Madeleine St John
275 pages
Éditions Albin Michel, 2 octobre 2019
Épreuves non corrigées.
Je remercie Babelio et les Éditions Albin Michel de m’avoir adressé ce livre dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.
Le film éponyme de Bruce Beresford adapté de cet ouvrage est sorti en 2018, et si j’avais eu envie de le voir, je n’en ai malheureusement pas eu l’occasion…. à réparer de toute urgence ! Le réalisateur, en post-face, évoque les circonstances au cours desquelles il a connu Madeleine St John, qui fit d’elle son exécuteur testamentaire. Au regard de son récit, cette femme, lettrée fine observatrice des relations humaines, n’en était pas moins très solitaire et presque acariâtre. C’est elle qui avait refusé que soit traduites ses œuvres. Heureusement, ce petit bijou arrive sur les étagères des librairies françaises dès cette année.
Heureusement, car ce roman à la superbe couverture met en scène des femmes dont les destins vont être modifiés en quelques semaines.
Toutes travaillent dans un grand magasin de Sydney.
Toutes revêtent la petite robe noire, uniforme au sens premier du terme, derrière lequel disparaît leur personnalité le temps de la journée de travail au rayon des Robes de cocktail ou des Modèles Haute Couture.
Quatre d’entre elles notamment sont mises en exergue : Magda, celle qui a le droit d’échapper à l’uniforme mais pas à la couleur noire, mariée à Stefan, Patty Williams, trente et un ans, dont la vie avec son mari Franck est d’une platitude sans nom, Fay Baines, vingt-huit ans, qui rêve du grand amour et enfin, Lesley Miles, dix-huit ans, intérimaire qui change de prénom pour devenir une Lisa pleine d’espoir dans l’attente des résultats de ses examens de fin d’études.
Entre le premier décembre et la fin janvier des années Cinquante, période de grand rush dans les magasins à l’aube des fêtes de fin d’année puis des soldes, le lecteur découvre tour à tour les personnalités, les aspirations et évènements qui vont modifier le cours de leur existence.
L’écriture m’a fait penser à Jane Austen (qui a en effet beaucoup influencé l’auteure dans l’écriture de ses quatre romans publiés), tant les personnages et les situations sont décrits avec subtilité et un humour décapant. Un soupçon (voire un peu plus…) de féminisme se dégage des défauts appuyés des hommes, affublés notamment lors des bavardages féminins : coureurs, joueurs invétérés, portés sur l’alcool, peu attentionnés, revêches, réfractaires au changement, …, pour autant, ceux-ci aussi peuvent modifier leur attitude sous la plume experte de Madeleine St John. J’ai particulièrement aimé Stefan, qui est sans doute l’être le plus affable et le
moins torturé de ce roman, celui qui tempère les émotions de Magda.
Le poids de la famille, le regard de la société sont également patents, et l’on navigue d’une vie solitaire à une vie de couple, d’un foyer fermé sur lui-même à un autre dans lequel la vie mondaine prédomine.
Écrit en 1993 mais ayant pour cadre les années 50/60, le roman bénéficie d’une écriture résolument moderne dans l’étude des mœurs : une caméra dissimulée au sein du grand magasin n’aurait pu mieux rapporter les comportements des clients et des vendeuses.
Un livre dont le sujet central semble être ce grand magasin, mais en réalité, ce qui se joue au-delà et en dehors de ses rayons est finalement le principal : ce que l’on est, ce que l’on montre, ce que l’on cache… Un peu comme dans la vie…
J’ai pris beaucoup de plaisir à le lire.
Une question me taraude cependant : mais que fait donc Miss Jacobs lorsqu’elle sort du grand magasin ?
Citations
« (…) Franck (…). C’était un con standard, ni cruel ni violent, tout juste insensible et incapable d’aligner deux mots. »
« Pour une raison ou pour une autre, la vue de Fay n’était pas de celles qui inspiraient des idées de mariage, et c’était malheureux, car c’était là son vœu le plus cher : ce qui tout bien considéré était on ne peut plus naturel. »
« Peut-être aurait-elle été encore couverte de farine si son Ted n’était pas arrivé dans son bel uniforme militaire. Une fois celui-ci ôté, il avait moins d’arguments. Mais que voulez-vous, c’est la vie. »