Deuils de miel

Frank Thilliez

341 pages

Pocket, 2008, La Vie du Rail, 2006

Fin de lecture 23 juin 2021.

Ce thriller est le deuxième de la série Sharko.

Après les péripéties de Train d’Enfer pour Ange Rouge, Franck Sharko est de nouveau accablé par le sort. Il doit se débattre avec le souvenir de sa femme et de sa fille disparues dans un tragique accident.

La seule manière ou presque de s’en sortir est de se plonger dans le travail. Ça tombe bien, comme à l’accoutumée, un crime mystérieux va demander toute son attention : une jeune femme, entièrement nue et rasée, agenouillée dans une église avec des papillons vivants sur la tête.

Et voici notre commissaire plongé dans l’univers des insectes et arachnées de tous poils (ou sans poil, c’est selon). On en apprend un rayon – de miel – sur ces petites bêtes que la plupart d’entre nous préfèrent garder hors de portée, tout en s’interrogeant sur la signification mystique voulue par le tueur. Car un message digne du meilleur Indiana Jones a été découvert, que, bien évidemment, il y a d’autres victimes, qui ont subi des sévices horribles, et que tous les policiers commencent à perdre leur sang-froid en raison des longues journées sans sommeil. Placé sous l’autorité d’une consœur, Del Piero, Sharko a bien du mal à rendre compte et à ne pas en faire qu’à sa tête, à son habitude.

Et puis le commissaire est également désorienté par une petite fille qui surgit de façon inopinée mais récurrente dans son appartement et semble tout connaître de sa vie.

Voilà une deuxième aventure que j’ai dévorée ! J’y ai retrouvé un Sharko encore plus sombre que dans le précédent opus, marqué profondément et ambivalent dans sa quête de justice : l’appel du sang qui nargue l’enquêteur versus l’homme, le père et mari accablé.

Les descriptions sont toujours très pointues et l’univers terrible, qui m’a confirmé que le métier d’entomologiste n’était pas du tout fait pour moi…

« Face à moi, des rapports d’autopsie, d’entomologie, de toxicologie ; d’horribles dissections d’existences. Sur le côté, un pavé sur la malaria, un autre sur les vecteurs de transmission. Moins de feuillets sur la vie des Tisserands que sur leur mort, un petit monticule de photos. Clichés de l’église, du message, gros plan sur des plaies tiraillées, des larves affairées. Le petit déjeuner d’un flic, quoi… »

Le seul bémol qui a failli mettre un terme à ma course littéraire a été cette erreur manifeste, qui a peut-être été corrigée dans des versions ultérieures : le prédateur naturel des pucerons n’est pas la fourmi, mais la coccinelle ! (Merci M. Werber pour cette information que je n’ai jamais oubliée).

Je poursuivrai avec intérêt ma lecture des aventures de Sharko en faisant rapidement connaissance avec sa future comparse Hennebelle.

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Train d’enfer pour ange rouge

Franck Thilliez

436 pages

Éditions France Loisirs, 2016, Pocket,

Fin de lecture 2 juin 2021.

L’occasion de sortir ce livre de mes étagères m’a été donnée dans le cadre d’une lecture commune proposée sur la page Facebook Ilestbiencelivre. Mon objectif est de poursuivre toute la série dont cet ouvrage est le premier opus.

Frank Sharko, quarante-cinq ans, est commissaire à la DCPJ de Paris.

Sa vie personnelle est affectée par la disparition soudaine de sa femme Suzanne, depuis six mois. Il la recherche sans relâche, convaincu qu’elle est encore en vie.

Mais Sharko va être affecté sur une enquête où des femmes sont martyrisées à mort, dans des conditions faisant penser à des pratiques sadomasochistes. Aidé par ses collègues, d’une criminologue, Williams, de son meilleur ami Serpetti et de sa voisine Doudou Camélia, il parcourt le territoire pour trouver des indices. Il lui faut beaucoup de patience, d’intuition et de persévérance pour parvenir à identifier le coupable.

« Or là, dans cette enquête, j’avais l’intuition d’avoir face à moi un type nouveau de tueur, un animal intelligent, raffiné et démoniaque, maître des émotions, décideur universel du destin de ses victimes. Une araignée repliée dans un coin de sa toile, chargée de poison, jaillissant dès que vibrerait l’un des fils de soie. »

C’est le premier livre de Frank Thilliez que je lis et waouh ! J’ai accroché très rapidement à l’écriture, très poétique par moment, ainsi qu’au personnage très attachant de Sharko, tout à la fois homme et policier au long du roman.

« Chaque fois que je pénétrais dans une salle d’autopsie, je sentais mon être se dissocier, comme si une onde invisible vibrait en moi et séparait l’homme du policier, le croyant du scientifique. (…)

Ici, le mal appelle le mal, la cruauté engendre la bestialité, la science bafoue la foi et ce qui fait que l’homme est avant tout un homme. Ici, au travers de ces aiguilles de lumière artificielle, tout est noir comme au fond d’un cercueil. »

Les descriptions sont parfois d’une violence insoutenable, du fait de leur précision au scalpel… L’histoire est très bien menée, c’est haletant, on vibre avec Sharko et il nous entraîne aussi dans sa violence venue de certaines frustrations lorsque l’enquête stagne et qu’il sait que d’autres meurtres vont être commis.

C’est un policier qui s’écarte des règles pour mener son propre combat, tant il le croit juste… c’est peut-être un peu trop caricatural par moment, ce serait impossible dans la « vraie vie ».

J’avais deviné une partie de l’histoire (la faute à de nombreuses lectures de thrillers), mais hormis les scènes violentes, j’ai beaucoup aimé.

Je poursuivrai donc avec plaisir les aventures du commissaire Sharko.

L’art de ne pas être grand-mère

Un titre facétieux en référence au fameux recueil de poèmes
L’art d’être grand-père de Victor Hugo ©CF juin2021

Agathe Natanson

123 pages

Calmann-Lévy, 2016

Fin de lecture 14 juin 2021.

L’annonce d’une grossesse par sa propre fille fait plaisir certes, mais elle engendre aussi des réflexions contradictoires :

« Ça ne prévient pas, ça arrive un beau jour, ou peut-être une nuit, dans mon dos, on m’a conçu un enfant. (…) Je suis un peu perdue, heureuse sûrement, ma fille l’est et cela suffit à me rassurer et à me réjouir.

Mais, (…) je ne veux plus grandir, et être grand-mère, c’est grandir encore plus – j’ai peut-être peur de ne pas y arriver. »

Dans cette succession de courtes missives écrites pour elle-même, à l’intention de ses proches, à Victor Hugo (auquel son titre fait évidemment référence) ou à de parfaits inconnus, Agathe Natanson interroge donc avec humour la transformation qui s’opère lorsque, du statut de mère, une femme passe à celui de grand-mère. D’autant qu’aujourd’hui, les femmes bourdonnent d’activités et se sentent jeunes très longtemps : comment donc concilier son âme de toujours enfant avec cette nouvelle donne familiale ?

Et puis comment se faire appeler ? Mamie, Grand-mère, Granny, Mémé ?

Comment jouer à être cette aïeule quand on n’a pas vraiment de référence, du fait de la disparition trop tôt de la sienne ?

Comment, plus tard, composer avec ces espaces-temps impartis par les enfants devenus grands et qui décommandent au dernier moment la mamie ravie d’accueillir ses petits ?

Au fur et à mesure de ces réflexions épistolaires, et de son apprentissage, la grand-mère prend toute sa place, et en redemande.

C’est drôle, tendre, plein de bon sens, plein de réalisme aussi face à ces bouts-de-chou qui modifient le trajet de vie pour un très grand bonheur : grandir encore et toujours en ouvrant davantage son cœur…

Un ouvrage à offrir à toutes les futures jeunes grand-mères !

Le souffle de l’Ogre

Brigitte Aubert

298 pages

Éditions Fayard Noir, 2010

Fin de lecture 22 juin 2021.

J’ai déjà lu quelques polars/thrillers de Brigitte Aubert que j’avais bien aimés.

J’ai tenté celui-ci, acheté en destockage de médiathèque, car je trouvais l’idée intéressante : faire se croiser au sein d’une même histoire différents personnages de contes de fée.

Mais cette revisite ne m’a pas du tout convenue, notamment en raison de la violence gratuite (meurtres, abus sexuels, exploitation de l’être humain, guerre sans merci) qu’on y trouve, même si elle pouvait être l’apanage des populations du Moyen Âge… ou ultérieures.

J’ai failli arrêter ma lecture à plusieurs reprises, écœurée, et choisi finalement de la précipiter en passant les détails sordides.

Cette histoire pleine de rebondissements commence lorsque, dans une période de disette, Sept le septième (Le Petit Poucet), âgé de sept ans, parvient à échapper à la hache de son père en emmenant avec lui Un, son frère handicapé de onze ans.

Sept et Un (qui ne font pas Huit 😉) se réfugient malencontreusement chez l’Ogre Ernst, abuseur et meurtrier. Ils n’arrivent à s’enfuir qu’en se faisant passer pour les filles de l’Ogre. Celui-ci se lance alors à leur poursuite, précédé par son souffle fétide…

Les deux garçons vont vivre un périple en traversant plusieurs « pays » (« Avant », « Après »), rythmé par des rencontres avec des avatars plus ou moins déjantés de Blanche-Neige, Peau d’Âne, La Belle au Bois Dormant, le Chat Botté, le Petit Chaperon Rouge, Barbe-Bleue, Hansel et Gretel, … Sept, rusé et courageux malgré son jeune âge, arrive à détourner le destin initial de plusieurs de ces personnages, soit en les sauvant, soit en les laissant s’enferrer dans leurs mauvais penchants.

Une entraide est ainsi établie entre plusieurs d’entre eux en vue de rejoindre la mer pour échapper à l’horrible guerre opposant le souverain local à son principal rival. Et bien évidemment, pour les enfants, l’enjeu est également de s’éloigner de ces contrées marquées par la violence des adultes.

Les contes écrits ou réécrits par Charles Perrault et les Frères Grimm sont déjà très violents dans leur version initiale. Destinés aux adultes, ils ont été expurgés pour pouvoir les lire aux enfants, et largement remaniés par les studios Disney pour convenir au plus grand nombre.

Dans cette très sombre revisite qui met en présence ces personnages de plusieurs contes, Brigitte Aubert exploite au maximum les penchants les plus vils de l’humanité. Je crois que c’est également le cas de la série québécoise Les contes interdits, dont certains lecteurs sont friands. Le présent ouvrage, écrit bien en amont, m’a suffi…

Et c’est bien dommage, car l’intention première est intéressante et le travail de refonte est considérable. Non contente de réinventer les héros les plus connus des contes, ou de les placer dans des situations inédites, l’auteure en modifie d’autres pour servir son histoire. Ainsi les deux jeunes sœurs du conte Les fées de Charles Perrault, frappées d’un sort les amenant à expectorer, pour l’une, des bijoux et des fleurs, pour l’autre, des crapauds et serpents, sont-elles rassemblées en une seule jeune fille qui rejette les pierres précieuses ou animaux au gré de ses émotions. Je n’ai pas su identifier tous les contes dont elle s’est inspirée, mais il me semble y avoir vu quelques clins d’œil, à l’âne chantant des Musiciens de Brême par exemple. Elle crée également des liens de parenté entre personnages de contes différents.

L’écriture est alerte, quelques situations et dialogues empreints d’un certain humour, le vocabulaire riche d’expressions moyenâgeuses ou inventées et les caractéristiques de quelques personnages judicieusement exploitées : l’arrogance du Chat Botté qui s’exprime en rimes, la rivalité des jeunes princesses discutant chiffons, les réflexions du jeune Sept m’ont fait sourire plus d’une fois.

« – De quoi as-tu peur ? demanda-t-il en se dressant du mieux qu’il le pouvait.

– Pas d’un petitou comme toi. Mais en ces temps troublés, il y a pléthore de mauvaises gens.

Sept ne savait pas ce que voulait dire « pléthore », mais songea que c’était sûrement encore trop. »

Peut-être l’auteure a-t-elle voulu faire ressortir le pire de certains pour mettre en exergue les qualités – toutes relatives – des autres. Il m’en restera globalement un sentiment de malaise.