La deuxième femme

Louise Mey

335 pages

Éditions du Masque, 2020

Fin de lecture 2 mars 2021.

Un livre acheté à l’automne 2020. Je le voulais vraiment. Impossible pourtant de l’ouvrir pendant longtemps. Puis ouvert… et vite refermé après quelques pages. Pas le bon moment. Laissé de côté parce que tant d’autres attendaient, et sachant que j’y reviendrais évidemment.

Et puis une envie de le lire, le bon moment sans aucun doute. Et je ne l’ai plus lâché.

Sandrine, c’est la deuxième femme. La femme moche, grosse, grasse. En tout cas c’est comme ça qu’elle se voit et se décrit dans ses pensées.

Car même si le livre n’est pas écrit par elle, on est dans ses pensées. On suit sa narration interne, ses pensées les plus intimes, ses espoirs, ses craintes et ses doutes. Le style est en conséquence : des phrases hachées, sans structuration propre, reflet des fugitives ou profondes émotions et réflexions qui traversent son esprit.

Sandrine n’a pas vraiment eu de chance dans la vie. Et puis, celle-ci a semblé un peu lui sourire quand elle l’a rencontré, lui. Lui dont la première femme avait disparu, le laissant seul avec son fils Mathias. Sandrine ne pouvait pas croire qu’il s’intéresserait à elle. Pourquoi elle ? Et puis il l’a accueillie chez lui. Elle est venue habiter ses meubles à lui. Elle a fait ce que lui voulait. Elle s’est conformée à ses désirs à lui. Parce qu’elle l’aimait. Et qu’elle ne comprenait toujours pas pourquoi lui l’aimait. Mais ça, quand s’ouvre le livre, Sandrine commence seulement à en prendre conscience.

Parce qu’un déclic se fait : la première femme, Caroline, a réapparu. Amnésique. Sandrine est un peu jalouse, elle a peur de perdre son homme et le petit garçon auquel elle s’est attachée.

Mais avec le retour de Caroline, lui va changer. En fait, il va surtout montrer encore plus son vrai visage.

L’escalade va pouvoir commencer. Celle de la violence pernicieuse était sous-jacente, elle va se préciser, elle va s’intensifier. Depuis l’isolement psychologique de sa victime jusqu’à la perte de son autonomie financière, tout concourt à une dépendance totale et à la main-mise de l’homme sur sa conjointe. Et les gestes vont rejoindre la parole.

« Il la saisit par le cou et cela n’a plus rien d’un geste de tendresse. Dans un éclair déchirant Sandrine réalise que ça n’en est pas un, que ça n’en a jamais été, que ce n’est pas « Je t’aime » mais « Tu m’appartiens », il se serre et elle commence à étouffer, ça fait mal mais c’est secondaire, elle ne pense pas à la douleur, elle pense à l’air, à l’air qui ne vient plus. »

L’espacement des moments de « lune de miel », et bien sûr l’inversion de la culpabilité. Ce n’est jamais de sa faute à lui s’il fait pleuvoir des coups sur elle.

« (…) je voulais pas m’énerver, mais regarde, pourquoi tu as fait ça sans me demander, moi j’entends ça je me dis tu es avec elles, mais je voulais pas, regarde-moi, ça va, ça va, je t’aime, je voulais pas, il faut pas que tu fasses des trucs comme ça, d’accord, moi je ne m’énerverai plus, je ne m’énerverai plus, c’est promis, si tu fais ça promis plus jamais, ça va aller, je t’aime. »

Alors les pensées de Sandrine vont devoir devenir des actes, au risque de tout perdre, au risque de se perdre.

C’est un roman, ne nous y trompons pas. Mais un roman documentaire. Celui de l’emprise. C’est un roman poignant. Celui de l’attachement d’une femme à un homme qui lui vole sa vitalité, qui la détruit peu à peu. De l’écartèlement entre cet amour pour lui et la prise de conscience qu’il atteint à sa vie à elle, à son intégrité physique et psychique. Je l’ai lue, je l’ai ressentie, je l’ai vécue avec angoisse et boule au ventre, cette peur de regarder la tête de l’être qu’on aime malgré tout, et d’y lire immédiatement si la soirée va bien se passer… Les compromissions à sens unique. Les coups bas et les injonctions contradictoires qui rabaissent constamment.

« Il l’aime comme elle est, elle le sait elle le sait, il lui dit toujours, c’est lui qui la ressert de fromage, lui interdit l’allégé, mais parfois, des fois, il commente son poids, et aujourd’hui est un jour comme ça. Elle baisse la tête, elle ne sait pas quoi répondre, elle ne sait jamais quoi répondre, de toute façon quand il est comme ça il vaut mieux ne rien dire. »

C’est un roman à mettre entre toutes les mains des parents et des jeunes femmes. Pour ouvrir les yeux, pour prévenir… et sans doute pour guérir aussi. Parce que sortir d’une telle relation est un long combat, et qu’il vaut mieux en déceler très vite les ressorts avant d’y plonger tête baissée et de se retrouver enchaînée.

Je veux souligner enfin que l’histoire pointe également un aspect crucial : les policiers qui sont dépeints dans cet ouvrage existent vraiment. Ceux qui croient les femmes meurtries. Ceux qui vont tout faire pour confondre les auteurs de ces violences sur leurs conjointes et sur leurs enfants.

Je le sais. Je les ai rencontrés… il y a vingt ans, leur numéro de téléphone était dans mon répertoire… et je veux leur rendre hommage ici.

Merci à Louise Mey d’avoir posé des mots sur le quotidien de nombreuses femmes, en forme de cri d’alarme, peut-être plus fortement que dans un témoignage : parce si que la réalité dépasse souvent la fiction, La deuxième femme dépeint de façon remarquable la réalité !

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