
(Pourquoi les bullshit jobs envahissent le monde)
Nicolas Kayser-Bril
263 pages
Éditions du Faubourg, collection Documents, 2022
Fin de lecture le 27 mars 2022.
Je remercie Babelio et les Éditions du Faubourg pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse Critique.
J’apprécie les documents sociologiques en général, et ceux qui mettent en exergue les absurdités en particulier. Ce livre n’y échappe pas. Et la modestie de l’auteur en préambule aide aussi à envisager l’écrit avec un a priori positif.
A priori qui se confirme au fil du temps.
Nicolas Kayser-Bril débute son propos en expliquant ce qui l’a amené à s’intéresser au sujet des bullshit jobs : il en a lui-même occupé ! Ayant considéré que cette situation ne lui convenait pas, il a préféré démissionner et tenter de définir pourquoi des sociétés, institutions et entreprises peuvent avoir recours à de tels emplois.
« Les bullshit jobs, ce sont des emplois ou des tâches profondément inutiles, mais dont les exécutant•es prétendent l’inverse, que ce soit par contrainte ou par crédulité. »
L’auteur commence dans une première partie à définir ce qui différencie un bullshit job d’un travail valorisant et utile. Il met ainsi en lien les objectifs poursuivis par l’entreprise et les ressources affectées pour atteindre ces objectifs. Plus les objectifs sont flous et plus les ressources sont importantes, plus le bullshit job est de mise : conseil en tous genres, par exemple, dénomination pompeuse du poste sans consistance aucune. Si les objectifs initiaux sont clairs mais les ressources insuffisantes, l’émergence du bullshit permet de ne plus assumer la mission : l’auteur évoque ainsi, à travers de nombreux exemples, les travers et dérives liés au reporting incessant qui limite désormais le travail de terrain dit « utile ».
Dans la deuxième partie, c’est le système économique actuel lui-même qui est décrié, dans la mesure où il permet les bullshit jobs.
« Les bullshit jobs sont à l’économie classique et néoclassique ce que l’ornithorynque était à la biologie prédarwinienne. Ils ne rentrent pas dans les cases autorisées. »
Selon l’auteur, la mise en avant de la valeur « travail » conduit à créer ou conserver des emplois inutiles alors même que la durée du temps de travail hebdomadaire aurait dû baisser de façon constante au regard des progrès techniques. C’est ici l’émergence de nouveaux métiers, totalement inutiles – et on y retrouve les fameux conseils – qui contribue à « normaliser » le système. Mais si on les supprimait, cela n’engendrerait-il pas un supplément de chômage ? L’auteur évoque ainsi à plusieurs reprises les interactions entre les jobs inutiles et la bienséance apparente des structures, qu’elles soient publiques ou privées, en vue de garantir une paix sociale de bon aloi. C’est aussi « l’inutilité ostentatoire » qui entraîne des gens intelligents à consulter des cabinets, employer des subalternes dans le seul but de montrer la place qu’ils occupent sur un marché ou dans une entreprise. Il aborde également la sociologie du marché du travail, les classes sociales et emplois réservés à ceux détenteurs du genre ou de l’origine voulus pour occuper des jobs rémunérateurs, quoique inutiles…
Dans la troisième partie, l’auteur expose les conséquences pour les entreprises et institutions du lissage des politiques publiques. Selon lui, c’est ce qui explique la multiplication des emplois inutiles, car dépourvus de missions précises dans un cadre de restrictions budgétaires. L’évaluation, la recherche de performance produiraient un effet totalement inverse à celui attendu : des salariés qui diluent leur travail dans le temps imparti pour démontrer leur loyauté, plutôt que de fournir un travail effectif de qualité.
J’ai trouvé ce livre passionnant à plus d’un titre. Il traite du sujet, de son contexte et de ses conséquences en l’étayant de nombreux exemples et anecdotes. La liste des sources est conséquente, et permet d’effectuer le cas échéant des recherches complémentaires (j’aime bien aussi vérifier par moi-même les sources…). Même si les séquences liées aux systèmes économiques et management d’entreprise pourraient sembler par moment un peu ardues au néophyte, l’ensemble est assez accessible. Et j’ai franchement ri à certaines réflexions ou situations mises en valeur par l’auteur.
J’ai donc réfléchi, appris, réfléchi encore et amusée tour à tour. Je n’en demande pas plus, et c’est un ouvrage intéressant pour comprendre son époque et les implications de son job !
Une réflexion sur « Imposture à temps complet »