Shuggie Bain

Douglas Stuart

Traduction de Charles Bonnot

496 pages

Éditions Globe, 2021

Fin de lecture 30 septembre 2021.

Je remercie les Éditions Globe pour m’avoir adressé cet ouvrage, primé par le prestigieux Booker Prize, dans le cadre d’une rencontre avec l’auteur, le 21 septembre 2021. A l’issue de cette chronique, je retrace la rencontre avec l’auteur.

Ecosse, années 1980 et suivantes.

En 1996, Hugh Bain, dit Shuggie, a quinze quand l’histoire commence. Il vit d’expédients et va accessoirement à l’école, tout en vivant dans une sordide pension de famille.

Et Shuggie se remémore ce qui l’a mené jusque-là.

Le lecteur est alors emporté au début des années quatre-vingts, dans l’appartement social de Glasgaw où vivent Shuggie, ses parents Shug et Agnès et ses demi-frère et sœur Alexandre et Catherine. Sans oublier Lizzie et Wullie, les parents d’Agnes, locataires en titre du bail.

Dans cette promiscuité, Agnes boit pour oublier la jeune fille pleine de rêves qu’elle était. Et Shug le chauffeur de taxi, excédé par l’ivresse permanente de sa compagne, court le jupon sans vergogne.

Jusqu’au jour où Shug décide Agnes à quitter l’appartement pour une maison à eux, très loin des grands-parents, seul repère à peu près stable pour les enfants.

Sauf que la merveilleuse maison à laquelle rêvait Agnes ressemble plutôt à un taudis au sein d’un quartier noir et boueux près de la mine de charbon à l’arrêt. Et là, le petit Shuggie, sept ans, à l’allure différente des autres, va devenir le souffre-douleur de ses congénères, tandis que sa mère sombre de plus en plus.

Sur fond des terribles déboires d’une population marquée la pauvreté, voire la misère sous l’ère Thatcher, la plume précise de Douglas Stuart s’inspire de sa propre vie pour disséquer les relations conjugales, filiales et amicales.

« Le vieux poivrot de Glasgow était une espèce en voie d’extinction : un être traditionnellement inoffensif qui tendait à muter en quelque chose de plus jeune et de bien plus sinistre à mesure que la drogue se propageait dans la ville. »

Shuggie. Agnes. Shuggie et Agnes. L’un, l’enfant, se construit dans sa relation avec l’autre, sa mère. Avec cet amour incommensurable qu’il a pour elle.

« Il s’approcha d’elle et s’enroula autour de sa taille. « Je ferais n’importe quoi pour toi. » »

Amour qui lui pardonne presque tout, qui l’oblige à s’occuper d’elle tel un parent lorsque l’alcool la rend malade. Il y a beaucoup de gris et de noir comme du charbon dans ce roman. Agnes et Shuggie en sont les personnages centraux autour desquels gravitent les autres membres de la famille, les voisins – surtout les voisines, épiant les autres derrières leurs fenêtres.

Un des endroits pour jouer et tenter de quitter quelques heures la maison familiale, ce sont les dangereux terrils, sur lesquels s’aventure surtout Alexandre pour oublier qu’il a laissé de côté ses rêves pour s’occuper d’Agnes et de son petit frère. L’obsession d’Agnes, dans sa candeur, malgré son alcoolisme et sa pauvreté, est de maintenir propres son foyer et les vêtements de la famille. Nul ne sort de la maison miteuse sans être récuré et bien coiffé !

« C’était la poussière qui dérangeait Agnes. C’était ce que les voisins devaient penser quand ils le voyaient rentrer couvert de suie et de crasse. Ne plus pouvoir faire semblant qu’elle n’avait rien à voir avec eux, qu’elle était mieux née et coincée momentanément dans leur miséreux coin oublié. C’était l’orgueil, pas le danger qui la mettait tellement en colère. »

Ce qui fait jaser les bonnes âmes qui trouvent qu’Agnes fait un peu trop la fière, lorsqu’elle parade la tête haute mais les mains, tremblantes du manque, bien cachées dans les poches de son manteau trop chic pour le quartier.

L’alcool est partout. Les hommes profitent des femmes qui s’évertuent à faire vivre leurs enfants avec les maigres tickets d’allocations fournis par le gouvernement.

Certains passages sont choquants d’inhumanité, faisant monter les larmes quand Agnes croit pouvoir s’extraire de sa vie et qu’elle plonge encore plus bas. Et que Shuggie doit aider sa mère à ne pas sombrer : sur les frêles épaules du jeune garçon pèse une responsabilité terrible.

« Il ne pouvait pas s’inquiéter de la semaine prochaine. Il avait déjà cette semaine-ci à terminer. »

Shuggie Bain est un roman. C’est aussi une fresque terrible et magnifiquement écrite de la misère et d’un amour filial unique.

J’ai eu des difficultés à passer à une lecture après ce livre, tant il m’a remuée. (Rien qu’en écrivant ces mots, mes larmes coulent…).

Il s’agit d’un énorme coup de cœur, pour l’histoire mais aussi pour le style.

LA RENCONTRE AVEC DOUGLAS STUART

Séance de dédicace pour Douglas Stuart #chouchou 😉 © CF 21/09/21

Il y a quelques semaines, invitée par les Éditions Globe et l’Agence La Bande (encore merci !), je faisais la connaissance de Douglas Stuart. J’avais entamé son livre et lu environ 150 pages, ce qui m’avait déjà permis de bien entrer dans l’histoire et d’en comprendre les ressorts, scotchée par le talent descriptif de l’auteur. Ce fut donc un plaisir de l’écouter raconter la construction de son roman, qu’il a mis dix ans à écrire et dont il n’osait pas envisager l’édition, lui l’enfant d’une mère célibataire des quartiers pauvres de Glasgow.

Sa mère ressemble énormément à Agnes… ou inversement.

Le jeune Douglas a rempli des carnets des souvenirs de la jeune femme disparue alors qu’il n’avait que seize ans. Il a ainsi voulu rédiger un drame qui fasse place aux femmes, celles qui ont tout tenté pour maintenir à flot leurs familles, quand les journaux parlaient surtout du chômage et du désœuvrement des hommes, ces ouvriers privés d’emploi.

Shuggie a bien sûr quelque chose à voir avec l’auteur, dans sa tendresse pour sa mère malgré ses addictions, une inversion des rôles parent-enfant s’opérant naturellement pour conserver les apparences.

Le style de Douglas Stuart est remarquable. Son traducteur, Charles Bonnot, a expliqué lors de la rencontre avoir lu et relu les épreuves anglaises très bien traduites de l’écossais afin de s’imprégner de l’histoire pour rester le plus fidèle possible à l’œuvre originale. Il a effectué un travail spécifique sur les dialogues en « scots ». Écouter des interviews de Douglas Stuart parlant de la fierté d’Agnes l’a également amené à comprendre l’entièreté du personnage, femme souhaitant s’élever et réussir sa vie bien au-delà de sa déchéance.

Enfin, la photo de couverture a été prise à Glasgow dans les années quatre-vingt. C’est l’auteur qui l’a choisie. L’enfant a une position quasiment féminine et son regard porte au loin, tourné vers l’avenir. Il va s’en sortir…

Du fait de ses origines modestes, Douglas Stuart a longtemps ressenti une illégitimité à écrire, mais quelle perte pour la littérature contemporaine s’il n’avait pas poursuivi dans cette voie !

L’homme, d’une simplicité touchante et d’un abord fort sympathique dans cet échange avec un collectif de lecteurs rassemblés pour l’occasion, m’a émue autant que son livre.

Un moment magique, un échange hors du temps © CF 21/09/21
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