’agit presque également un essai philosophique, avec ce questionnement autour de pardon, du pouvoir et de son exercice, de l’amour et de la connaissance.
J’ai donc lu cet ouvrage par morceaux, en alternance avec d’autres plus légers, car les thèmes abordés sont très profonds et malheureusement d’actualité. Et malgré la difficulté d’appréhension de l’écriture au début, il faut le lire absolument car il dénonce les actes bien connus de l’intérieur mais trop souvent cachés à l’extérieur… pour le malheur des nombreuses femmes qui en sont victimes.