Les Indes Fourbes

Scénario Alain Ayroles

Dessins et couleurs Juanjo Guarnido

160 pages

Éditions Delcourt, 2019

Je suis ravie d’avoir découvert grâce aux bibliothécaires ce roman graphique en grand format, comportant un prologue, trois chapitres et un épilogue… et qui pèse près d’un kilo !

Il conte à la première personne la suite des aventures du personnage de Don Pablos de Ségovie, roi des voleurs et des entourloupes, créé par Francisco de Quevedo.

Dans l’Espagne et l’Amérique du Sud au dix-septième siècle, le lecteur accompagne cet individu peu recommandable mais truculent à la recherche de la richesse qui lui permettra de vivre en observant consciencieusement un des commandements de son père : « Tu ne travailleras point » !

Filou de première classe, il nous fait traverser les océans et rencontrer des personnages hauts-en-couleurs, qui ne lésinent pas devant les exactions.

Au détour d’une situation cocasse, on croise l’Histoire, avec la main-mise de l’Espagne sur ces contrées éloignées qu’elle a colonisées et ses habitants asservis, et l’omniprésence de la religion catholique.

Outre le récit de ces aventures savoureuses jusqu’à la dernière page, le dessin m’a beaucoup plu. Les expressions des personnages, les paysages, les couleurs, qui passent du sombre au lumineux (avec une préférence pour les pages 71 à 73) selon les circonstances, apportent une crédibilité à l’histoire contée.

Un coup de cœur pour la richesse du scénario, la prise de risque à évoquer des personnages et une époque révolus et pour la magnifique mise en image : on ne s’ennuie pas une minute, voire on en redemande !

Citation

« Un jour chômé fut accordé aux Indiens des mines et des champs afin qu’ils puissent assister à ce témoignage de la puissance de la Couronne et méditer sur les bienfaits de la soumission. »

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Un oiseau blanc dans le blizzard

Laura Kasischke

Traduit par Anne Wicke

306 pages

Le Livre de Poche, 2016, Christian Bourgoin Éditeur, 2000

Fin des années 90. Kat est une jeune fille de seize ans quand sa mère, Ève, disparaît un après-midi. « Personne ne la voit s’en aller, mais elle est est bel et bien partie ».

Et la police ne la trouve pas non plus, Eve semble s’être volatilisée.

Alors Kat se raconte, entre sa mère, son père, leur vie de famille dans la petite ville de Garden Heights, dans l’Ohio. Elle narre ses relations avec cette mère très ambivalente, plutôt glaciale que maternelle, engluée dans sa vie trop tranquille de ménagère au service du couple, son père installé dans son emploi d’intendant et sa vie très réglée, si simple.

Kat évoque (un peu trop peut-être !) sa propre sexualité naissante et dévorante au regard de sa vision de celle des adultes qui l’entourent. Elle montre combien sa relation avec Phil, alors qu’elle était une adolescente très potelée, a modifié son rapport à ses parents et à son propre corps.

Les années passent, les relations entre Kat et Phil évoluent, son père fréquente à nouveau, mais la question reste en suspens : où est passée Ève ? Les cauchemars de Kat se manifestent toujours, et la psychologue qui la suit l’aide à entrevoir ce que lui dicte son inconscient.

Laura Kasischke se joue une fois de plus du lecteur, tournant autour de ses personnages, proposant des raccourcis dans lesquels on pourrait bien s’engouffrer si on ne l’avait déjà lue… Et en effet, avoir une petite connaissance des combines de l’auteure m’a amenée à deviner assez rapidement le fin mot de l’histoire, sans pour autant tout comprendre, ce qui m’a permis de finir ma lecture avec plaisir, et horreur ! Oui, je sais, c’est peut-être très contradictoire, mais c’est tout naturel avec les romans de Laura Kasischke : elle écrit avec une telle fluidité, de façon si incisive, ses mots coulent, ses descriptions sont parfaitement évocatrices. Et dans le même temps, elle place ses personnages dans des situations qui font froid dans le dos. 😱

Encore un livre que je ne peux que recommander !

Citations

« Les banlieues sont plein de maisons de ce genre, décorées par des femmes comme celle-là. Ma mère avait la nausée quand elle regardait au fond de ces tasses à thé mélancoliques, quand elle sentait les tristes feuilles gorgées d’eau qui sombraient dans les théières peintes à la main. Rechercher une beauté exotique dans une telle ville de banlieue, c’était un peu comme avoir une boule de papier aluminium dans l’estomac, une boule de métal aéré qui vous emplit de faim et de désir. »

« Elle était tellement méchante. Un cas très classique de ressentiment et d’ambivalence, qui vient cogner et frotter contre l’instinct maternel. L’amour et la haine, en elle, étaient aussi vastes que l’espace – rien que des météorites, pas d’atmosphère. »

« Être une de ces lycéennes populaires c’était un peu comme être un lapin, une créature tremblante et éphémère, un simple désir vaporeux, plein de sagesse rétrospective, qui sautille. Une essence, une légère bulle d’air, de l’énergie fantasque qui entre et sort vivement d’un bas de jolie fourrure claire, sur le point d’être dépecée, membre par membre, par le chien égaré du Temps. »

Le biscuit national

Zuska Kepplová

205 pages

Éditions Intervalles, 2019

Je remercie les Éditions Intervalles et Babelio pour m’avoir permis de recevoir ce livre, un recueil de nouvelles, dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.

Voici mon avis global, avant d’évoquer rapidement les histoires abordées par chacune d’entre elles.

Il s’agit d’un recueil de nouvelles ayant pour objet l’émigration de jeunes Européens dans d’autres pays de la Communauté, leur vision des différences entre les traditions respectives, et la difficulté de se créer un véritable foyer loin de chez soi.

C’est la première fois que je lis un auteur Slovaque. Je trouve intéressante la thématique, puisque de tout temps les migrations pour des raisons diverses ont amené des hommes et des femmes à bouleverser leurs habitudes de vie dans leur pays natal pour s’exiler dans un autre aux coutumes souvent très différentes. Entre petits boulots permettant de suivre des études, relations amicales ou amoureuses, il semble que l’éphémère soit la règle : ils ne sont que de passage pour la plupart, et le mal du pays se fait souvent sentir.

Il y a ainsi quelques passages savoureux dans cet ouvrage, avec notamment le regard porté par la mère restée au pays sur les coutumes que devraient conserver ses enfants expatriés. La thématique du « biscuit », sorte de madeleine de Proust maintenant le lien avec la patrie, est ainsi évoquée dans les cinq premières nouvelles, la dernière portant sur un autre sujet.

Sur la forme, les nouvelles mettent en scène des personnages que l’on retrouve dans d’autres, formant ainsi une sorte de pont entre elles, que j’ai apprécié.

S’agissant du style, j’ai été un peu gênée par les ruptures de temps de conjugaison entre présent et passé simple de l’indicatif au sein même de la narration.

J’ai ainsi lu ces nouvelles en alternant avec d’autres lectures, car j’ai été intéressée par le sujet, moins par son traitement littéraire. Même si ce premier ouvrage a valu un prix à son auteure dans son pays, je suis sans doute passée à côté, et je le regrette.

Petra à Paris : pp 7 à 23

Petra est Slovaque (comme l’auteure), elle est venue faire des études de médecine à Paris et laisse un job de femme de ménage pour aller donner des cours de natation afin de financer ses études. Pour elle, être dans une piscine fait le lien avec son pays où elle se rendait régulièrement depuis l’enfance. L’envoi mensuel du « biscuit national », la gaufrette Horalky, par sa mère restée au pays y contribue également.

Anka à Londres : pp 25 à 51

Anka, l’amie d’enfance, a été hébergée par Petra à Paris, avant de partir pour Londres. Elle a enfin trouvé dans la capitale britannique un job à l’agence locale pour l’emploi et a quitté son appartement miteux en colocation. Elle aussi a un biscuit dans la peau : le Buchty. Cette nouvelle évoque la difficulté de se faire une place dans un pays étranger : soit on y met toutes ses forces, soit ou se résigne à son sort.

Mika à Helsinki : pp 53 à 73

Mika est le frère de Petra. Il s’est installé à Helsinki pour son travail, et apprend les mœurs locales, très aseptisées et très éloignées de la pétulance de l’éducation imposée par sa mère. Mika découvre l’amour auprès d’une jeune collègue Russe, Riina, qui repart bientôt finir ses études dans son pays. Ils se retrouvent à l’occasion de week-ends, mais Mika éprouve un malaise grandissant en raison de sa solitude forcée, et finit par perdre le sommeil.

Le strüdel et les « lundis sucrés » sont les traditions évoquées dans cette nouvelle, qui est ma préférée.

Natália à Paris : pp 75 à 109

Natália la Slovaque a raté son concours d’entrée dans une école d’art et est venue chercher un travail régulier dans un restaurant à Paris.

Elle vit dans la colocation de Petra et est attirée par des hommes célibataires dont la couleur de peau est sensiblement plus foncée que la sienne.

Elle se laisse entraîner par ces amants qu’elle collectionne en parallèle, à la découverte de cultures et d’attitudes très différentes. Une nouvelle très colorée, amorale et assez amusante, qui explore les relations entre émigrés de divers continents.

Juliana à Budapest : pp 111 à 144

Cette nouvelle évoque surtout les relations entre la Slovaque Juliana et les personnes qu’elle croise à Budapest : les Hongrois, bien sûr, mais également le Français Jean-Jacques, une Anglaise anonyme, et ses amies Cristina la Roumaine et Jackie l’Américaine.

Elle ne rend pas très sympathiques les Hongrois ni les Français, et dépeint avec réalisme les conditions de vie (architecture mal conservée, alimentation étrangère falsifiée) à Budapest.

Trianon-Delta : pp 146 – 205

Hors champ pur de l’émigration, il s’agit d’une histoire de triangle amoureux entre un homme Hongrois et sa compagne Roumaine et une autre jeune femme, Slovaque, que je n’ai pas vraiment appréciée.

Notre petit secret

Roz Nay

300 pages

Hugo Poche Suspense, octobre 2019, Hugo Thriller, 2017

Notre petit secret est le premier roman de l’auteure, qui a reçu le Prix VSD RTL du meilleur thriller étranger 2017, décerné par un jury présidé par Douglas Kennedy.

Je remercie les Editions Hugo et Cie de me l’avoir adressé à l’occasion de sa sortie en édition de poche.

Angela se trouve dans la salle d’interrogatoire de la police de Cove, Vermont, interrogée par l’inspecteur Novak au sujet de la disparition de Saskia, la compagne actuelle de son ancien petit ami.

Assez réticente à n’évoquer que cette disparition, dont elle ne s’estime pas responsable, Angela insiste pour retracer toute l’histoire, commencée lors de son adolescence dix ans plus tôt, par sa rencontre avec un garçon nommé HP.

HP va devenir son premier amour, l’ami qu’elle n’a jamais eu auparavant, jusqu’à ce qu’Angela doive partir en Grande-Bretagne effectuer ses études. Les événements vont alors prendre une autre tournure : Angela rencontre Freddy, HP rencontre Saskia.

Dans la construction originale du roman de Roz Nay, Angela raconte et en même temps émet ses commentaires sur sa situation actuelle, la salle dans laquelle elle se trouve enfermée, les réactions de Novak qu’elle pressent. C’est un peu comme si on entendait ses pensées en parallèle de sa narration.

Le livre en lui-même est un huis-clos puisque le sujet principal est l’interrogatoire d’Angela, mais la majorité des scènes relatent ses souvenirs. J’ai trouvé Angela à la fois très attachante, son histoire d’amour avec HP fait forcément écho à des situations vécues et des sentiments éprouvés par le lecteur, et repoussante à d’autres moments. L’histoire qu’elle narre n’est ainsi vue que par le seul prisme de la jeune femme, ponctuée par des rappels à la réalité de l’inspecteur Novak, au fur et à mesure des résultats des investigations policières.

Alors, tour à tour, on s’interroge sur les actes qu’Angela aurait bien pu commettre.

Ce livre se lit très vite, tant l’écriture est fluide et tant on souhaite arriver au bout et connaître le fin mot de l’histoire. Thriller psychologique, il m’a beaucoup plu mais pourrait dérouter des lecteurs habitués à une construction plus traditionnelle.

Je verrais bien une adaptation en pièce de théâtre, avec vote du public à la fin sur la culpabilité ou non d’Angela dans la disparition de Saskia. Puis, après le vote, l’annonce du dénouement imaginé par l’auteure…

Citations

« Il faut savoir commencer une histoire par son commencement, le vrai, et croyez-moi, il s’est passé des choses bien avant que ça Saskia n’arrive. »

« Pendant que je parle, tous ces souvenirs m’envahissent et je retourne dans le passé ; j’y suis vivante, et la lumière n’a pas changé. »

« J’ai lu quelque part que dans le jeu du chat et de la souris, la seule façon de gagner pour la souris est de se jeter volontairement dans la gueule du chat. J’y pense souvent. La futilité nous regarde droit dans les yeux. Nous devrions simplement cesser de courir. »