Préférer l’hiver

Aurélie Jeannin

228 pages

Éditions Harper Collins, Collection Traversée, janvier 2020

Fin de lecture : 5 janvier 2020

Je remercie Babelio et Harper Collins pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de la rencontre avec l’autrice le 6 février 2020. Le compte-rendu de cette rencontre est relaté en fin de chronique du livre.

Deux femmes, la mère et la fille, essayent de survivre aux souffrances qui les accablent en vivant loin du monde, dans une cabane perdue dans la forêt.

Deux taiseuses dont les silences recèlent douleurs et passions, et tant de colères rentrées.

Elles sont liées, plus que par le sang. Les livres qu’elles lisent et relisent leur apportent une intelligence de l’existence et une vision élargie de ce que pourrait être leur vie.

Et la nature qui les entoure, vaste étendue froide et rébarbative pour le tout-venant, est pour la narratrice, la fille, source de réflexions et d’apaisement.

Nul nom, nul lieu.

Le lecteur ne peut que pénétrer sur la pointe des pieds dans cet entre-soi d’où l’intrus est banni. Mais lorsqu’il y jette un oeil, il lui est impossible d’échapper à la magie des mots, puissants et terribles, qui fondent un récit lent et prenant, telle une lancinante « souffrance absolument sans fin ».

Et c’est cette écriture qui m’a attrapée, ce vocabulaire qui m’a charmée, tant lorsqu’il décrit l’indicible douleur de cette femme que lorsqu’il évoque le paysage environnant, hostile et cependant si protecteur. La scène de la « décomposition » m’a bouleversée…

Un très beau premier roman. Et un nouveau coup de cœur !

Citations

« Maman distingue les écrivains et les romanciers. Elle dit que les romanciers savent raconter des histoires. Que ce qui importe aux écrivains, ce sont les mots, leur enchaînement et leur rythme. Ceux qui est excellent dans les deux, elle les appelle les auteurs. Et j’adore la voir savourer leurs œuvres auprès du feu. »

« Je m’étais juste dit que nous avions tous bien tort d’imaginer nous connaître les uns les autres. Nous sommes des mystères qui font mine de se comprendre pour que le monde tourne à peu près. Au-delà, nous sommes, me semble-t-il, plutôt seuls. »

(Nicolas Maleski, Aurélie Jeannin et Marie Eugène, lors de la rencontre dans les locaux de Babelio)

Retour sur la rencontre :

Marie Eugène, directrice éditoriale, a dévoilé les objectifs de la nouvelle collection initiée par Harper Collins « Traversée » : elle est dédiée à la littérature française au sein d’une maison d’édition américaine de 200 ans. L’enjeu est de s’implanter en France, avec un nombre limité de publications – huit annuelles – d’auteurs français, et marquées par la rencontre entre deux mondes : la dramaturgie et le style, c’est-à-dire une histoire et une empreinte littéraire, de façon qu’au lecteur « un monde reste plus que l’histoire ».

Aurélie Jeannin a ainsi été la première autrice signée de la collection. Aurélie Jeannin avait précédemment déposé son texte sur la plate-forme « Librinova » pour qu’il soit repéré.

Sur le fond :

Ce que l’autrice souhaitait en premier lieu dans l’écriture de Préférer l’hiver, c’était évoquer la question du deuil, du drame et de la survie, comment on se relève d’une épreuve, dans un rapport quotidien avec la forêt qui est à la fois un espace inquiétant, ouvert, où tout peut se passer, et un espace sécurisant, un nid avec quelque chose de fermé, de contenu comme une enveloppe.

L’idée de fuite et d’isolement que le lecteur pourrait ressentir est plus de l’ordre du repli, de partir d’un endroit et d’aller quelque part mais pour y rester.

L’isolement était vital pour sortir des relations et des épreuves trop difficiles à vivre : il fallait donc se retirer pour survivre.

L’évocation des livres c’était une façon de réunir ces deux femmes avec un contenu serré dans un espace-temps mais aussi leur donner une possibilité de s’évader.

La retraite ici c’est c’est totalement inconscient, en fait il s’agit plutôt d’une question de déconstruction. Le fondement identitaire c’est : sur quoi puis-je m’appuyer pour me reconstruire?

Sur la forme :

Aurélie Jeannin aime beaucoup les antinomies, de type l’idée d’un « soleil noir ». C’est pour cela qu’il y a à la fois du sombre et du lumineux dans son texte.

Le texte initial était relativement complet, l’éditrice lui a seulement demandé de préciser certains passages et personnages. Le choix de ne pas indiquer le lieu précis du récit ou les prénoms des deux femmes permettait d’interroger le rapport maternel : « Le « je » permettait d’avoir le « elle » ».

Il y a une forme de minimalisme dans l’écriture, totalement assumée par l’autrice : « je ne peux pas faire autrement, j’ai toujours la crainte d’en faire trop, de délayer. »

Il est également important pour l’autrice de conserver « la part du lecteur », de l’inviter à prendre ce qu’il veut, avec ses propres envies, avec ses propres passions, avec son propre vécu et « quelque chose de trop définitif pourrait fermer le lecteur ».

S’agissant du paysage qui « serait un personnage à part entière », l’autrice n’aime pas cette expression : le paysage est le décor dans lequel est placée l’histoire, il y participe dans ses côtés inquiétants et rassurants comme évoqué plus haut.

Les descriptions quasi scientifiques à certains passages du livre (de l’hiver, de la vie du ragondin) lui permettent de « ramener du factuel qui va borner le flou des émotions ».

Bien que l’autrice vive en France, en forêt, elle n’a pas connu le froid évoqué dans le roman, mais confesse avoir accueilli un ragondin dont elle s’est inspirée.

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