Se libérer et guérir des violences invisibles

Anne-Laure Buffet
175 pages
Eyrolles, 2019
Fin de lecture 18 août 2020
« Être à la hauteur,
De ce qu’on vous demande
Ce que les autres attendent
(…)
C’est un devoir quotidien
Un costume à mettre
Pour un rôle qui n’amène à rien
Encore faut-il vraiment s’y soumettre
Jusqu’à la fin »
Ces paroles vous rappellent quelque chose ? Elles sont extraites de la chanson de la comédie musicale Le roi soleil, interprétée par Emmanuel Moire. (Cyril Paulus/Lionel Florence/Patrice Guirao/Xavier Pace).
Elles se sont imposées à moi à la lecture de l’excellent ouvrage qu’Anne-Laure Buffet (que je remercie à nouveau chaleureusement) m’a adressé l’an dernier. Oui, il m’aura fallu un an pour l’ouvrir et m’y plonger pour le lire d’une traite.
Parce que forcément les points qui y sont abordés font écho à de grandes souffrances.
La psychothérapeute aborde les violences intrafamiliales par deux biais : les failles initiales de la potentielle « victime », les désirs du « prédateur ». Le deuxième se délectant de séduire sa proie pour mieux l’asservir sur le long terme.
Qui dit faille dit fragilité. Mais absolument pas faiblesse, nous dit la psychologue. Et ces fragilités peuvent déjà être le fait d’un parent prédateur, et se perpétuer dans la vie conjugale, la répétition étant l’apanage des « victimes », repérées par leur bourreau. Mais elles peuvent également se révéler après un accident de la vie, et le prédateur s’engouffrer dans la brèche ouverte pour dépecer celui ou celle qu’il a choisi(e). Bref, personne n’est vraiment à l’abri !
C’est l’agresseur en effet qui choisit sa victime, c’est lui qui s’accroche, qui s’acharne, l’isole, l’assomme d’obligations et d’injonctions paradoxales, ces questions qui rendent fous… comme le souhaite ardemment le bourreau. Quand la violence psychologique ne se convertit pas en violence physique.
Mais peu importe. Car les violences psychologiques ont déjà des conséquences sur le physique : le stress (ce passage est très bien documenté pp 56 à 62) induit par la peur incessante de ne pas savoir répondre aux attentes du prédateur – ce qui relève de toute façon de l’illusion – affecte le corps qui finit par témoigner des tensions excessives auquel il est soumis.
Témoigner ? Ah oui! Quelle difficulté pour faire reconnaître par autrui ces souffrances majoritairement provoquées dans un cadre privé. La famille, les amis, n’ont aucune connaissance précise de ce qui se passe : sinon que la victime semble plus agressive, plus triste, éteinte. Mais là encore le prédateur a tout prévu : il a déjà fait état de la maladie supposée de sa victime, de son instabilité, … et le bourreau se fait victime. CQFD.
Alors comment faire pour convaincre ses proches ? Et encore plus la justice ?
Mais pour oser aller en justice il faut déjà se reconnaître dans ce statut de victime : et Anne-Laure Buffet décrit avec précision combien la victime est partagée entre son horreur de se maintenir dans une situation d’asservissement qu’elle a fini par entrevoir et y mettre fin, sortant ainsi d’un système « confortable », au sens de connu et relativement protecteur. Surmonter cette séparation d’avec le prédateur s’avère quasiment aussi difficile que de rester : honte, culpabilité, regret, deuil, les émotions ressenties sont à la hauteur de la décision prise.
A la hauteur en effet. Car la chanson se termine ainsi :
« Etre à la hauteur
Sans jamais en descendre
Et ne pas se défendre
De vouloir en vainqueur
Etre à la hauteur
(…)
Ne plus avoir peur
D’être à la hauteur. »
Car il est possible d’en sortir. Avec du temps. Avec de l’aide. Bienveillante, ce mot si galvaudé. Adaptée à ses propres souffrances : chacun vit différemment le même type d’agression. En refusant donc de se comparer. En acceptant de se confronter à soi-même pour connaître ce qui est son vrai « soi » et pas ce qui a été façonné par le prédateur.
Pour devenir un « adulte » en capacité d’assumer ses responsabilités, et être capable, le cas échéant, d’entrer dans une nouvelle relation, saine.
Et pardonner. Peut-être. Si on le veut. Parce qu’on décide enfin par soi-même…
Voilà donc un ouvrage à lire et relire : que l’on soit victime aujourd’hui, qu’on l’ait été, qu’on cherche à comprendre une victime. Car il est scientifiquement étayé, d’une extrême clarté, d’une infinie justesse dans la description du ressenti. Je n’écris jamais dans les livres que je lis. J’ai fait exception pour celui-ci : j’ai souligné, encadré, annoté tant de passages qui examinent ces relations délétères. J’aurais encore tant à écrire…
Merci Madame Buffet, pour toutes les victimes qui auront peut-être une énorme chance : ouvrir votre livre et y découvrir le récit de leur vie. Et surtout comment en sortir.
Pour moi, c’était il y a vingt ans, le livre était écrit par Isabelle Nazare-Aga : Les manipulateurs et l’amour. Il a changé ma vie.
Citations
« S’il peut y avoir violence psychologique sans emprise, il n’y aura jamais emprise sans violence psychologique. Sans emprise, la victime ressent la violence même si elle demeure indicible. Sous emprise, la victime ne ressent rien, même plus sa souffrance et sa peur. »
« Parce que les victimes ne savent pas comment prouver la violence psychologique, ne savent pas comment l’exprimer et n’arrivent pas à se faire comprendre par les personnes auxquelles elles s’adressent , elles subissent une violence sociale déjà évoquée : la double peine constituée par la maltraitance de l’agresseur et l’incompréhension des tiers. »
Waouh, quelle chronique ! Bravo… J’aime beaucoup le parallèle fait avec la chanson.
Les ouvrages d’Anne-Laure Buffet sont toujours excellents. Foncez, découvrez vite cette auteure !
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Merci Élisabeth 😉
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