La Reine des lectrices

Alan Bennett

Traduction de Pierre Ménard

123 pages

Folio, 2010, Éditions Denoël, 2009

Fin de lecture 23 mai 2021.

J’ai lu un avis sur un groupe de lecture (Il est bien ce livre), et l’originalité du sujet m’a donné envie de rencontrer La Reine des lectrices. (Merci à Elisabeth de me l’avoir prêté dans la foulée !)

Au départ, cela aurait pu être très sérieux : Sa Majesté la Reine Elizabeth d’Angleterre est tout de même le personnage principal de ce roman !

Mais voici que ses fameux corgis, bien souvent détestés par ses sujets, amènent la très estimée souveraine vers un bibliobus : y rencontrant le bibliothécaire et Norman, un des cuisiniers du palais profondément plongé dans sa lecture, son éducation ne peut que l’entraîner à retirer un livre, sans aucune intention de le lire…

Oui mais voilà, la magie de l’écriture, la diversité des sujets, associés à la curiosité insatiable de Madame, l’amènent à se découvrir une addiction : celle de la lecture ! Celle qui vous emporte, celle qui vous fait oublier d’éteindre la lumière et dormir, celle qui vous fait rater un train ou un avion, celle qui fait que votre sac à main est soudainement plus grand pour accueillir un de ces recueils qui vous font voyager sans bouger d’un pouce… Pour le commun des mortels, cela n’est pas trop grave… pour celle qui incarne le « never explain, never complain » cher au Commonwealth, cela devient une affaire d’Etat !

Car Sa Majesté est en retard, peu concentrée, peu intéressée par sa toilette, pour tout dire, elle semble perdre la tête.

« – Mais Madame avait sûrement été briefée ?

– Bien sûr, dit la reine. Mais être briefé, ce n’est pas lire : c’est même exactement l’inverse. Le briefing doit être concis, concret, efficace. La lecture est désordonnée, décousue et constamment attrayante. Le briefing vise à clore une discussion, la lecture ne cesse de la relancer. »

Faisant fi du protocole, elle parle plus de littérature que de politique, et bientôt ses conseillers, ses proches, inquiets de la tournure des événements, essaient de contrer par tous moyens cet engouement inopportun : mutation, détournement de livres, exhumation d’un vieil employé gâteux…

Mais tous ces rigoristes bien plus attachés à l’étiquette qu’à la personne de leur souveraine ne sont pas au bout de leurs surprises !

Que dire de plus : j’ai adoré lire ce petit ouvrage subversif. Il se dévore et se déguste, donne envie de découvrir d’autres auteurs, contemporains ou plus classiques, provoque le sourire et même le rire par des réflexions très amusantes. Je n’ai pu m’empêcher de me demander si la Reine, dont l’humour s’était notamment manifesté lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2012, accompagnée de Daniel Craig alias James Bond, a lu et apprécié ce livre…

Pour moi, il s’agit d’un coup de cœur, à relier au livre de Daniel Pennac « Comme un roman », pour faire aimer la lecture… et l’écriture.

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L’énigme de la chambre 622

Joël Dicker

622 pages

Éditions De Fallois, 2020

Fin de lecture 19 mai 2021.

J’ai eu le plaisir de lire en version numérique cet ouvrage de Joël Dicker. Je m’y suis mise avec un peu de réticence, car j’avais abandonné il y quelques années L’affaire Harry Québert au bout de 10 pages, je n’accrochais pas du tout !

Et là, alors que le compteur de mon téléphone annonçait 1404 pages (!), j’ai été plongée directement dans l’histoire de l’Ecrivain Suisse, Joël donc, qui à la suite d’une déception sentimentale, part se mettre au vert dans le Valais au Palace de Verbier.

Il y rencontre une jeune femme, Scarlett, qui veut quitter son mari, et un courant sympathique s’installe entre eux.

Leur désœuvrement va les mener à s’interroger sur l’absence de chambre numéro 622 dans cet hôtel, remplacé opportunément par un numéro « 621 bis ». Or, il s’avère qu’un crime y a été commis quelques années auparavant, au cours du week-end annuel itératif organisé par la banque Ebezner, située à Genève.

Les deux compères interrogent le personnel de l’hôtel, les protagonistes de l’histoire, les policiers en charge de l’enquête, afin de reconstituer et de résoudre l’énigme classée comme un « cold case ».

Le fruit de leurs recherches alimente la rédaction du futur ouvrage de l’Ecrivain, qu’il doit transmettre assez vite à son éditeur.

Et voilà le lecteur immergé dans les histoires alambiquées de protagonistes autour de l’hôtel bien sûr, mais aussi de la banque Ebezner, où se croisent des personnages complexes aux intérêts divers : argent, pouvoir, jeux de dupes, amour, jalousie et vengeance sont au programme !

J’ai adoré ! Aucun temps mort, des rebondissements, des allers-retours entre plusieurs époques, le lecteur est retourné régulièrement et s’interroge de prime abord sur cette mystérieuse victime, dont il finit par connaître le nom seulement au deux-tiers du livre… puis, évidemment, sur l’auteur du crime.

Un roman qui ferait se croiser Arsène Lupin et Le Comte de Monte-Cristo, dans une société où tout ce qui brille n’est pas forcément or…

J’ai juste regretté la toute fin que j’ai trouvée un peu trop rapide au regard de l’ensemble du livre… peut-être pour conserver seulement 622 pages ?

Mais on y trouve en préface et au sein de l’ouvrage un très bel hommage de l’Ecrivain Joël/Joël Dicker à son éditeur Bernard de Fallois, qui l’a fait connaître en 2012, et dont le décès en 2018 a imprégné l’écriture. Il offre ainsi une merveilleuse définition du roman et de l’auteur.

« – Qu’est-ce qu’un grand roman ? demanda Scarlett.

⁃ Selon Bernard, un grand roman, c’est un tableau. Un monde qui s’offre au lecteur qui va se laisser happer par cette immense illusion faite de coups de pinceau. Le tableau montre de la pluie : on se sent mouillé. Un paysage glacial et enneigé ? On se surprend à frissonner. Et il disait : « Vous savez ce qu’est un grand écrivain ? C’est un peintre justement. Dans le musée des grands écrivains, dont tous les libraires possèdent la clé, des millions de toiles vous attendent. Si vous y entrez une fois, vous deviendrez un habitué. » »

Coup de cœur !

Mortelle dédicace

Elly Griffiths

Traduction de Vincent Guilluy

412 pages

Hugo Thriller, 6 mai 2021

Fin de lecture 7 mai 2021.

Je remercie les Editions Hugo Thriller pour m’avoir adressé ce livre dans le cadre d’un service presse. L’autrice y met en scène l’inspectrice Harbinder Kaur, dont on a pu suivre l’intervention dans Le journal de Claire Cassidy en 2020, primé.

Je suis ravie de retrouver l’univers d’Elly Griffiths, avec un bonus pour la couverture, que je trouve très réussie : le tricolore avec la plume et la goutte de sang correspondent parfaitement au sujet abordé.

Dans cet opus, elle nous entraîne à nouveau dans une construction littéraire où chaque chapitre correspond à la relation des actions d’un personnage.

La mort soudaine de Peggy Smith, dame âgée mais sans souci de santé particulier, va ainsi déclencher la suspicion de Natalka, son aide de vie, puis d’Edwin, l’octogénaire voisin de palier de Peggy, et de Benedict, le moine défroqué qui tient un café sur la plage, lieu de convivialité en face de la résidence de personnes âgées.

Peggy Smith n’était manifestement pas une vieille dame comme les autres, car elle prodiguait à des auteurs de polars en panne d’inspiration des conseils relatifs à la manière de commettre des crimes, et eux lui dédicaçaient leurs ouvrages. Sa vie semble avoir été très riche, comme en témoigne une carte trouvée chez elle :

« C’est une carte de visite, tout à fait officielle, avec, écrit en cursives noires :

Mme M. Smith

Consultante ès meurtres »

Natalka, reçue au commissariat par Harbinder, va lui dévoiler ses soupçons, mais la policière ne réagit pas assez vite à son gré :

« C’est bien beau de rester assis à boire du café, se dit Natalka, mais il faut qu’on passe à l’action. Elle avait cru que la policière, Harbinder, apporterait un peu de dynamisme mais elle a l’air aussi prudente que Benedict. »

Alors Natalka, inquiète d’être également épiée par deux hommes mystérieux, entraîne ses amis dans des recherches sur la vie de la vieille dame : sa famille proche, dont son fils et sa belle-fille, les auteurs qu’elle aidaient, tous sont suspects.

Mais certaines des personnes contactées par les détectives amateurs meurent à leur tour, ce qui complexifie l’enquête !

Je ne souhaite pas en dire plus sur l’histoire, ce serait bien dommage…

Entre Shoreham et l’Ecosse, je me suis attachée aux personnalités très différentes des protagonistes, dont les relations évoluent au fil des rebondissements des enquêtes menées en parallèle à la fois par Harbinder et par le trio des amis de Peggy.

Elly Griffiths propose donc une sorte de mise en abîme dans le polar traditionnel et le monde de l’édition, dont elle fait rencontrer les acteurs multiples à ses lecteurs, et c’est plutôt sympathique : auteurs, éditeurs, secrétaire d’édition, agents, les personnages participent même à un salon littéraire avec table ronde thématique !

Évidemment, l’humour tient aussi une place de choix dans la narration :

« « Ma mère venait de Pologne, reprend Dex. Donc elle supportait mal les imbéciles. »

Harbinder (…) ne voit pas très bien le rapport entre une incapacité à supporter les imbéciles et le fait d’être née en Pologne. Si c’est le cas, elle doit avoir dans son sang indien trop tolérant quelques globules polonais. »

J’ai bien aimé les indices distillés ça et là par l’autrice, à la manière d’Agatha Christie, qui fournissent toutes les informations au lecteur afin qu’il trouve lui-même le ou les coupable(s). Il suffit de faire attention à tout et de lire entre les lignes pour résoudre l’énigme !

Un excellent moment de lecture.

L’été froid

Gianrico Carofiglio

Traduction d’Elsa Damien

459 pages

Éditions Slatkine &Cie, 2021

Fin de lecture 13 mai 2021.

Je remercie les Éditions Slatkine & Cie de m’avoir adressé cet ouvrage de l’auteur dont j’avais tant aimé l’an passé le précédent roman,Trois heures du matin, mettant en avant la relation d’un père et de son fils.

Dans L’été froid, la thématique est toute autre. Il y est bien question d’un enfant, mais l’action se situe en 1992, en pleine guerre ouverte entre la mafia et les juges décidés à mettre fin à ses activités un peu partout en Italie et en Sicile. Or l’enfant est le fils de Grimaldi, un parrain de la mafia de Bari, La Società Nostra, qui pourrait avoir été enlevé par son ancien associé, un certain Lopez, dit « Le Boucher ».

Les carabiniers, et en première ligne le maréchal Fenoglio, essayent de décortiquer une histoire compliquée en raison de la loi du silence imposée par les principes mafieux, la fameuse omerta : des fusillades éclatent en pleine rue, aucun témoin. La famille même de l’enfant refuse d’expliquer les circonstances de l’enlèvement, voire nie celui-ci.

Mais Lopez contacte les carabiniers et décide de collaborer. Cependant, ses dires sont-ils crédibles ? Car c’est avant tout un personnage peu recommandable :

« Son casier judiciaire ressemblait à un résumé de droit pénal : on allait du vol à la conduite sans permis, du trafic de stupéfiants aux coups et blessures, et de la contrebande de tabac étranger à l’extorsion. »

Dans ce climat de suspicion et de violence ouverte ou larvée, sous la menace permanente des représailles du clan Grimaldi, la juge D’Angelo, le capitaine Valente, le maréchal Fenoglio et l’adjudant Pellecchia mènent l’opération « Été froid ».

L’écriture de Gianrico Carofiglio entraîne immédiatement le lecteur dans les rues de Bari, dans la petite trattoria et dans les locaux exigus de la caserne : on ne lit pas, on vit les événements.

« La pièce puait l’encre et le papier poussiéreux. Le silence accentuait les odeurs, pour qui savait les percevoir. »

C’est un film qui se déroule devant nos yeux, les perquisitions en pleine nuit pour se cacher des malfrats, les interrogatoires qui mettent en lumière la construction d’une société mafieuse, les enrôlements et agissements pour contrôler un territoire, et où l’on se rend compte que le fameux « honneur » ou « respect » dû au chef de bande lui vient surtout de la peur qu’inspirent son ego démesuré ou sa paranoïa !

Et puis il y a ceux qui refusent de se soumettre à la mafia, mais qui organisent leur propre petit trafic : « Si tu commences à payer, tu es mort. »

Un attachement tout particulier se crée pour Fenoglio, qui traverse une mauvaise passe personnelle et consacre donc son temps à son métier. Car c’est un homme qui s’interroge (in petto, ses réflexions sont savoureuses) sur toute cette violence qui l’entoure, qui répugne à prendre son pistolet et encore plus à l’utiliser. Qui s’évertue à rester honnête, fidèle à ses valeurs, dans un monde qui n’en a plus beaucoup.

« Dans une enquête, on suit différents types de règles. Il y a les règles juridiques, celles qui régissent les techniques d’investigation, et celles dictées par les circonstances. Cependant, les plus importantes, ce sont celles qui ont à voir avec la conscience – ce qui, finalement, vaut pour n’importe quelle activité. »

L’auteur démontre aussi dans ce roman ce qu’il a mis en application dans son travail au service de la justice, et expose le questionnement obligatoire face à une situation qui pourrait sembler se résoudre facilement :

« – Les faits sont presque toujours conformes aux statistiques, et il ne faut pas l’oublier.

⁃ Oui, presque toujours. Ça non plus, il ne faut pas l’oublier. »

C’est haletant, et en même tant les pointes d’humour distillées ça et là offrent une certaine respiration dans ce climat pesant.

« – Ce n’est pas toi qui disais qu’il fallait du détachement, dans ce travail, pour ne pas devenir fou ?

– Oui, c’était moi. La cohérence ne fait pas partie de mes qualités. »

S’appuyant sur son expérience judiciaire anti-mafia, Gianrico Carofiglio expose au grand jour les procédés des sociétés mafieuses au début des années 1990, gangrenant toutes les strates de la société italienne. Au travers de son héros intègre et d’une juge implacable, il met à l’honneur ceux qui, dans la vie réelle, ont su combattre ces malfrats, parfois au péril de leur vie.

L’histoire policière, l’apport de connaissances et la richesse de l’écriture m’ont à nouveau transportée.

Coup de cœur !