Le manoir des immortelles

Thierry Jonquet

165 pages

Gallimard, 1986

Fin de lecture 2 novembre 2021.

Lu dans le cadre du challenge The Black November 2021 / semaine 1 : lire un livre d’un auteur décédé

J’ai retrouvé dans ce livre tout ce que j’avais aimé dans Mygale.

Ici, un homme, Hadès, espionne un immeuble et les hommes qui y entrent. Il les prend en photo, les numérote et les détrousse brièvement pour connaître leur identité. Si celle-ci ne lui convient pas, la mort est au bout du chemin…

En parallèle, le commissaire Salarnier mène l’enquête sur des cadavres sans tête retrouvés dans Paris. On est en novembre, la grisaille est installée, dans la météo mais aussi dans la vie Salarnier : son épouse Martine lutte contre un cancer.

La mort enveloppe tout ce roman, par les références mythologiques et picturales, par les meurtres bien évidemment et dans l’agonie de la femme de Salarnier.

« … la figure de la mort, telle que nous la rencontrons avec ses symboles et ses emblèmes dans l’histoire de l’art, a connu moult variations… »

On peut d’ailleurs voir un effet miroir déformant entre les agissements d’Hadès qui se bat contre l’œuvre de mort et Sarnier qui la laisse agir… et se prendre de compassion tant pour le meurtrier que pour l’enquêteur.

Un court roman, mais d’une précision redoutable, et très émouvant.

J’ai beaucoup aimé !

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Enfant de salaud

Sorj Chalandon

333 pages

Grasset, 2021

Fin de lecture 2 novembre 2021.

Rentrée littéraire

Je n’ai découvert Sorj Chalandon qu’en 2019, avec le très beau Une joie féroce.

Je ne savais donc pas qu’il évoquait à travers ses écrits son père, un menteur qu’il souhaitait voir se démasquer lui-même, avouer ses forfaits.

C’est chose faite dans Enfant de salaud mais par le fils qui énonce enfin tout haut ce qu’il avait compris tout bas.

Cette expression, qu’il doit à son grand-père, le jeune Sorj la fera sienne pour convoquer régulièrement les fantômes de son passé. Et dans ce livre, il remonte aux sources, les siennes et celles de l’Histoire, aux côtés d’un père plus intéressé par le paraître que l’être.

Le fils en prend d’autant plus conscience lorsqu’il doit assister en qualité de journaliste au procès de Klaus Barbie. On est à Lyon, en 1987. Son père souhaite en être également, pour admirer l’homme que tous détestent. Le père est à la parade, comme toujours.

« Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu. »

Sorj n’y tient plus, il doit savoir. Il parvient à obtenir une copie du dossier judiciaire de son père durant la guerre et essaye tant bien que mal d’esquisser son portrait avant de le confondre en face à face.

Or, l’homme que Sorj prenait pour un héros de guerre se transforme à la lecture de ce dossier en aventurier prêt à retourner sa veste en fonction du sens du vent.

« Plus je lisais tes dépositions plus j’en étais convaincu : tu t’étais enivré d’aventures. Sans penser ni à bien ni à mal, sans te savoir traître ou te revendiquer patriote. Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t’inventant chaque fois un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario. »

C’est un affabulateur, un enjoliveur de situations qui lui tient lieu de père, un menteur pathologique, d’une mauvaise foi évidente – quand même les dates ne peuvent concorder avec les événements qu’il décrit – et d’une intelligence qui lui permet d’assurer son impunité.

Au prix peut-être d’une petite schizophrénie !

« Le patriote et le traître, sur un même document barré de tricolore. »

En parallèle s’écrivent donc les lignes du procès de Barbie et de celui que tient le fils contre le père. Mais les enjeux sont différents : pour les victimes de Barbie, une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis par ce bourreau ; pour le journaliste, détenir enfin la vérité de ce qu’est son père, peu importent ses choix, seul le lien filial est essentiel.

C’est ce qu’attend Sorj, une confrontation pour mettre à plat les mensonges :

« Enfin, tu te serais débarrassé de ces oripeaux militaires et tu aurais endossé un bel habit d’homme. Un costume de père. »

C’est peu dire que j’ai aimé ce roman biographique. J’ai été émue aux larmes par la quête du fils pour rencontrer son « vrai » père. J’ai été profondément touchée par les témoignages dont se fait l’écho l’auteur lorsqu’il retrace le procès du Boucher de Lyon.

Sorj Chalandon a reçu en 1988 le Prix Albert-Londres pour ses chroniques du procès : son style, son écriture, sa manière de traiter l’information dans le livre ne démentent guère cette distinction. D’un côté les notes du procès, de l’autre le regard qu’il porte sur son père. Comme lorsqu’il avait commencé à écrire dans son carnet : les faits d’un côté, les émotions de l’autre… Une prise de recul salutaire, sans doute.

Je regrette cependant que, finaliste du Goncourt 2021, il n’en ait pas obtenu le Prix (sans dénier le lauréat !).

Bilan du mois d’octobre 2021

Lectures d’octobre 2021 😊 © CF 6/11/21

L’automne s’est installé, la rentrée littéraire aussi. Et le retour des clubs de lecture, chic ! Trois samedis consécutifs dans l’univers littéraire : un premier club classique, un deuxième voué aux polars/thrillers et autres romans noirs, un troisième dévoilant quelques ouvrages de la rentrée littéraire.

Alors les lectures d’ici la fin de l’année vont s’avérer encore plus éclectiques qu’habituellement. Retrouver la médiathèque, c’est aussi replonger dans les bandes dessinées ou les romans graphiques, découvrir de nouveaux auteurs ou des auteurs accomplis mais jamais lus. Bref, que du bonheur !

Neuf livres ont ainsi enrichi ce mois d’octobre, dont six nouveautés. Du polar historique à la grande fresque en passant par le roman moderne, du document à la bd, ce mois a été très marqué par l’histoire et la géographie… sans que je le fasse exprès !

LES PUBS que vous ne verrez plus jamais, Annie Pastor

Les eaux noires, Estelle Thareau

QI, Christina Dalcher

Clues – Intégrale, Mara

Mamma Roma, Luca Di Fulvio

Carmen Cru – La Vioque de choc, Lelong

Les Muses, Alex Michaelides

Grande couronne, Salomé Kiner

L’affaire Magritte, Toni Coppers

L’affaire Magritte

Une pomme rouge en hommage à la célèbre pomme verte du peintre… © CF 5/11/21

Toni Coppers

Traduction de Charles de Trazegnies

359 pages

éditions diagonale, 2021

Fin de lecture 31 octobre 2021.

Alex Berger est un brillant flic belge. Mais quand débute l’histoire « Magritte », le 13 novembre 2017, cela fait deux ans qu’il végète entre médicaments, alcool et cauchemars dûs à la disparition de sa femme Camille dans l’attentat qui a frappé le « Petit Carillon » à Paris.

Hasard du calendrier, son commissaire et ami Leroux lui demande de réintégrer l’équipe, car deux détenus se sont évadés. Or l’un d’eux, Novak, était interrogé par Berger au moment des attentats…

Il est à présent soupçonné d’avoir commis deux meurtres, l’un à Bruxelles, l’autre à Paris, sur des femmes au profil très différent et sans lien apparent. La seule indication qui les relie est un message indiquant : « ceci n’est pas un suicide. » En probable référence au tableau de Magritte légendé par le célèbre « Ceci n’est pas une pipe ».

Berger, bien qu’affaibli psychologiquement et physiquement, doit émerger pour mener l’enquête avec l’aide de ses nouveaux coéquipiers.

L’histoire m’intéressait initialement, sans rien connaître des affres de Berger. Un flic tourmenté, on en croise fréquemment dans les livres (Sharko par exemple chez Franck Thilliez).

Mais j’ai eu beaucoup de difficultés à entrer dans le livre et à le continuer. Peut-être y a-t-il une trop large part faite aux tourments de Berger, qui est vraiment très touchant dans sa peine, ou bien n’ai-je pas été conquise par la façon de raconter l’histoire ? Quelques erreurs typographiques m’ont également freinée.

Mais çà et là, les descriptions pointues et teintées d’humour tranchaient avec la morosité.

« Quel hasard ou quelle dose d’humour noir avait-il fallu pour tracer une voie à côté de trois réacteurs nucléaires et la nommer « rue Bonne Espérance » ? »

Je me suis efforcée de poursuivre ma lecture, parce que je souhaitais avoir le fin mot de l’enquête, et voir si Berger allait reprendre vie. Et tout à coup, ça a pris et je ne l’ai plus lâché ! Peut-être parce que j’avais cessé de considérer ce livre comme un simple polar et que j’avais pris le parti de l’envisager du côté d’Alex… d’entrer en empathie avec lui, l’affaire devenant secondaire par rapport à ses propres souffrances. Et de fait, c’est à ce tournant dans mon esprit que l’affaire s’est accélérée, qu’Alex a mis toute son expertise pour la résoudre, comme un moyen de se rapprocher de sa défunte épouse en la vengeant.

Plus qu’une histoire policière, il s’agit donc de celle d’un homme meurtri et des choix qu’il fait pour s’anéantir définitivement ou pour survivre. Poignant !

Et on y explore aussi l’univers de Magritte, peintre qui « nous force à réfléchir à la différence entre la réalité et notre représentation de la réalité », au travers d’une toile figurant un pipe. Toni Coppers a réussi un tour de force en intégrant dans son roman de multiples références cachées à Magritte, les lieux et les gens qu’il a fréquentés. Pour n’en citer que quelques-unes : Berger est le nom de jeune fille de Georgette Magritte, épouse du peintre, Leroux fait bien sûr référence à l’un de ses auteurs préférés (Gaston), Hamoir, nom d’emprunt de Novak est en fait celui d’Irène, poétesse amie, le mur de papier peint particulier renvoie à l’une des professions exercées par le peintre… J’ai lu une biographie de Magritte après ce polar, j’aurais aimé l’avoir fait avant, j’aurais sans doute pu capter un peu plus de l’humour de Toni Coppers et de l’hommage qu’il rend au grand peintre surréaliste.

C’est le premier livre de Toni Coppers que j’ai lu, je réitérerai pour vérifier si la construction de ses romans est identique ou si je peux y entrer plus facilement.