Des poignards dans les sourires

Cecile Cabanac

503 pages

Pocket, 2020, Fleuve éditions, 2019

Fin de lecture 20 janvier 2022.

Je remercie les Éditions Pocket de m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de la rencontre avec l’auteure, prévue le 14 décembre 2021, malheureusement annulée. J’en profite pour remercier Cécile Cabanac pour sa sympathique dédicace.

Lorsque Catherine Renon et ses enfants rentrent à Clermont-Ferrand d’un week-end parisien, François, le père et mari, a disparu.

Cette disparition engendre des réactions aux antipodes : Catherine semble revivre tandis que son fils aîné Maxime met tout en œuvre pour retrouver son père tant aimé.

La mère de François, Michelle, ne comprend pas l’attitude de sa belle-fille : elle la force à aller signaler sa disparition aux autorités.

Un corps démembré et brûlé a été découvert et la police acquiert la certitude qu’il s’agit de celui de François.

L’enquête va devoir démontrer qui a éprouvé une haine telle qu’elle a provoqué un passage à l’acte.

La famille, les amis ou les partenaires en affaires, petit à petit, la police découvre que François avait plus d’un ennemi ! Escroc, ivrogne, cavaleur, l’homme était somme toute peu recommandable…

Virginie Sevran, qui vient d’intégrer le SRPJ de Clermont-Ferrand après une rupture et son collègue Pierre Biollet, chacun avec leurs failles, mènent des investigations autour des coupables potentiels. De façon méthodique, ils les éliminent l’un après l’autre, faisant fi des ragots, des commentaires malintentionnés et des querelles avouées ou larvées.

« Ah non, pour le moment, je ne pense rien. J’écoute les uns et les autres, je les regarde se positionner sur l’échiquier. Dans ces familles, où on a toujours tout mis sous cloche, caché les cadavres dans les placards… On profite souvent d’une enquête criminelle pour faire le ménage, régler les comptes… À nous de ne pas être dupes… »

Au fur et à mesure d’une intrigue particulièrement bien construite car imbriquant les personnages sur des temporalités différentes, le lecteur découvre les griefs que chaque protagoniste pouvait avoir envers le défunt. Le portrait peu attrayant de celui-ci renvoie alors le lecteur comme l’enquêteur à ses propres réflexions : François n’avait-il pas mérité cette fin tragique ?

En cinq cents pages, Cécile Cabanac propose « une plongée dans les abysses de la famille Renon » et de ses turpitudes, des secrets qui amènent à son implosion.

Chaque membre est disséqué, de Michelle, la mère indigne, aux enfants de François éplorés. La quête initiée par le jeune Maxime pour retrouver son père, ainsi que sa désillusion, m’ont amené les larmes aux yeux.

D’une écriture soignée, l’auteure peint avec habileté la fresque d’une vie provinciale où chacun s’épie et commente sans pour autant se dresser face à l’indicible, où l’entre-soi prédomine. La sensation de malaise se propage ainsi au fil de la lecture.

Et bien sûr, elle met en exergue les rouages d’une enquête menée en deux mois par des policiers avec toute leur humanité, et ceux qui les entourent, leur apportant pression ou aide selon le cas : supérieur, procureur, médecin légiste, …

J’ai beaucoup aimé Virginie Sevran et toutes ses interrogations sur sa vie, son métier et ses enjeux. Sa difficile insertion dans un nouvel environnement de vie et professionnel la rendent attachante. J’espère donc la retrouver très bientôt dans de nouvelles enquêtes.

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Ces orages-là

Sandrine Collette

280 pages

JC Lattès, 2021

Fin de lecture le 29 janvier 2022.

Elle court, Clémence. Court pour échapper à Thomas tout d’abord. Court pour survivre. Puis pour échapper à l’emprise et aux souvenirs.

Il a fallu bien du courage à Clémence pour partir de chez elle. Tiraillée entre la protection offerte par cet homme et les horreurs qu’il lui faisait subir.

« Oui, Clémence est une œuvre de souffrance. Thomas a détruit en elle chaque parcelle de gaieté, traquant la moindre étincelle, le moindre espoir. Personne ne la croit quand elle dit qu’il l’étouffe. Personne ne voit le monstre derrière l’homme charmeur qu’on lui jalouse.

Qu’on le lui prenne ! Elle le donne à qui veut. »

Elle est transparente, Clémence. C’est ainsi qu’elle se voit, qu’elle s’envisage dans les yeux des autres. Petite, chétive, aucun charisme. Thomas n’a eu qu’à la cueillir pour en faire sa chose. Elle peine désormais à se voir autrement.

« Je viens de servir de serpillière à un homme que j’ai pris pour le prince charmant pendant trois ans et j’ai l’impression que c’est entré dans mon ADN. Serpillière un jour, serpillière toujours. »

Elle a trouvé un refuge, Clémence. Une vilaine maison toute cabossée comme elle à l’intérieur. Mais avec un magnifique jardin offert à elle, dont un bassin avec cinq poissons. Enfin, quatre poissons et demi. Le dernier lui ressemble aussi, une part a été ôtée à jamais.

Le jardin et Clémence s’apprivoisent : petit à petit, la jeune boulangère explore son univers, ose se confronter à la pénombre qui tombe, prend sur elle, puis affronte la nuit, Clémence la courageuse.

Mais la solitude lui pèse. Thomas a fait le vide autour d’elle. Elle n’a plus confiance. Et doute aussi d’être intéressante pour quiconque. Même pour ses collègues de la nouvelle boulangerie. Quoi que. Flo lui montre du respect…

Mais surtout, surtout, au bout du jardin se situe un autre jardin. Avec un voisin.

Alors le jardin sert d’appât pour prendre dans ses filets Gabriel, le voisin clairvoyant, lui aussi abîmé par la vie. Une épaule sur qui se reposer quand les terreurs apparaissent, car prendre la fuite physiquement ne signifie pas pour autant en avoir fini avec le bourreau… il est là, tapis, à l’intérieur, il peut surgir à tout moment pour reconstituer son travail de sape. Et puis il peut également se manifester physiquement, malgré toutes les précautions prises par Clémence, les détours, les regards jetés par-dessus l’épaule.

Elle veut avancer dans la vie, Clémence. Bâtir des projets. Mais la peur perdure, chevillée au corps, cette peur obsessionnelle qui peut mener à la folie.

Dans chacun de ses livres, Sandrine Collette explore les ressorts de l’âme humaine et place ses héros face à des choix bien souvent impossibles. Cet ouvrage n’y échappe pas. La situation décrite d’emprise conjugale et de torture psychologique est parfaitement réaliste, les sentiments contradictoires éprouvés par Clémence également.

« Tout s’est fait à l’intérieur, et cela, on ne peut pas le montrer, on ne peut pas porter plainte, on ne peut pas le prouver devant un tribunal. Une sorte de crime parfait. Après, c’est parole contre parole. »

Partir n’arrête pas l’emprise, insinuée au plus profond de l’être qui en a été victime.

Le prodige de l’auteure, c’est d’exposer les faits, les sentiments et les situations pour amener le lecteur à tirer ses propres conclusions. Son écriture ciselée plante à merveille le décor et les acteurs, prend aux tripes par des ruptures de style, s’adapte pour transformer les instants suspendus en accélérations. Les descriptions du jardin sont magnifiques. Les comportements et réflexions des différents protagonistes, majoritairement vues par le prisme de Clémence, les efforts de celle-ci et son combat contre elle-même m’ont profondément touchée.

Un coup de cœur !

Les désossés

François D’Epenoux

191 pages

Éditions Anne Carrière, 2020

Fin de lecture 21 janvier 2022.

Voua avez commencé un régime ? Tant mieux !

Vous avez froid ? Tant pis !

Vous n’arrêterez pas votre régime, vous saurez que vous n’avez pas vraiment froid à l’issue de votre lecture.

Je connaissais de nom l’auteur, mais sans jamais avoir eu même l’idée d’ouvrir un de ses romans. Voilà chose faite, et je me suis régalée… Oups, si j’ose dire !

Imaginez la famille riche, le chalet dans la station de ski huppée, isolé pour ne pas côtoyer malgré tout d’autres un peu moins riches.

Imaginez la femme à l’aube de la soixantaine, rongée par l’alcool et au sourire figé par la chirurgie esthétique ; la fille unique, comédienne ratée s’apprêtant à convoler avec un lourdaud cavaleur ; ledit cavaleur, fainéant et profiteur ; le mari de la première, travailleur acharné, désabusé par les siens ; le chauffeur et la cuisinière/soubrette/bonne à tout faire.

Elisabeth, Juliette, Éric, Marc, Slavko et Rose. Vous les voyez ?

Six personnes dans un immense chalet. Au cœur d’une tempête de neige sans précédent.

« Le vent s’est levé, et du pied gauche, on dirait. Dans la pénombre qui gagne, il hurle plus que mille meutes de loups affamés. Il brasse tout, soulève tout, c’est une lessiveuse à l’échelle de la montagne. On n’y voit plus à un mètre. »

Six personnes désœuvrées. Sans vivres. Cloîtrées pendant des semaines.

Les masques tombent, les passions s’exacerbent sous la plume railleuse de François d’Epenoux.

Ce chalet, c’est la reproduction dans la montagne glacée de tout navire à la dérive qui porte ses derniers survivants… ou de toute île aride qui les accueille. Une prison initialement dorée dont personne ne peut réchapper indemne. Maîtres comme valets. Riches comme pauvres. Certains corps peut-être, sans doute pas les âmes.

J’ai adoré l’écriture. L’œil acéré du réalisateur qui scanne les petits -et gros- défauts. Les descriptions superbes du manteau blanc immaculé qui enveloppe tel un cocon le chalet et ses habitants prêts à imploser.

Celles plus odorantes mais si précises qu’on s’y croirait – malgré soi.

La colère du patriarche qui s’élève contre le je-m’en-foutisme des siens et des saccageurs de la planète entière qui court à sa perte.

« Il faut croire que nous avons trop dansé, que nous avons tous marché trop vite, que nous avons couru après n’importe quoi. Maintenant la musique s’arrête, maintenant nous en sommes là… Maintenant, la fête est finie. »

Un huis-clos sordide. Peut-être, sans doute, sûrement, une métaphore de ce qui nous attend… le cœur au bord des lèvres !

Sans passer par la case départ

Camilla Läckberg

Traduction de Susanne Juul

100 pages

Actes Sud, 2021

Fin de lecture le 15 janvier 2022.

Hop, un petit Läckberg entre deux lectures un peu plus longues (pendant une autre lecture en fait !)…

C’est une novella que j’ai pris plaisir à lire.

L’auteure suédoise nous emmène dans un quartier huppé de Stockholm, un 31 décembre, nuit de réveillon du Nouvel An.

Quatre jeunes fêtent le réveillon dans une des maisons, tandis que leurs parents respectifs sont réunis dans la maison voisine.

Liv, Max, Martina et Anton sont amis d’enfance. Meilleurs amis. Pourtant, chacun cache un secret et observe amèrement les adultes évoluer à travers les fenêtres de la maison. Et chacun participe à cette soirée sans en avoir vraiment envie, juste pour sauver les apparences. Car l’argent n’achète ni le bonheur ni la sincérité.

« Mentir lui vient facilement depuis quelques temps. »

« Le pire, c’est qu’elle n’avait personne avec qui parler. (…) Et pas avec ses meilleurs amis. Qu’en penseraient-ils ? »

L’apparence s’avère cependant être un leurre. En effet, en cette soirée particulière, désœuvrement et alcool concourent à lancer les quatre amis sur une partie de Monopoly aux règles dangereuses : le joueur qui tombe sur une case déjà achetée devra choisir entre « action » ou « vérité ». Violence et sexe sont majoritairement au cœur de leurs préoccupations. Jusqu’à ce que les masques tombent et les dégrisent : les adultes de la maison d’à-côté en prennent alors pour leur grade !

« Je ne supporte pas l’idée qu’un jour je serai comme lui. Il ne fait que mentir à tout bout de champ.

⁃ Ils sont tous comme ça.

⁃ Qu’est-ce que tu veux dire ?

⁃ Ils mentent. Font semblant que tout va pour le mieux, tout le temps. Mais c’est le contraire. Rien ne va. »

Alors les vérités peuvent s’avérer étouffantes ou libératrices, les actions qui en découlent, salvatrices…

Cent pages, quatre parties, un chapitre par jeune dans chaque partie. Par les yeux de chacun se dessine son histoire individuelle et celle de leur relation commune, pleine de duperie honteuse.

J’avais deviné quelle serait le dénouement dès le quatrième chapitre, mais n’avait pas tous les éléments pour en déterminer les raisons.

Le style est évidemment très efficace, le lecteur est placé un peu comme une caméra de surveillance au sein de la maison, regardant et écoutant les échanges et réactions de ces jeunes désemparés. La période de réjouissances rend la situation paradoxale et assez triste, et le lecteur ne peut que compatir avec Liv, Max, Martina et Anton.

Et comme pour le précédent opus de Camilla Läckberg Femmes sans merci penser, de façon amorale et illégale, que ces enfants perdus ont probablement trouvé la seule solution envisageable…