Les voisins

Fiona Cummins

Traduction de Jean Esch

510 pages

Slatkine & Cie, 2021

Fin de lecture 20 avril 2021.

Je remercie les Éditions Slatkine & Cie de m’avoir adressé ce livre dans le cadre d’un service presse.

Comment sont vos voisins ? Gentils, serviables, bougons, avenants, antipathiques ? Avez-vous remarqué celui ou celle qui se cache derrière son rideau pour scruter tout ce qui se déroule dans votre rue ? Mais si oui, ne serait-ce pas parce que vous-même le faites aussi ? ….

L’Avenue où vous habitez, ce n’est pas simplement la barrière et le petit chemin qui mène à votre porte, les quatre murs d’enceinte qui vous sécurisent et permettent la distribution d’un nombre plus ou moins grand de pièces. Ce sont aussi ces êtres que vous croisez presque quotidiennement, ceux avec qui vous discutez un instant ou partagez un café, ceux dont vous vous contentez d’imaginer la vie ou que vous ignorez totalement.

Quand plusieurs crimes sont commis dans le bois près de L’Avenue, et qu’on commence à parler de serial killer, c’est d’autant plus inquiétant, car vous risquez de soupçonner tous vos voisins. Même si certaines maisons ont été désertées à cause de ces crimes.

« Car nul ne s’installait dans L’Avenue sans que la mort s’insinue par les interstices des murs. »

Et si, en plus, le mari d’une policière attachée à l’enquête fait partie des victimes, cela devient émotionnellement terrible.

Quand j’ai ouvert le livre de Fiona Cummins, j’ai eu l’impression d’être projetée dans Wisteria Lane : non parce que L’Avenue décrite est un lieu magnifique comme celui où vivent les fameuses « Desperate housewives », mais plutôt car chaque maison de ce charmant coin de l’Essex recèle son secret.

Fiona Cummins nous promène ainsi de porte en porte, nous retournant la tête : celui-là détient effectivement un secret, mais est-il relié aux meurtres ? Et celle-ci, pourquoi agit-elle ainsi ?

Et ces nouveaux arrivants, les Lockwood, on se demande bien pourquoi ils ont abandonné une magnifique maison pour venir s’installer ici…

La construction littéraire est particulière : elle alterne une narration émanant d’une personne inconnue, avec des chapitres décrivant ce qui se déroule dans chaque maison de L’Avenue, et des allers-retours entre passé et présent.

Pour essayer de démêler le vrai du faux, j’ai donc dessiné un plan de la rue avec les numéros des maisons et les noms de leurs habitants… mais s’il n’y avait que les humains… car il y a aussi des poupées, plus vraies que nature, qui semblent hanter le village et certains esprits depuis fort longtemps.

« Il estimait que chaque poupée devait raconter une histoire avec ses yeux, et qu’en y plongeant son regard, on apprendrait quelque chose de nouveau. »

Voilà, le décor est planté, à vous de promener votre regard au-dessus des haies bien taillées ou des jardins abandonnés, mais évitez à tout prix certaines maisons de L’Avenue, ne vous y promenez pas la nuit, voire même le jour, vous risqueriez d’y laisser votre peau…

Un très bon moment de lecture !

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Dompteur d’anges

Claire Favan

438 pages

Pocket, 2018, Éditions Robert Laffont, 2017

Fin de lecture 14 avril 2021

Quand on rencontre Madame Favan, c’est madame tout-le-monde qui vous parle de son enfant, de sa vie, de la façon dont elle travaille. Elle est douce et on aime l’écouter.

Quand on lit ses livres, on se demande qui a tenu la plume ou quels sont ces doigts qui ont tapé des phrases traduisant une construction d’histoire aussi terrible !

Max est un pauvre jeune homme qui n’a jamais fait de mal à personne, mais parce qu’il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, parce qu’il n’a pas le bon profil ni les bons appuis, il est le désigné d’office dans le viol et le meurtre d’un jeune enfant, son ami, qui le suivait comme son ombre.

Max devient donc le souffre-douleur de ses codétenus, des surveillants pénitentiaires, comme cela prévaut pour les agresseurs de ce type dans l’univers carcéral. Sauf que Max est innocent. Et que son innocence est reconnue au bout de cinq ans, lorsque le vrai coupable est démasqué.

Mais l’expérience vécue par Max a totalement transformé le gentil jeune homme. Animé d’une froide colère, il va mettre tout en œuvre pour assouvir sa vengeance : juge, avocat, jury, matons, tous ceux qui sont concernés de près ou de loin par l’affaire vont subir l’enfer.

Max a concocté un plan, enlevant les enfants de ceux qui l’ont malmené, leur infligeant une éducation où les coups et les humiliations cassent leur personnalité, et en les entraînant aux pires méfaits. On suit plus particulièrement Cameron, le premier enfant enlevé, car c’est lui qui va vivre le plus auprès de Max.

« Ses journées s’écoulent quasiment toutes de la même façon entre les séances de dressage, crever la dalle, les coups, et les leçons. »

Trois enfants deviennent les réceptacles des théories fumeuses de Max, ils sont constamment dans la lutte pour le pire pour obtenir l’approbation de leur père de substitution.

« Il ne parvient pas à penser autrement qu’en avantage personnel, ni à ressentir de pitié pour celui qu’il a contribué à capturer. »

La peur, la soumission, la souffrance sont les seules composantes de leur vie, celles qu’ils subissent, celles qu’ils font aussi subir à d’autres, pour abreuver la soif de vengeance de Max. A travers les Etats-Unis, dressés pour voler, tuer, et démontrer qu’aucune justice n’existe, les « anges » de Max portent le malheur, tant à des innocents qu’à des malfrats.

« Ce soir, ils vont tuer un homme.

Il ne s’agit plus de coller une baffe à des gens terrorisés pour leur piquer du fric, de voler à l’étalage sans se faire voir, de cambrioler des maisons vides ou de pousser une femme à peine sortie du sommeil dans son escalier pour qu’elle se brise les os. »

Et l’adolescence survient, qui exacerbe les rivalités entre les jeunes gens.

Où est la conscience morale ? Où est la vraie justice ? Qui est le coupable : celui qui commet l’acte ou celui qui a concocté l’éducation d’une manière sectaire, annihilant toute autre forme de pensée ? Comment se sortir de telles situations ? Et que faire d’une telle éducation quand on devient adulte ?

C’est un livre terrible, haletant, où le talent de Claire Favan amène à s’interroger qur notre propre référentiel de valeurs. En effet, on se prend à vouloir sauver ces enfants, à ne pas les laisser perdurer bien évidemment leur périple meurtrier, mais sans pour autant qu’ils soient démasqués malgré leurs horribles méfaits.

On croit en voir fini avec l’horreur, et au détour d’une page, l’autrice nous y replonge savamment.

Un excellent thriller !

La rivière à l’envers

Tomek et Hannah, à la recherche de La rivière à l’envers © CF 18/04/21

Tome 1 : Tomek, 72 pages

Tome 2 : Hannah, 72 pages

Scénario : Maxe L’Hermenier

Dessins : Djet & Johann Corgié

Couleur : Parada

D’après le roman de Jean-Claude Mourlevat

Éditions Jungle Collection Jungle Pépites, 2019

Textes Pour aller plus loin : Eléonore de Cié

Fin de lecture 17 avril 2021

Découverts par hasard dans la bibliothèque de ma fille, voici deux romans graphiques composés d’après le livre éponyme de Jean-Claude Mourlevat. De l’auteur, je n’ai lu que le joli Et je danse aussi, écrit à quatre mains avec Anne-Laure Bondoux, que j’ai beaucoup aimé.

Dans ces deux romans graphiques, sont mis en scène les aventures de Tomek et Hannah qui recherchent la rivière à l’envers, dont la source recèlerait des propriétés magiques.

Dans le tome 1, Hannah vient dans l’épicerie de Tomek et lui demande une goutte de cette eau qui pourrait sauver son oiseau favori, une passerine. Comme le jeune garçon n’en a pas, dépitée, Hannah s’en va. Tomek ne peut oublier la jeune fille et décide de partir à sa recherche en allant vers la rivière. Le voyage est long et semé d’embûches, de rencontres étonnantes, jusqu’à ce que Tomek retrouve Hannah.

Dans le tome 2, Hannah raconte à Tomek les aventures qui ont précédé leur rencontre, ainsi que son ressenti suite à celle-ci. Son récit plonge à nouveau le lecteur dans un périple vers la source miraculeuse, où l’on découvre une vie très riche d’expériences plus ou moins heureuses pour la jeune femme.

Chaque livre comporte en sa fin un carnet Pour aller plus loin, qui donne des informations complémentaires sur des situations évoquées dans l’histoire. Puis, des questions permettent au jeune lecteur de vérifier sa compréhension et sa mémorisation.

C’est charmant, émouvant par moment, la quête pour l’une de ce qui va maintenir en vie le dernier cadeau de son père, et pour l’autre un coup de foudre qui conduit à travers les temps et les lieux. Les dessins et les couleurs sont très beaux, les couvertures magnifiques (elles mériteraient d’être encadrées!).

Je suis certaine que les jeunes lecteurs peuvent se passionner pour ces histoires extraordinaires et en même temps teintées de réalisme.

Un bien joli moment de lecture !

Quand la ville tombe

Didier Castino

249 pages

Les Avrils, Groupe Delcourt, avril 2021

Fin de lecture 10 avril 2021.

J’avais déjà entendu parler des livres de Didier Castino, notamment Rue Monsieur-le-Prince, car il évoque un fait qui a marqué mon adolescence, mais je n’avais jamais goûté à son écriture.

Je remercie donc Les Avrils pour m’avoir adressé cet ouvrage à la couverture bleu « Klein »… afin que j’en découvre l’histoire et la patte littéraire.

A Marseille, Blanche et Hervé élèvent leurs trois enfants Anna, Marcia et Céleste. Elle est professeur, il est traducteur. Ils s’aiment depuis seize ans, d’un amour fou que rien ne peut séparer. Au lieu de conserver du temps pour eux seuls, ils l’engrangent avec les autres, leurs enfants notamment.

Leur quotidien est fait de simplicité, car tous deux, et surtout Blanche, ne veulent pas gaspiller. Ils se sont connus engagés, ils le sont restés.

On parle de guerre. Cette guerre va arriver. Ils ont milité contre d’autres guerres, elles sont partout désormais. Ils s’en inquiètent durant cette nuit qui précède l’effondrement.

L’effondrement d’un balcon sur Blanche, l’effondrement de la vie d’Hervé et des enfants. La ville qui tombe.

« Dans cette ville, il y avait une rade magnifique, une lumière blanche et d’immense richesses, il y avait aussi une grande misère sociale et des bâtiments sur le point de s’effondrer. »

C’est donc Hervé qui narre la rencontre, la folie de leur amour naissant puis consolidé, leur complicité sans faille.

« Être bien ne se dit pas, ça se vit, c’est tout. Tu parles sans t’en apercevoir, je te devine. Les mots que, surtout, tu veux poser, inutile de les prononcer, je les entends, je les vois dans tes yeux et dans tes mouvements. Dans tes hésitations aussi. »

Il revisite sa relation avec sa bien-aimée, son caractère fort, ses prises de position tranchées, son impression à lui de ne pas toujours être à la hauteur de la jeune femme.

« Ce qui est clair pour toi passe par des explications savantes et concrètes alors que pour moi c’est grâce à des images, des formules, des fragments que je forge mes convictions et quand je les restitue, il arrive que ce soit vague. »

Puisqu’il l’a toujours fait, il continue à dialoguer avec elle, il imagine les réponses sans fard qu’elle lui lancerait. D’ailleurs, est-elle vraiment partie ?

« Notre routine que je découvre me fait tant envie désormais. »

Bien sûr, l’homme blessé, celui qui ne veut surtout pas qu’on le nomme « veuf », celui qui est tant attaché à l’acception initiale des mots, doit également faire face à l’absence physique, aux contraintes du quotidien de parent seul, de référent pour ses enfants.

« Si je pouvais seulement être seul. Ce n’est pas grave d’être seul, j’ai le droit comme dit Marcia, je percevrais moins le manque que ressentent les enfants. (…) Qu’est-ce qui pourrait être à la hauteur de notre vie d’avant ? »

Ce sont les premières fois sans Blanche qui ponctuent cette vie au ralenti, pas comme avant, mais pas encore un après.

Jusqu’à la petite lueur qui va ranimer Hervé, cette étincelle provoquée une fois de plus par son dialogue interne avec la disparue, dans un chapitre que j’ai achevé les larmes aux yeux et le cœur serré.

Didier Castino expose une année de l’existence d’un homme accablé par la perte immense de l’être aimé et des repères qui fondaient leurs projets familiaux, leur volonté de modifier avec leurs faibles moyens le cours du monde.

La richesse du monologue et des ressentis d’Hervé en font un personnage attachant. J’ai beaucoup aimé cette intrusion dans les pensées de « celui qui reste », en proie à de violentes contradictions émotionnelles, l’impossibilité apparente de rompre avec un passé et le chemin de résilience qui peu à peu s’ouvre, élargit le champ des possibles et donc de vivre sans l’être aimé, mais toujours avec lui malgré tout.

Au-delà de l’histoire d’un deuil, ce livre pointe « l’habitat indigne », expression générique qui masque le quotidien de personnes qui payent, pour quelques mètres carrés d’insalubrité et d’insécurité, des loyers exorbitants à des marchands de sommeil avides d’argent ; les vies sacrifiées dans des conflits dont on arrondit les chiffres pour faire disparaître les individualités et éviter ainsi de s’en émouvoir ; les milliers d’autres qui souhaitent échapper à cette mort programmée en essayant de gagner un autre continent sur des embarcations de fortune.

J’ai été émue, profondément touchée par l’histoire et l’écriture, cette italique qui scande l’échange permanent entre Hervé et Blanche, les digressions sur la déformation du sens des mots… et le bleu « Klein ».

Coup de cœur !