Terres fauves

Patrice Gain

255 pages

Éditions Pocket, 2020, Éditions Le mot et le reste, 2018

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de mai.

Neuvième livre lu dans le cadre du jury.

Fin de lecture 2 mai 2020

Le gouverneur de l’Etat de New York veut écrire ses mémoires. Son éditeur fait appel à David McCae, qui va les rédiger pour lui. Et comme le gouverneur compte parmi ses amis le brillant et renommé alpiniste Dick Carlson, l’éditeur mande à l’écrivain d’aller interviewer ledit alpiniste en Alaska. Mais, arrivé sur place, David surprend par hasard des informations qui peuvent remettre en cause l’écriture du livre, et se retrouve bientôt abandonné, seul au milieu d’une étendue hostile, proie des éléments et des animaux, voire des humains.

David raconte donc son histoire. Homme de la ville, il narre sans concession ses affres à l’idée de se confronter au froid, à l’avion, à la solitude. Obligé d’y faire face en raison des circonstances, l’homme se renouvelle et modifie en profondeur sa personnalité, laissant de côté la lâcheté qu’il désapprouve et se découvrant finalement un certain courage pour affronter ses peurs.

C’est une chasse à l’homme qui est décrite dans ce livre, mais également un road-trip. Patrice Gaine se donne ainsi l’occasion, par le truchement de son personnage, de décrire avec précision les paysages qu’il parcourt, l’écriture est riche, imposant à plusieurs reprises un détour par les pages du dictionnaire…

Un livre qui débute très lentement et pourrait rebuter, dont la tension se fait de plus en plus forte, qui m’a finalement beaucoup plu !

Citations

« À aucun moment il n’a sollicité mon assentiment. Dick Carlson dirigeait tout ce qui tournait autour de lui comme des astéroïdes tombés dans les filets du champ gravitationnel d’un astre. Je n’ai pas du tout aimé ça. » p50

« Mon bras et mon épaule à vif raclaient le sol rocheux. J’étais à bout de force. La douleur me submergeait par vagues. Les flammes montaient haut vers la cime des arbres. Je sentais la résine chaude des épicéas noirs qui offraient leurs branches odorantes comme de l’encens pour ce qui s’annonçait être mes funérailles. Le vent les caressait et faisait danser les volutes de fumée qui s’en échappaient tel un thuriféraire. Sous la voûte de la cathédrale étoilée, je me suis senti oublié des hommes et dans l’effroi du moment, tout comme Lennie, j’ai confié mon âme à Dieu. » p116

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Le douzième chapitre

Jérôme Loubry

335 pages

Le Livre de Poche, 2020, Calmann-Levy, 2019

Fin de lecture 15 avril 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois d’avril.

Huitième livre lu dans le cadre du jury.

David est un écrivain reconnu. Son éditeur, Samuel, est un ami d’enfance. Un très bon ami, même.

Car ils ont passé tous les deux leurs vacances dans le centre appartenant à la société qui employait leurs parents.

Jusqu’à la disparition, en 1986, d’une petite fille, Julie, dont ils avaient fait la connaissance sur la plage.

Aux prémices d’un amour d’enfance ont

succédé les regrets. Car nul n’a jamais su ce qu’il était advenu de l’enfant.

Mais trente ans plus tard, David et Samuel reçoivent chacun un manuscrit, relatant leur partie de l’histoire de cette année maudite. Ils essaient de trouver le mystérieux auteur des envois, ainsi que le troisième larron qui semble également être impliqué. Car ils sont identifiés par leur mystérieux expéditeur comme le sourd, le muet et l’aveugle, que les fantômes de leur passé commun viennent hanter.

Cela devient vite une obsession pour David, qui délaisse son travail et sa compagne pour se replonger dans le passé. Il doit se presser, car le dénouement interviendra à la lecture du fameux « douzième chapitre ».

C’est le premier livre de Jérôme Loubry que je lis, et si je conviens que la construction peut être intéressante, j’ai très rapidement trouvé les tenants et aboutissants de l’histoire, qui ne m’a donc plus passionnée. Le début était prometteur, mais comme j’avais deviné la suite, j’ai avancé très vite pour vérifier quelques détails.

Peut-être la faute à de trop nombreuses lectures de polars/thrillers qui me font chercher – et quelquefois trouver – midi à quatorze heures… Cela ne restera donc pas un souvenir impérissable pour moi, mais pourrait intéresser des lecteurs moins « aguerris ».

Sur l’écriture, par contre, j’ai bien aimé le parti pris de l’alternance des passé/présent/manuscrits différents, ainsi que les émotions ressenties par David enfant comme adulte : confronté à un beau-père qu’il déteste, habité d’une peur viscérale engendrée par la tension des aduites craignant de perdre leur emploi, la lumineuse apparition de la petite fille est une parenthèse bienvenue pour le petit David. Et lorsque devenu adulte, il reçoit le manuscrit, toute la protection psychologique qu’il a construite s’envole pour laisser place au stress, à l’angoisse de n’avoir pas pu empêcher la disparition de Julie.

Citations

« Vous allez être trois à recevoir ce récit. Trois personnages qui se sont rendus coupables, bien que de manière différente. »

« Elle se tenait debout, fière et conquérante, défiant leur silence et leur incrédulité, les poings posés sur ses fines hanches. Ses cheveux blonds avaient été rassemblés en une queue-de-cheval qui dévoilait la ligne parfaite de son cou. »

« Tu trouves ça bien, toi, que le fait de lire ces pages me trouble au point de ne plus pouvoir dormir ? Tu trouve ça bien que Sarah soit partie de la maison pour la simple et bonne raison que revivre tout se passé m’empêche d’interagir avec mon présent ? Tu trouves peut-être ça bien que je me torture à essayer de comprendre pourquoi nous avons été incapables de la protéger ? »

Malamorte

Antoine Albertini

310 pages

Le Livre de Poche, 2020, Éditions Jean-Claude Lattès, 2019

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois d’avril.

Septième livre lu dans le cadre du jury.

Fin de lecture 12 avril 2020

Il est Corse. Il est capitaine de police. Alcoolique, fumeur, pas très propre sur lui. C’est sans doute pour ça qu’il est affecté au bureau des homicides simples, aussi appelé « voie sans issue ». Ou peut-être est-ce l’inverse : un ou des accidents de la vie ont fait basculer sa carrière.

Mais si ce n’est qu’il est le narrateur qui dévoile ses sentiments en sus des développements de ses enquêtes, on ne saura même pas son nom. Comme s’il était destiné à rester invisible.

Et sans doute que c’est ce qui aurait dû se passer face à ce qui ressemble à une crise familiale qui a mal tourné : une petite fille et sa maman abattues par leur père et mari, Mohammed Charkaoui, qui a ensuite tenté de se suicider. Banale affaire ? Pas pour le « capitaine ». Car il va aller creuser un peu trop profond, grâce à son statut d’îlien et ses relations de toujours.

Et c’est également lui qui est chargé de résoudre une affaire autour d’un tueur en série de femmes qui commence à sévir sur l’île de Beauté.

Cet homme désabusé mais non dénué d’intelligence va utiliser celle-ci et des méthodes bien à lui pour résoudre les deux affaires, en dépit du silence opposé d’ordinaire par les autochtones aux services de police.

Antoine Albertini, journaliste spécialiste de la Corse, met ainsi en scène les relations très spéciales entre la mafia locale, le monde politique et celui des affaires. A travers les enquêtes policières menées par le « capitaine », le lecteur découvre bien des facettes de l’île : sa richesse géographique, entre mer et montagne, son climat pas si agréable sous la pluie de novembre, bien loin des clichés touristiques, la force de l’amitié mais aussi celle de la rancune.

J’ai bien aimé cet ouvrage, il m’a juste manqué un petit plus sur le personnage du capitaine et son histoire personnelle…

Citation

« La seule chose qui soit difficile sur cette île, c’est d’arriver à savoir si elle nous donne plus qu’elle ne nous prend. »