Femme sur écoute

Hervé Jourdain

573 pages

Pocket, 2018, Fleuve Editions 2017

Excellent polar/thriller écrit par un auteur que je n’avais jamais lu, dans le cadre du dernier item pour le Black November 2019 : « titre comportant trois mots ».

Deux prostituées de luxe. L’une d’elles, Manon Legendre, voit sa vie s’écrouler petit à petit, par le piratage de ses données bancaires et électroniques.

Des flics. Dont deux jeunes femmes. L’une d’elles, Lola Rivière, se sent rejetée par son chef de groupe Kaminski malgré son incontestable professionnalisme, mais obtient la confiance du commissaire divisionnaire Compostel.

Une machination sordide, des « suicidés », une volonté d’aller chercher au plus loin, de remonter les pistes, malgré les embûches, les reproches.

Le roman met en scène des personnages attachants, qu’il s’agisse des policiers – la jeune Lola et Compostel notamment – ou de ceux qui gravitent autour des suspects – Julie. Avec une part belle faite aux femmes, parentes pauvres d’une profession encore dévolue à la virilité dans l’esprit de certains, l’auteur démontre l’intérêt des équipes mixtes et de la prise en compte des compétences au-delà des apparences sexuées.

Et un petit clin d’œil à ce nouveau « 36 », le Bastion, dont l’inauguration approche et qui déroute ses locataires, habitués aux craquements du Quai des Orfèvres.

L’écriture est fluide, contribue à garder l’intérêt du lecteur pour des histoires très fouillées qui s’entrecroisent et s’entrechoquent. Et c’est toute l’abnégation de ces fourmis au service de la justice qui sert l’enquête : entre recherches sur place, décryptage informatique, et bien évidemment écoutes téléphoniques, on suit le travail de ces policiers, souvent bien ingrat et assorti d’un sens de la débrouille quasi obligatoire, l’esprit en alerte malgré les difficultés personnelles.

Très réussi, probablement grâce à l’expérience professionnelle de son auteur, ce roman m’a donné envie de lire ses premiers ouvrages.

Citations

« Un lieu où il ne s’était pas privé de punaiser une affiche de 1966 invitant en lettres majuscules au recrutement de gardiens de la paix : La police, un métier d’homme. »

« Le Bastion était une véritable forteresse où il fallait montrer patte blanche en permanence. Mieux, certains accès étaient désormais protégés par un système de biométrie. (…) Le temps des vagabondages de touristes qui réussissaient à franchir les contrôles en se glissant derrière les policiers et celui des disparitions de scellés étaient révolus. »

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Six fourmis blanches

Sandrine Collette

276 pages

Éditions Denoël, 2015

Deuxième lecture du dernier item pour le Black November 2019 : « titre comportant trois mots ».

Ils sont six. Ou plutôt sept. Six touristes embarqués dans l’ascension de montagnes qu’ils ne connaissent pas, l’espace d’un week-end : Lou et son petit ami Elias, Arielle et son époux Lucas, Marc et Etienne, deux célibataires.

Le septième est leur guide : Vigan. Lui connaît parfaitement les lieux. Ce qui est un plus lorsque les éléments se déchaînent et que la tempête de neige contrarie les projets du groupe, si minuscule face à cette montagne semée de pièges, où un seul faux pas peut s’avérer fatal.

Il va falloir s’abriter pour survivre et résister aux températures glaciales et à l’envie de rebrousser chemin, au risque de se perdre et de mourir.

Mais la mort rôde peut-être plus près que tous ne le pensent. Et c’est au travers des yeux de Lou que se livre cette marche mortelle, lorsque les personnalités se dévoilent en raison des conditions extrêmes. Si les six veulent en réchapper, ils doivent absolument faire confiance à Vigan.

Et puis, étonnamment, en alternance des chapitres narrés par Lou, un autre personnage, Mathias, étrange, aux pouvoirs mystiques, un « sacrificateur » respecté et redouté, évoque sa vie solitaire, son implication dans celle de ses concitoyens, indispensable relais pour favoriser une longue existence à un nouveau-né ou la réussite d’un mariage. Jusqu’à ce que le maître incontesté de la vallée, Carche, lui impose un apprenti en la personne de son petit-fils.

Sans lien apparent, ces histoires parallèles sont lues attentivement, tant le talent de Sandrine Collette fait merveille. Elle crée une atmosphère parfaite de peur et d’oppression contre laquelle luttent non seulement ses personnages, mais également ses lecteurs.

J’ai une fois de plus pris grand plaisir à m’immerger dans cet univers découvert dans ses précédents ouvrages « Un vent de cendres » et « Des noeuds d’acier ». Une grande dame du thriller français, avec qui j’ai appris à ne surtout pas anticiper la fin d’un livre, à simplement me laisser porter par son écriture addictive, dans l’impossibilité de lâcher l’ouvrage avant d’en connaître l’issue.

Citations

« Je suis un sacrificateur. (…) Je ne sacrifie jamais en vain. Je ne me replie pas sur les boucs ni sur de vulgaires moutons – je laisse cela au petit peuple de l’autre côté de la mer. Tuer est un art qui se maîtrise, une communion avec la nature, l’animal et les dieux. Pas un acte barbare, non : un présent pour consacrer un mariage, un anniversaire, un baptême, un départ. »

« Du blanc. De la neige et de la glace. Du vent qui nous empêche de comprendre vraiment le drame qui se déroule dix mètres plus bas, et dont nous ne percevons que les gémissements sans fin. Encordés tous les six, et nous allons finir par nous entraîner les uns les autres au fond de cette étrange faille, ou par crever sur place sans pouvoir nous dégager. »

Boréal

Sonja Delzongle

509 pages

Folio, 2019, Éditions Denoël, 2018

Lu dans le cadre du challenge The Black November 2019, troisième semaine : « lire un thriller d’un auteur jamais lu auparavant ».

Il s’agit donc pour moi d’une découverte de l’écriture de Sonja Delzongle.

Ce thriller relate la vie de scientifiques au Groeland, chargés d’une mission de recherche sur le réchauffement climatique.

Étendue glacée et glaciale à perte de vue, tempête de neige, nuit intense forment le cadre de l’histoire qui nous est contée.

La découverte d’un charnier de bisons amène le chef de la mission, Ferguson, à appeler à l’aide la biologiste Luv Svensen. Cette dernière, dont la vie est menacée en raison des idées qu’elle défend, ne peut résister à l’attrait de la demande, malgré une situation familiale très complexe.

Trois femmes, cinq hommes et un chien sont donc présents sur l’inlandsis lorsque l’un d’entre eux disparaît. Et les disparitions se poursuivent…

J’ai eu un peu de mal à rentrer dans le livre, gênée par les temps de conjugaison employés. Puis, tout naturellement, l’histoire m’a portée entre horreur des situations décrites et espoir de voir réapparaître les disparus, au point de ne pas vouloir le lâcher avant la fin, avec une sensation d’oppression. Les descriptions de l’étendue glacée contribuent largement à maintenir une impression de non-retour possible et une atmosphère de huis-clos. Plusieurs histoires parallèles s’écrivent ainsi sous la plume de l’auteure.

Un très bon thriller, qui change de ceux que je lis habituellement (plutôt psychologiques ou familiaux), et qui me donne envie de lire d’autres livres de Sonja Delzongle.

Citations

« Dans la clarté d’une lune presque pleine, la motoneige, feux allumés, trace sa route à travers l’immensité d’une blancheur luminescente. Les deux hommes se taisent, chacun est seul avec ses réflexions, ses doutes, tandis que la nature froide et sauvage se prépare à plonger une nouvelle fois dans la nuit totale. »

« Dans un espace aussi confiné, au milieu d’un environnement hostile et extrême, les liens se tissent plus vite, les sentiments, comme les émotions, s’exacerbent. Mais l’objectif commun et les tâches imparties aident à canaliser les torrents émotionnels et à endiguer le risque de débordements. »

Sauvez-moi

Jacques Expert

399 pages

Sonatine Éditions, 2018

2018 : Retraitée, très âgée, à la faveur d’un bulletin radiophonique, Sophie Pontchartrain se souvient…

1962 : Un tueur en série de jeunes femmes, Nicolas Thomas, est arrêté et condamné à la peine de mort grâce à la jeune policière Sophie Pontchartrain. Gracié par le Général De Gaulle, il purge sa peine de prison de manière exemplaire.

1990 : Nicolas Thomas est libéré. Et de nouveau, pleuvent les assassinats, et des détails troublent les enquêteurs. Sophie Pontchartrain, devenue une commissaire divisionnaire respectée et admirée, en perd son calme. Car voilà, depuis l’incarcération de Nicolas Thomas, elle reçoit des lettres assorties de ces mots « Sauvez-moi ».

Elle va tout mettre en œuvre pour retrouver le coupable, qu’elle pressent être Nicolas Thomas. Mais une autre affaire vient se greffer en parallèle, et un suspect, Guillaume Chambaraud, retient l’attention de la commissaire.

Aidée de sa fidèle assistante Rachel Bachelard – bien plus intelligente qu’on ne croit – et des inspecteurs qui lui sont dévoués corps et âme, Sophie Pontchartrain va mener l’enquête de main de maître. Car nul ne devrait pouvoir se jouer de cette femme volontaire, déterminée à réussir à tous prix.

Jacques Expert s’y entend une fois de plus pour mener le lecteur là où il le souhaite. Il décortique particulièrement les rapports humains au sein de ces officiers de police assujettis au pouvoir énorme d’une commissaire divisionnaire qui refuse la moindre remise en question de ses actes.

Et du côté des suspects, à quoi bon clamer son innocence face à l’implacable volonté de cette femme ?

J’ai bien aimé le traitement particulier de cette affaire, car il me semble malheureusement refléter la réalité de certaines situations, et cela change des autres typologies d’enquêtes écrites par l’auteur. Encore une réussite à l’actif de Jacques Expert !

P. S. J’ai été surprise de retrouver des personnages fort ressemblant à ceux de La théorie des six, un des premiers romans de Jacques Expert : quelques inspecteurs et surtout la commissaire divisionnaire Sophie Pont (sans le « chartrain », mystère ?) et Rachel (Lepetit et non Bachelard), mais dans un rapport de travail assez différent, car dans le premier opus, la jeune femme n’a pas vraiment d’admiration pour sa patronne qui ne la traite qu’avec mépris…

Pour en savoir plus :

https://lirelanuitoupas.wordpress.com/2019/01/23/la-theorie-des-six/

Citations

« C’est dingue, le nombre de fois où elle peut dire : « je veux ». Comme un gosse de quatre ans. Cette femme est un « je veux » sur pattes. »