« On m’a demandé de vous calmer »

Stéphane Guillon

338 pages

Éditions Stock/France Inter, 2009

Fin de lecture 16 août 2021.

Chez les humoristes, je n’aime pas tout. J’aime surtout les bons mots, les jeux de mots. Je suis friande de Raymond Devos, que j’ai eu le plaisir de rencontrer, et de Stéphane de Groodt. J’aime aussi lire les sketchs ou les chroniques. J’entends alors la voix de l’humoriste et ses intonations, je vois sa gestuelle. Tout en lisant et savourant ses mots autrement, en m’y arrêtant, en revenant sur certains termes.

Je ne sais pas quand j’ai commencé à entendre Stéphane Guillon, à la télévision probablement, mais je ne suis pas sûre de l’entendre encore aujourd’hui. Je pense d’ailleurs que je préfère ses anciennes interventions à d’autres plus récentes. Et c’est bien ce qui s’est passé avec ce livre, acheté en destockage de médiathèque.

Recueil d’une année et demie de chroniques dans la matinale de France Inter, entre janvier 2008 et juin 2009, l’humoriste y livre des réflexions corrosives, sur le monde politique presque essentiellement.

Je ne suis pas adepte de tout – je n’aime pas qu’on critique le physique auquel certains ne peuvent rien – mais j’ai franchement ri à la majorité des chroniques proposées. C’est d’autant plus intéressant avec le recul d’une dizaine d’années, lorsqu’on en connaît l’évolution sociétale, économique et politique.

C’était le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la droite était à la manœuvre, la gauche se déchirait pour trouver un candidat après la défaite de Segolene Royal, Dominique Strauss-Kahn était toujours en course…

Et l’humoriste remettait les pendules à l’heure, égratignant les uns comme les autres sur leurs contradictions… et se faisant à son tour tancer par les uns ou les autres, selon ses prises de position. Jusqu’à ce que le pouvoir, désormais décideur des programmes de RadioFrance, le fasse remettre à sa place, puis licencier. A l’époque, la perte d’indépendance et les risques de censure qu’elle entraînerait avait provoqué un tollé des journalistes du groupe.

« Bref, journaliste, humoriste, aujourd’hui ce sont des métiers à risques : chaque mot doit être pesé, vérifié. »

J’ai passé un bon moment de lecture. Cette centaine de chroniques d’environ trois pages chacune m’a fait revivre des moments de l’histoire socio-politique que j’avais majoritairement oubliés, et l’impertinence de l’auteur m’a beaucoup amusée.

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Les Garçons de la cité-jardin

Dan Nisand

379 pages

Les Avrils, Groupe Delcourt, août 2021

Fin de lecture 14 août 2021.

Je remercie Les Avrils pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de la rentrée littéraire. Je remercie aussi Dan Nisand pour sa sympathique dédicace, qui m’a accompagnée tout au long de ma lecture.

Est-ce l’homme qui y habite qui modèle le quartier ou bien le quartier qui modèle l’homme qu’il accueille en son sein ?

Voici la question posée par ce premier roman de Dan Nisand.

L’auteur entraîne en effet le lecteur dans Hildenbrandt, une cité-jardin proche de Mulhouse, de celles créées pour humaniser les villes, et qui se sont pour certaines muées en ghettos. Le patron paternaliste d’une usine de conserve alsacienne l’a bâtie pour investir des fonds douteux issus de la Grande Guerre. Les familles y sont venues, des enfants sont nés. Des graines de racailles ou des rêveurs.

« Dire qu’un jour, quelqu’un a voulu ce quartier, ces rues, pour y implanter quelque chose comme une société idéale. Trois quarts de siècle plus tard, voici les fruits de cette belle ambition. Sous l’ombre tutélaire du père fondateur, les enfants bénis de la cité-jardin complotent à devenir des hommes. »

Et certains de ces hommes, les Ischard, fondent leur vie sur la violence, la peur et les trafics en tous genres.

De sa plume poétique et acérée, l’auteur conte Melvil, né entre deux générations, celle de Virgile et Jonas, ses grands frères tant admirés et redoutés mais partis depuis longtemps, celle de plus jeunes dans lesquels il ne se reconnaît pas plus : Melvil ne se sent à sa place à aucun endroit.

Alors le jeune huissier de l’hôtel de ville s’étiole, entre tri du courrier le jour et retour le soir dans le foyer gris et sans âme, auprès du père malade, imbibé de télé et de tabac.

Le coup de fil qui annonce le retour des frères prodigues après des années d’absence augure de nouveaux beaux jours. Avec un plus : la maison a repris vie depuis qu’ils l’ont réinvestie. Melvil y est toujours le larbin, le rêveur, celui qui aime faire plaisir, qui n’ose rien refuser aux grands frères. Pourtant lui le doux ne se sent pas une âme de bagarreur. Lui est travailleur. Lui a pour seuls amis d’autres à part, qu’il n’a pas vraiment choisis : William, un obèse très cultivé, un brin philosophe, et Hippolyte, un infirme fou amoureux des belles voitures. Autant d’opportunités supplémentaires de recevoir des quolibets, voire pire, de la part des grands frères… pour un « regard en coin » ou une parole maladroite.

« L’utopie veut abolir la haine ; l’idéologie ne sert qu’à la légitimer. Toutes deux sont cousines par l’échec auxquel elles se condamnent, car rien, y compris son assouvissement, ne peut éteindre la haine. Même la destruction de son objet ne suffit pas à la stériliser. »

Virgile va de plus en plus mal, Jonas devient incontrôlable. Seule lueur d’espoir, Nelly, l’ancienne petite amie de Virgile, qui pourrait amener un peu d’équilibre dans la maison – et par extension la cité – prête à imploser.

« (…) leur présence instaure autour d’eux une tension agressive, un arc d’électricité – quelque chose comme la raréfaction de l’air précédant la tempête. »

A vingt-cinq ans, il est temps cependant pour Melvil de décider quelle sera sa propre vie : la mènera-t-il à la manière des autres membres de la famille Ischard, suscitant un mélange de haine et de respect apeuré? Ou bien suivra-t-il un chemin très différent ?

L’écriture est puissante, les personnages terribles de réalisme. Quelle histoire que celle de ce tendre jeune homme qui devrait fuir sa cité, sa famille, sans se retourner ! Car lui n’est qu’un spectateur. Dan Nisand nous prend aux tripes avec ses descriptions si justes des personnages, des gestes et des lieux, la maison, le café, la rue. Et avec les mots qu’il met dans la bouche de William, grand historien de la construction de la cité-jardin, on dirait qu’il entraîne le lecteur pour hurler à Melvil la voie qu’il doit prendre : « Sors d’ici, Melvil, et n’y reviens plus jamais»!

La narration est à ce point réussie qu’on a la sensation à certains moments que c’est Melvil lui-même qui raconte son quartier, qui se raconte avec pudeur.

L’admiration pour les grands frères se mue en rejet et dégoût, quand la violence et le mépris sont au paroxysme. On ne peut qu’observer, le cœur serré, la dynamique de la transformation douloureuse qui s’opère. Melvil, « le bavard » intérieur qui n’a pas les mots pour exprimer ses souffrances, pousse désormais un grand cri.

Melvil, un peu lâche, un peu lâché surtout, jeune homme au grand cœur que je ne veux pas quitter. Mais que je laisse partir, les larmes roulant sur mes joues…

Un énorme coup de cœur !

Au petit bonheur la chance !

Aurélie Valognes

376 pages

Le Livre de Poche, 2019, Mazarine/Librairie Arthème Faillard, 2018

Fin de lecture 11 août 2021.

Ouvrir un livre d’Aurélie Valognes, c’est entrer dans un foyer, avec ses joies et ses peines.

Dans cet ouvrage qui reprend des éléments biographiques de la vie de son père, elle met en scène Jean, six ans, profondément attaché à sa maman Marie. Celle-ci souhaite quitter la Normandie pour effectuer un grand saut dans Paris, la ville de tous les possibles.

On est en 1968, les femmes commencent à peine à s’émanciper, et le mieux pour Marie est de confier Jean à sa mère Lucette, veuve, qui pourra s’occuper de lui dans l’appartement familial de Granville.

Pour un peu de temps… ou beaucoup plus.

L’aïeule et l’enfant vont devoir s’apprivoiser, entre contraintes et bonheur de partager leur vie. Le foyer est austère, sans commodité, la grand-mère peine à joindre les deux bouts. Leur quotidien se dessine autour des visites au cimetière, à l’église et aux commerçants préférés de Lucette. Et avec l’amitié du facteur Lucien, porteur de bonnes ou mauvaises nouvelles. L’enfant guette un signe de sa maman chérie, en vain. Le temps passe, entre l’école avec le maître sévère mais les copains, la petite voisine et surtout la famille de cousins et la tante Françoise qui accueille Jean et Lucette pour des week-ends si agréables.

L’enfant grandit, perd ses illusions, l’amour entre la vieille dame et lui se fortifie. Marie pourrait cependant remettre tout en cause en réapparaissant.

Je suis plus jeune que Jean. Mais j’ai retrouvé dans les têtes de chapitres les expressions qui ont marqué mon enfance, dans le récit les détails de l’intérieur de la maison de ma grand-mère ou de celle de mes parents, les odeurs d’école, de papier et d’encre.

« Rien de mieux pour le jeune rêveur que l’odeur du bois fraîchement coupé : il n’a qu’à affûter la mine pour se retrouver en pleine forêt de cèdres. Le mieux, c’est encore qu’on a le droit de gommer. Là encore, la gomme a un parfum magique. Surtout les bicolores, avec leur côté bleu qui fait des trous dans le papier dans les feuilles : au moins, la faute, on ne la voit plus ! Mais le top du top olfactif, c’est le petit pot de colle blanche avec sa pelle miniature glissée au centre. La reine des colles : Cléopâtre. »

J’ai beaucoup aimé ce face-à-face entre l’enfant sensible et la grand-mère bougonne qui dissimule son grand cœur. Les personnages sont terriblement attachants, les descriptions permettent de visualiser sans peine les activités de l’enfant, tant dans l’appartement familial, qu’à l’école ou à la plage.

Quelle jolie plongée dans les années soixante-dix, quelle belle mise en exergue de la difficulté d’assumer ses sentiments et ses actes ! La vie, contée tout simplement, avec tendresse et humour, entre rires et larmes.

Merci Annick de m’avoir prêté un livre aussi agréable !

Zone Est

Marin Ledun

402 pages

Fleuve Noir, 2011

Fin de lecture le 10 août 2021.

2045, dans ce qui était auparavant la vallée du Rhône. Après qu’un nanovirus a ravagé l’humanité trente-cinq ans plus tôt, la Zone Est, une zone « saine », y a été bâtie, ceinturée par un mur. Les survivants sont devenus des hybrides chargés de technologies et médicamentés pour contrer les effets néfastes du virus qui les ronge.

Parmi eux, Thomas Zigler se définit lui-même comme un « chasseur d’âmes ».

« Ce que je vends ? Une certaine compétence à trouver la bonne personne, à la traquer si nécessaire, et au final à lui prendre par tous les moyens ce qui vaut de l’or pour moi et mes commanditaires. Leur âme. Une sorte de chasseur d’âmes, voilà ce que je suis. »

Mais voilà qu’un jour, au cours de la vérification de la transplantation des données de sa victime, il visionne par erreur des images qu’il n’aurait sans doute pas du voir : une jeune femme, manifestement totalement humaine, traquée près du Mur. Si des humains existent toujours, que cela peut-il bien signifier ? Thomas est en mauvaise posture, car il devient à son tour la cible de ses commanditaires, voire de ceux en qui il avait précédemment confiance. Tout en éprouvant des douleurs de plus en plus importantes à ses implants oculaires.

Désormais, s’il veut sauver ce qu’il reste de sa peau, il doit se battre ou disparaître. Aidé d’un trafiquant nommé Stix et de Sylia, une combattante à la solde de ce dernier, obligé de se cacher et de changer d’identité, Thomas va aller de découverte en découverte dans son monde si bien réglementé.

« Je conçois le Mur comme un rempart contre les hordes barbares, sans avoir jamais pensé qu’une barrière peut revêtir deux fonctions. Protéger. Ou enfermer. Je me place spontanément dans le premier cas de figure, mais après tout, peut-être sommes-nous les parasites, et la Zone Est un gigantesque camp de concentration. Comment être certain d’être du bon côté du mur ? D’ailleurs, qui a décidé de cet état de fait ? Les autorités ? Les chercheurs ? Le gouvernement en place au moment de la construction du Mur ? »

Lire un tel ouvrage en pleine pandémie… je ne l’ai pas vraiment fait exprès ! Mais ma lecture m’a permis de comprendre comment certains pouvaient tomber dans le complotisme et la crainte des nanotechnologies. Car c’est tout l’objet et l’enjeu de cet excellent livre, dans lequel j’ai eu un peu de mal à entrer mais qui est devenu bien vite haletant. Une immersion dans un monde de science-fiction et de médicale-fiction, toutes les qualités du thriller en prime. J’avoue ne pas avoir tout compris de certains passages très spécialisés, mais cela n’a pas gêné ma compréhension de l’intrigue.

« Ce n’est pas tant l’objectif qui compte que le concept même de la conquête. »

J’ai beaucoup aimé cette première découverte de l’auteur et n’en resterai pas là à coup sûr !