La science de l’esquive

Nicolas Maleski

217 pages

Harper Collins, Collection Traversée, 2020

Fin de lecture : 7 janvier 2020

Je remercie Babelio et Harper Collins pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de la rencontre avec l’auteur le 6 février 2020. Le compte-rendu de cette rencontre est relaté en fin de chronique du livre.

« Esquive : action d’esquiver un coup (…). Mouvement fait pour esquiver. » Larousse

L’ancien boxeur Kamel Wozniak s’y entend en matière d’esquive. Car il est en cavale. Dans un trou paumé. Il se cache.

Enfin, il essaie de se cacher. Oui mais voilà, pour ça, il aurait fallu qu’il reste totalement cloîtré. Et ce n’est pas forcément donné à tout le monde.

Car c’est sans compter son propriétaire, Richard, qui débarque dans le meublé qu’il loue à n’importe quel moment, la gendarmette Sonia qu’il aurait préféré ne pas croiser, une bande de jeunes gens idéalistes et réformateurs, sa jolie voisine Laure qui ne le laisse pas indifférent.

Voilà un livre plein d’humour, que j’ai dévoré, car lu en quelques heures ; savouré, car j’ai pris plaisir à la couleur et à la sonorité des mots, apprécié – et c’est peu de le dire – l’histoire de cet homme attachant malgré l’incertitude du lecteur face à l’acte abominable dont il s’accuse.

Et au-delà de l’histoire d’un homme se dessine celle d’humains de notre époque, qui voudraient aller à contre-courant des injonctions sociétales.

Point de morale, juste un pincement au cœur : et si la fuite était salutaire ?

C’est pour moi une superbe découverte du talent de Nicolas Maleski pour ce deuxième roman. Et un coup de cœur !

Citations

« Tous les plans paraissent grotesques lorsqu’ils ont échoué, même les plus sophistiqués, même les plus abominables. »

« Lorsque les interrogations surviennent, il ne sort pas sa carte d’écrivain ni son joker d’alcoolique. Il reste sous le couvert d’une équivoque hermétique, prétextant une période de transition, de remise en question professionnelle, personnelle. De toute façon Delmas l’interrompt très vite pour reprendre son boniment à la frontière de l’affabulation. Il doit se duper lui-même derrière l’illusion des mots qu’il manie comme un magicien grisé par son génie, et qui refuse de reconnaître que son public s’est fait la malle. »

(Nicolas Maleski, Aurélie Jeannin et Marie Eugène dans les locaux de Babelio)

Retour sur la rencontre :

Marie Eugène, directrice éditoriale, a dévoilé les objectifs de la nouvelle collection initiée par Harper Collins « Traversée » : elle est dédiée à la littérature française au sein d’une maison d’édition américaine de 200 ans. L’enjeu est de s’implanter en France, avec un nombre limité de publications – huit annuelles – d’auteurs français, et marquées par la rencontre entre deux mondes : la dramaturgie et le style, c’est-à-dire une histoire et une empreinte littéraire, de façon qu’au lecteur « un monde reste plus que l’histoire ».

C’est le deuxième roman de Nicolas Maleski, précédemment signé chez Fleuve (Sous le compost).

Sur le fond

Nicolas Maleski voulait écrire l’histoire d’une cavale, puis que le personnage se pose quelque part dans les Cévennes, les Causses, un peu comme un temps de vacances, un territoire très circonscrit où lui-même a passé des vacances. En fait, on y retrouve donc une région de montagne, un village et puis surtout une maison, dans lesquels va s’inscrire le personnage. C’était vraiment un prétexte pour sortir un personnage de son contexte habituel et le placer dans un autre endroit, à la rencontre des personnages sur place. C’est ce qui va le faire rester et ça n’avait pas forcément été prévu d’ailleurs au début de l’écriture !

L’ouvrage permet également de dévoiler les parts sombres de chacun, avec une part d’enjeu politique cher à l’auteur. Il s’est d’ailleurs appliqué au travail des personnages qui ne sont jamais vraiment forcément tels qu’on les envisage au départ. L’auteur avait tous les personnages en tête dès le début de l’écriture, mais ils se sont forgés, affirmés au fil du temps. Il voulait que le lecteur puisse réinterroger à chaque fois le bien, le mal, les apparences et la réalité.

Sur la forme :

Le livre est écrit à la troisième personne du singulier et au présent de l’indicatif pour trancher avec son précédent roman (écrit à la première personne du singulier et au passé simple).

L’écriture est précise et concise car pour l’auteur « chaque phrase devait apporter quelque chose au roman ». Pour son personnage principal, il s’agit aussi d’un « jeu avec le lecteur », qui peut tout imaginer. Mais les seconds rôles sont très importants : on est dans un petit monde, avec peu de personnages, mais l’objectif c’est qu’ils soient tous très aboutis, qu’on sache pour chacun quelle est sa petite vie ou sa petite histoire personnelle.

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Préférer l’hiver

Aurélie Jeannin

228 pages

Éditions Harper Collins, Collection Traversée, janvier 2020

Fin de lecture : 5 janvier 2020

Je remercie Babelio et Harper Collins pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de la rencontre avec l’autrice le 6 février 2020. Le compte-rendu de cette rencontre est relaté en fin de chronique du livre.

Deux femmes, la mère et la fille, essayent de survivre aux souffrances qui les accablent en vivant loin du monde, dans une cabane perdue dans la forêt.

Deux taiseuses dont les silences recèlent douleurs et passions, et tant de colères rentrées.

Elles sont liées, plus que par le sang. Les livres qu’elles lisent et relisent leur apportent une intelligence de l’existence et une vision élargie de ce que pourrait être leur vie.

Et la nature qui les entoure, vaste étendue froide et rébarbative pour le tout-venant, est pour la narratrice, la fille, source de réflexions et d’apaisement.

Nul nom, nul lieu.

Le lecteur ne peut que pénétrer sur la pointe des pieds dans cet entre-soi d’où l’intrus est banni. Mais lorsqu’il y jette un oeil, il lui est impossible d’échapper à la magie des mots, puissants et terribles, qui fondent un récit lent et prenant, telle une lancinante « souffrance absolument sans fin ».

Et c’est cette écriture qui m’a attrapée, ce vocabulaire qui m’a charmée, tant lorsqu’il décrit l’indicible douleur de cette femme que lorsqu’il évoque le paysage environnant, hostile et cependant si protecteur. La scène de la « décomposition » m’a bouleversée…

Un très beau premier roman. Et un nouveau coup de cœur !

Citations

« Maman distingue les écrivains et les romanciers. Elle dit que les romanciers savent raconter des histoires. Que ce qui importe aux écrivains, ce sont les mots, leur enchaînement et leur rythme. Ceux qui est excellent dans les deux, elle les appelle les auteurs. Et j’adore la voir savourer leurs œuvres auprès du feu. »

« Je m’étais juste dit que nous avions tous bien tort d’imaginer nous connaître les uns les autres. Nous sommes des mystères qui font mine de se comprendre pour que le monde tourne à peu près. Au-delà, nous sommes, me semble-t-il, plutôt seuls. »

(Nicolas Maleski, Aurélie Jeannin et Marie Eugène, lors de la rencontre dans les locaux de Babelio)

Retour sur la rencontre :

Marie Eugène, directrice éditoriale, a dévoilé les objectifs de la nouvelle collection initiée par Harper Collins « Traversée » : elle est dédiée à la littérature française au sein d’une maison d’édition américaine de 200 ans. L’enjeu est de s’implanter en France, avec un nombre limité de publications – huit annuelles – d’auteurs français, et marquées par la rencontre entre deux mondes : la dramaturgie et le style, c’est-à-dire une histoire et une empreinte littéraire, de façon qu’au lecteur « un monde reste plus que l’histoire ».

Aurélie Jeannin a ainsi été la première autrice signée de la collection. Aurélie Jeannin avait précédemment déposé son texte sur la plate-forme « Librinova » pour qu’il soit repéré.

Sur le fond :

Ce que l’autrice souhaitait en premier lieu dans l’écriture de Préférer l’hiver, c’était évoquer la question du deuil, du drame et de la survie, comment on se relève d’une épreuve, dans un rapport quotidien avec la forêt qui est à la fois un espace inquiétant, ouvert, où tout peut se passer, et un espace sécurisant, un nid avec quelque chose de fermé, de contenu comme une enveloppe.

L’idée de fuite et d’isolement que le lecteur pourrait ressentir est plus de l’ordre du repli, de partir d’un endroit et d’aller quelque part mais pour y rester.

L’isolement était vital pour sortir des relations et des épreuves trop difficiles à vivre : il fallait donc se retirer pour survivre.

L’évocation des livres c’était une façon de réunir ces deux femmes avec un contenu serré dans un espace-temps mais aussi leur donner une possibilité de s’évader.

La retraite ici c’est c’est totalement inconscient, en fait il s’agit plutôt d’une question de déconstruction. Le fondement identitaire c’est : sur quoi puis-je m’appuyer pour me reconstruire?

Sur la forme :

Aurélie Jeannin aime beaucoup les antinomies, de type l’idée d’un « soleil noir ». C’est pour cela qu’il y a à la fois du sombre et du lumineux dans son texte.

Le texte initial était relativement complet, l’éditrice lui a seulement demandé de préciser certains passages et personnages. Le choix de ne pas indiquer le lieu précis du récit ou les prénoms des deux femmes permettait d’interroger le rapport maternel : « Le « je » permettait d’avoir le « elle » ».

Il y a une forme de minimalisme dans l’écriture, totalement assumée par l’autrice : « je ne peux pas faire autrement, j’ai toujours la crainte d’en faire trop, de délayer. »

Il est également important pour l’autrice de conserver « la part du lecteur », de l’inviter à prendre ce qu’il veut, avec ses propres envies, avec ses propres passions, avec son propre vécu et « quelque chose de trop définitif pourrait fermer le lecteur ».

S’agissant du paysage qui « serait un personnage à part entière », l’autrice n’aime pas cette expression : le paysage est le décor dans lequel est placée l’histoire, il y participe dans ses côtés inquiétants et rassurants comme évoqué plus haut.

Les descriptions quasi scientifiques à certains passages du livre (de l’hiver, de la vie du ragondin) lui permettent de « ramener du factuel qui va borner le flou des émotions ».

Bien que l’autrice vive en France, en forêt, elle n’a pas connu le froid évoqué dans le roman, mais confesse avoir accueilli un ragondin dont elle s’est inspirée.