Hong Kong Gang

Ma Kafai

Traduction de Stéphane Lévêque et Jean-Claude Pastor, sous la direction de Vera Su

414 pages

Éditions Slatkine & Cie

Je remercie les Éditions Slatkine & Cie de m’avoir adressé cet ouvrage, dont l’éditrice Vera Su m’avait vanté les mérites lors de notre discussion le 16 juin 2019 dans leurs locaux. Vera Su m’avait prévenue que le début pouvait me paraître difficile et qu’il fallait s’accrocher… alors je l’ai écoutée !

Hong Kong Gang est un roman, fruit des recherches de l’auteur, Ma Kafai, sur les agissements des Triades avant et durant la Deuxième Guerre Mondiale en Chine et plus précisément à Hong-Kong, auxquelles il a mêlé des anecdotes.

On y suit dès 1934 la vie mouvementée d’un jeune homme de 17 ans, Luk Pakchoi, ébéniste de métier, qui, deux ans plus tard, pour fuir sa femme nymphomane, s’enrôle dans l’armée, déserte et se déplace vers Canton puis Hong-Kong.

Rien ne reste de l’ancienne vie paisible du jeune homme : Hong-Kong, c’est la ville qui bruit, avec ses pousse-pousse, ses prostituées, ses tuiles de Mah-jong qui claquent, ses petits -ou très gros trafics- en tous genres. Car malgré, ou avec l’accord, de l’administration britannique, la pègre régente la ville. Et Pakchoi va devoir s’y plier, jusqu’à y prendre très rapidement une part active, en devenant lui-même un chef d’une « société » criminelle, Sun Xing. Tout en cachant sa liaison interdite avec un espion anglais

Et tout se joue sous fond de l’invasion prochaine des soldats Japonais, prêts à conquérir la Chine via cette île si proche.

Le début m’a vraiment rebutée, car j’avais l’impression de ne lire que les désirs et prouesses sexuelles des uns et des autres. Passant rapidement sur le sujet, j’ai essayé de me concentrer sur l’arrière-fond, ce que m’apprenait le roman des activités des triades, de la vie de la population chinoise sous la férule britannique, des superstitions et de cette partie de l’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale que je ne connaissais pas bien.

Et j’ai beaucoup appris. La cruauté était de mise, l’esclavagisme sexuel, mais les « sociétés » collaboraient également avec le colon anglais pour maintenir un ordre précaire sur l’île. Puis, lorsqu’il a pris le commandement, avec l’envahisseur japonais… J’y ai donc croisé la duplicité, les retournements de veste, et suivi le parcours d’un homme qui ne s’est jamais révélé être à ses propres yeux un véritable chef, trop soucieux de conserver ses secrets intimes au sein d’un univers où il risquait son honneur et sa peau quotidiennement. Le combat intérieur de Pakchoi est remarquablement mis en scène par l’auteur, il s’encourage en permanence, craignant de perdre la face devant ses subordonnés ou ses ennemis.

Je ne suis pas sûre que ce roman qui a connu le succès en Asie rencontre une audience aussi importante en Occident. Mais ce serait dommage, car l’écriture est facile d’accès et, sous couvert de l’histoire d’un homme, entre amours et désillusions, soif de pouvoir et détresse intime, Ma Kafai expose un pan de l’histoire contemporaine de la Chine que j’ai finalement apprécié.

Citations

« Tant que vous pouvez encore jouer, rien n’est perdu, aussi longtemps que vous restez à la table de jeu, il reste un espoir. Et même si vous la quittez, vous pourrez toujours y revenir. Tant que les tuiles sont là, le joueur aussi, et tant qu’il est là, la possibilité existe de rafler la mise. »

« C’était comme si, bizarrement, le ciel avait décidé que dès qu’il apprenait le secret de quelqu’un, l’intéressé lui défonçait le crâne. L’arme la plus redoutable de toutes, c’étaient les secrets, ces secrets qui mettaient sa vie en danger. »

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Le murmure de l’ogre

Valentin Musso

501 pages

Éditions Points, 2013, Éditions du Seuil, 2012

J’ai eu le plaisir de rencontrer l’auteur Valentin Musso au salon du livre Saint-Maur en poche de juin 2019. J’ai beaucoup aimé pouvoir discuter quelques instants avec lui d’un de ses précédents livres que j’avais lu, Une vraie famille, qui m’avait énormément plu.

Là je me suis lancée dans la lecture de ce livre qui n’a strictement rien à voir….

On suit en effet un psychiatre, Frédéric Berthellon, et un commissaire, Louis Forestier, membre des brigades du Tigre à Nice. Tous deux se sont rencontrés lors de la Grande guerre et vont allier leurs efforts pour dénicher un tueur en série. Ce dernier s’en prend d’abord aux prostituées, puis à de jeunes enfants, ce qui émeut la police puis l’opinion publique. Frédéric va devoir effectuer un vrai travail de profilage pour aider la police dans sa traque du monstre.

Ce qui me plaît beaucoup dans l’écriture de Valentin Musso d’emblée, c’est toute la richesse de ses lettres, des descriptions qui m’obligent à consulter mon dictionnaire, j’adore ! Se replonger dans les années 1920, dans une France encore meurtrie par les horreurs de la guerre, dans ces recoins de Nice un peu surannés…

Mais ce qui m’impressionne, c’est également la somme des recherches que l’auteur a dû effectuer sur les balbutiements, d’une part, de la médecine légale et plus précisément celle qui s’occupe des troubles psychiatriques et des responsabilités imputables ou non en cas de graves problèmes mentaux ; et d’autre part, de la justice anthropométrique avec les premiers travaux sur les empreintes digitales – dactyloscopie -, etc. C’est très très fouillé, ça m’a permis notamment d’aller réaliser moi aussi mes petites recherches sur Bertillon (pas le glacier !) mais l’autre, celui qui a découvert l’anthropométrie, qui a perduré jusqu’aux années 70, mais bien dépassée depuis par les empreintes génétiques.

Et voilà j’ai beaucoup aimé, outre l’enquête policière, ces détails très intéressants, qui font qu’on ressort d’une lecture divertissante avec l’impression d’avoir également enrichi ses connaissances, fussent-elles sur les moyens d’investigation des policiers au cours des années 20.

Et pour comprendre le titre du roman, il faut aller jusqu’au bout du bout du livre…

Ils étaient cinq

Sandrine Destombes

381 pages

Éditions Pocket, 2019, Éditions Nouvelles Plumes, 2018

Un grand merci aux Éditions Pocket pour m’avoir permis de rencontrer Sandrine Destombes et sa plume lors de l’apéro de juin 2019.

Mon premier livre de l’auteure, et je découvre ses personnages, dont le Capitaine de gendarmerie Antoine Brémont, son parrain Charles, et son équipe composée des lieutenants N’Guyen et Rocca.

Dans cette enquête, Brémont est sollicité par un gang de bourreaux qui lui adressent des messages vidéo pour lui montrer ce qu’ils font subir à leurs victimes. Ces anonymes semblent lui demander de rendre justice.

Et Brémont se trouve étrangement attiré par une jeune femme, Sophie, séquestrée dans un vieux manoir où l’une des victimes, encore vivante, a été torturée.

Mais petit à petit, au fil des vidéos, les cadavres s’alignent dans la morgue. Et la menace se rapproche de Brémont.

Le capitaine doit donc trouver le lien entre toutes ces personnes, et les pistes sont nombreuses : agissement sectaire, vengeance, actes sans fondement ?

Entre la Seine-Saint-Denis et la Suisse, un thriller qui va confronter Brémont à un passé qu’il préférerait oublier, et qui l’empêche de mener à bien son travail de profilage.

J’ai bien aimé la façon dont Sandrine Destombes amène son personnage principal, plutôt rationnel et froid, à se dévoiler, ainsi que les interactions entre les deux lieutenants.

Et le brin d’humour, distillé dans les dialogues pour souffler entre deux descriptions un peu « gore », fait du bien, notamment lorsque le légiste interpelle Brémont « (…) je me suis permis d’effectuer les premières constatations sans témoin. Vous ne m’en voudrez pas ? C’est qu’avec vous je n’ai pas vraiment de quoi chômer, vous en conviendrez ! »

Et une mention spéciale pour Charles, dont j’ai beaucoup apprécié la franchise pour secouer Brémont!

Même si j’avais deviné très vite les grandes lignes de l’histoire, c’est un thriller bien ficelé, et une lecture agréable.

Comment disparaître

Sharon Huss Roat

Traduit par Pauline Vidal

358 pages

Hugo roman, février 2018

J’ai échangé le livre que j’avais pioché avec Comment disparaître au cours du pique-nique Babelio du 30 juin 2019. C’est peu de dire combien j’en suis ravie et que je remercie la lectrice qui l’a apporté !

J’ai beaucoup aimé ce livre.

Car l’histoire de Vicky, 16 ans, et de ceux qui la côtoient sans la regarder, représente toutes les failles de l’adolescence : l’omniprésence du paraître, l’obligation d’être toujours au top du top, se confondre avec les autres et leur ressembler pour ne pas être la cible de sarcasmes, ou au contraire, dissimuler ce qu’on est vraiment. Et c’est ce qu’a choisi Vicky : disparaître à cause de sa timidité maladive, derrière des vêtements masculins et des cheveux trop longs, se réfugier dans sa meilleure cachette, les toilettes de l’école!

Et lorsque sa meilleure amie Jenna, partie dans le Wisconsin, celle qui la défendait auparavant, finit par lui adresser des messages humiliants, Vicky décide de s’inventer une vie et une échappatoire sur Instagram.

Dissimulée sous un pseudonyme, Vicurieuse, et des vêtements inconnus, coiffée d’une perruque et chaussée de lunettes improbables, elle se met en scène dans des photos avec des célébrités, s’incruste dans des images de concerts ou de films. Pour se sortir de sa solitude. Et à sa grande surprise, elle découvre combien beaucoup de personnes se sentent également isolées, et alors que son compte se nourrit des toujours plus nombreux commentaires de ses followers, Vicky se sent dépassée. Car sa vie réelle est toujours aussi nulle.

Enfin, peut-être pas tant que cela. Car Lipton, un de ses camarades de classe presque aussi timide qu’elle, commence à lui tendre la main.

Et que Vicky se dit que peut-être que si chacun de ses abonnés en aidait un autre… cela pourrait tout changer.

J’ai aimé la façon dont l’auteure décrit ce petit monde si cruel de l’adolescence et des bouleversements qui touchent ces adultes en devenir… et l’impuissance de leurs parents aimants.

Les élèves qui entourent Vicky – Marissa, Marvo, Beth Ann, Adrian, Hallie, … – sont bien choisis aussi : celle-ci va finir par se rendre compte que tel ou telle, derrière un beau physique ou une foule d’admirateurs, peut également se sentir très seul(e).

Ce roman devrait figurer dans les salles d’attente des psychologues pour enfants et des conseillers d’orientation : car il ne dénonce pas les réseaux sociaux, il ouvre une voie sur ce qu’un petit mot prononcé peut changer, en bien ou en mal.

Citations

« Rien de plus humiliant que de se retourner quand ce n’est pas vous qu’on appelle.

Et ce n’est jamais moi qu’on appelle. »

« Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression de participer à quelque chose d’important. Je ne me cacherai pas, je ne regarderai pas le spectacle de loin, sans que personne ne me voie.Vicurieuse fait son entrée dans le monde, ce dont je suis incapable. »