
Isabelle Boissard
220 pages
Les Avrils, Groupe Delcourt, 2021
Fin de lecture 3 mai 2021.
Je remercie Les Avrils de m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’un service presse. Dans ce premier roman, Isabelle Boissard s’inspire de sa propre vie d’expatriée au long cours pour peindre son personnage principal, narratrice désabusée.
Isabelle a bientôt cinquante ans. Un mari, Pierre, deux filles. Une vie d’expatriée, à Taïwan, cette fois-ci. Tout ce qui pourrait sembler très épanouissant à certaines.
Mais Isabelle n’est qu’une accompagnatrice. Elle n’en peut plus de faire et défaire les bagages, de s’obliger avec les nouvelles connaissances croisées autour d’un café de faux-semblants.
« Un expatrié, c’est un équilibriste. Il est difficile de se plaindre, parce que c’est un choix. Un choix fantasmé chez les autres. (…) Vivre à l’étranger, c’est surtout s’adapter. S’adapter demande beaucoup d’énergie. Tout le monde sort de sa zone de confort. C’est aussi un décalage d’énergie. Pierre en redouble et moi j’en perds. »
Dans sa vie, elle se sent de plus en plus éloignée de son rôle de mère et épouse, encore moins une femme, du fait de la vacuité de son existence.
Avant son départ, son amie Sophie lui a offert un carnet et l’a inscrite à un atelier d’écriture. Alors, entre deux séances de yoga et d’apprentissage du mandarin, Isabelle s’y essaye et relate sa vie, ses réflexions. Son coach à distance, un auteur renommé, devient peu à peu l’objet de ses fantasmes… car il semble être le seul à nouer une vraie relation avec elle.
« Enfin, le coup de grâce est porté avec l’annonce finale d’une rencontre « pour de vrai » qui aura lieu à Paris dans un mois. J’ai l’impression d’avoir reçu une lettre d’amour. J’oublie qu’elle est écrite à d’autres. »
Isabelle déchante vite : du fait de la distance, elle ne se rendra pas à Paris, évidemment.
Mais voilà que sa mère se retrouve dans le coma : Isabelle rentre en France. Et, à sa grande honte, se rend compte qu’elle pourra finalement rencontrer l’objet de son désir !
« Le jour de la rencontre avec l’auteur, Le Rendez-Vous, comme il l’appelle, je serai en France. Je me réjouis à l’idée de pouvoir rencontrer Gaspard (…). Appelons ça un bénéfice secondaire. A quelque chose, malheur est bon. Je me sens monstrueuse, Je me sens légèrement monstrueuse. »
Mais surtout, occasion lui est donnée d’axer désormais ses réflexions sur son enfance sans père et ses rapports compliqués avec une mère aux idées bien arrêtées, aux petites manies et aux phrases toutes faites, qui a réussi à s’en sortir seule en élevant trois enfants et qu’Isabelle ne s’autorise à aucun moment à décevoir.
Petit à petit, en reprenant contact avec la maison de son enfance, en s’arrêtant sur les sacrifices de cette mère courageuse, Isabelle semble recoller les morceaux d’elle-même qu’elle avait laissés échapper au fil du temps, et reprend un peu plus pied dans la réalité.
Cette évocation de la crise de la cinquantaine avant l’heure, où tous les choix passés sont remis à plat, amène une certaine mélancolie dans le récit, bien que teinté d’humour acéré (voire très corrosif !) par instant.
« Le voyage intérieur reste le principal défi. On a beau partir très loin, on s’emporte soi et c’est toujours soi que l’on finit par retrouver, même au bout du monde. C’est très décevant. »
Il s’agit d’un journal intime : des paragraphes s’égrènent sur une réflexion du moment, sur des activités engagées – ou non – par la narratrice, et leur brièveté donne du dynamisme à l’ensemble. J’ai particulièrement aimé les descriptions des autres expatriées, les appartés de questions imaginaires de journaliste et de réponses formulées selon la personne interrogée ou de petites annonces que cette femme en manque d’estime d’elle-même se verrait bien passer dans un journal.
C’est un livre teinté de gris et rose, de tristesse et d’humour qui dévoile presque sans pudeur les difficultés à concilier sa vraie personnalité avec un certain syndrome de l’imposteur, le questionnement du milieu de vie, le regard forcément partial sur son enfance et la réconciliation malgré tout possible avec soi-même.
Une réflexion sur « La fille que ma mère imaginait »