Longtemps, je me suis couché de bonne heure

Et pourquoi ne pas arrêter le temps… tout est possible avec un bon livre ! ©️ CF 27/11/2022

Jean-Pierre Gattégno

271 pages

Actes Sud, 2004

Fin de lecture 14 novembre 2022

Lorsque j’ai acheté ce livre en vente de stock de médiathèque en 2021, puis que je l’ai sorti de ma grosse PAL ce mois-ci, ce fut un hasard total. Je n’avais pas en tête qu’il s’agissait de l’incipit du roman de Marcel Proust Du côté de chez Swann, ni que je le lirais à quelques jours de la date anniversaire du centenaire de son décès. M. Proust et moi étions en effet en contentieux depuis le baccalauréat de français… j’emploie à dessein le passé, car il se pourrait fort que le présent ouvrage m’ait ouvert l’appétit…

Sébastien Ponchelet est ce qu’on pourrait appeler un gentil looser. Pour échapper à la vie droite et rangée de son père manutentionnaire, il s’est acoquiné à un malfrat, s’est retrouvé en prison, et, sorti sous contrôle judiciaire, s’est retrouvé à son tour manutentionnaire dans une grande maison d’édition de la capitale. Entre métro, boulot, dodo, souffre-douleur de son chef et amant occasionnel de sa logeuse, la vie de Ponchelet est peu passionnante.

Mais il ouvre par erreur un manuscrit qui doit être retourné à son auteur et en découvre la première phrase – celle du titre du roman – qui va changer sa vie.

Car Sébastien Ponchelet a été « éduqué » en prison par Sholam, un monte-en-l’air de haut vol, érudit, plongé dans ses livres et la tête dans les œuvres d’art qu’il volait.

« Le temps de la prison est fait d’attentes multiples. Sholam y échappait. Jour et nuit il courait le long des phrases. (…) Il était fatigué et malade, mais dès qu’il ouvrait un livre, il retrouvait vigueur et agilité. Tel un marathonien du texte, il parcourait les mots, inlassablement, jusqu’à la ligne d’arrivée.»

Alors, encouragé par le souvenir de son mentor, Ponchelet se met à penser à cette fameuse phrase, à ce qu’elle peut représenter pour lui. Et il observe les autres dans le métro… notamment une jeune femme qui dévore les pages de son propre livre…

Et j’arrête ici mon résumé. Le roman vaut tellement mieux !

Je l’ai dégusté. Des livres à la peinture ou la sculpture, il n’y a qu’un pas, le plaisir. Aimer l’œuvre pour sa beauté et non pour sa valeur financière. Appliquer ce principe dans la vie quotidienne.

Dans ce délicieux hommage à la littérature et à l’art, contre-pied à l’injonction de destinée toute tracée, j’ai eu la sensation de voir un homme courbé (Courbet ?😉) se redresser grâce à la connaissance et la confiance en lui affermie par sa découverte de la beauté des arts.

Ce livre de Jean-Pierre Gattégno m’a donc amenée à découvrir un écrivain à la plume fluide, pleine d’humour, et aux descriptions fines qui me donnent envie de lire ses autres ouvrages. Au-delà, il m’a réconciliée avec M.P. (chuuuuttt, ne criez pas victoire trop vite !), ce qui était une gageure !

Coup de cœur.

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Les réponses

Elizabeth Little

501 pages

10/18, 2014, Sonatine, 2015

Fin de lecture 6 novembre 2022

Jane a passé les dix dernières années en prison, à la suite d’une condamnation pour le meurtre de sa mère, très célèbre mécène californienne. Libérée non parce qu’elle a purgé sa peine mais suite à une erreur de procédure, elle décide de disparaître.

Pour trouver les réponses à ses questions : car si elle n’était pas en bons termes avec sa mère, Jane n’a aucun souvenir de ce drame. Adolescente rebelle, alcoolisée lors de la soirée, elle ne sait pas si elle a effectivement commis cet acte atroce, et ce doute la tourmente depuis lors.

Méconnaissable pour fuir la presse et les blogueurs qui s’acharnent sur elle, Jane mène l’enquête, jusqu’à une petite ville du Dakota du Nord.

Féroce critique de la jeunesse dorée californienne plus intéressée par les apparences et l’argent facile – ou hérité de parents bienveillants – en contraste avec l’Amérique profonde ancrée dans ses souvenirs, Les réponses propose une plongée addictive dans la conquête de la vérité.

Jane face à ses doutes est attachante : elle effectue la critique de sa vie d’avant le drame, exposée par les réseaux sociaux et forcément honnie ensuite par une partie de l’Amérique. La construction de l’histoire, émaillée de coupures de presse, articles de blog, de courriels et autres sms, allers et retours entre passé et présent, apporte du dynamisme au récit de la jeune femme. Le lecteur l’accompagne ainsi dans ses recherches et s’interroge avec elle sur les possibles coupables qu’elle envisage tour à tour.

Le questionnement de Jane, ses remarques caustiques sur elle-même et sur les autres, le fond historique et la saga familiale constituent donc un roman très agréable et palpitant.

PS : mon sens de la justice n’a pas approuvé la fin… celui du réalisme l’a parfaitement intégré !

Et les vivants autour

Barbara Abel

499 pages

Belfond, 2020, Pocket, 2021

Fin de lecture 18 octobre 2022

Une jeune femme dans le coma depuis quatre ans suite à un terrible accident de voiture. La famille, son mari, ses parents, sa sœur et son beau-frère qui se relaient à son chevet. Ces vivants, autour d’une quasi-morte, qui tiennent tant bien que mal et essaient de poursuivre leur vie.

Et ce professeur qui veut les voir, les plongeant dans un profond désarroi : chacun se demande quelle est la conduite à tenir, et surtout qu’aurait voulu Jeanne ?

Barbara Abel dissèque chaque personnage sous sa plume acérée. L’envie de vivre, le ressentiment, la culpabilité, les conflits de loyauté vis-à-vis de Jeanne.

Faut-il la maintenir en vie ou non ? Peut-on vraiment passer à autre chose, de nouvelles amours, de nouveaux projets avec cette pensée permanente qui les taraude : et si Jeanne venait à se réveiller malgré tout ?

« – Et ta femme… Elle fait quoi, dans la vie ?

– Elle dort.

C’est sorti tout seul.

– Pardon ?

– Elle dort.

(…)

– Depuis quatre ans, précise-t-il enfin. Elle… elle est dans le coma. »

Ceci est le côté psychologique du roman, qui enjoint forcément à réflexion.

Mais comme c’est Barbara Abel qui écrit, au-delà questionner la « moralité » de la fin de vie, le livre expose les secrets de la famille de Jeanne. Et là commence le thriller.

L’auteure montre comment la trame de ce drame s’est tissée depuis bien longtemps. Et que cette famille en apparence très unie autour de la malade va se disloquer totalement quand chaque protagoniste va souhaiter mettre en avant ses propres objectifs. Jeanne devient le catalyseur des décisions individuelles qui seront prises par ceux qui l’entourent.

J’ai été happée par ce roman lu très vite : par le sujet en filigrane, évidemment d’actualité, de la fin de vie décidée par d’autres ou soi-même, mais aussi par la manière dont Barbara Abel met en avant chacun de ses personnages, avec ses aspects attachants ou profondément rebutants. On passe de l’empathie à l’effroi, on réfléchit aux jugements hâtifs que l’on peut porter et on observe les conséquences des décisions anciennes…

J’ai aussi aimé les citations en incipit des grandes parties, prélude au déroulement d’une phase de l’histoire.

Je suis donc ravie d’avoir lu ce roman dédicacé par l’auteure au SMEP 2022, alors que je n’avais lu précédemment que l’excellent Derrière la haine.

Il était une fois la guerre

Estelle Tharreau

256 pages

Taurnada Editions, 3 novembre 2022

Fin de lecture 31 octobre 2022

Je remercie les Editions Taurnada de m’avoir permis de découvrir le nouvel ouvrage d’Estelle Tharreau en version numérique dans le cadre d’un service presse.

« La mort d’un homme au terme d’une vie est une peine, celle d’un enfant massacré est un traumatisme pour l’esprit, une parcelle d’humanité qui se sépare de l’âme. Toutes les morts ne pèsent pas de la même manière sur une conscience. »

Le soldat Sébastien Braqui, conducteur de camions, va en faire l’amère expérience. Envoyé en mission ONU au Shonga, terre d’Afrique inventée par l’auteure, il se lie avec un enfant, le petit Momar. Alors même que sa propre épouse est enceinte, il doit laisser le jeune garçon au cours d’une permission. L’image de l’enfant sur le bord de la route le hantera dans sa vie civile et militaire.

Comment évoquer avec ses proches les exactions, la misère, les carnages auxquels il est confronté ? Braqui préfère se taire jusqu’à exploser de colère et faire imploser sa famille : sa femme et sa fille redoutent alors sa violence.

La psychologie du soldat, celle de sa famille sont évoquées au travers de la narration mais également de l’exposé du reporter qui couvre le conflit. La famille qui a peur, qui redoute le coup de sonnette, qui fait face au regard des voisins lorsque la mission n’est plus considérée comme utile, mais malveillante…

Car la légitimité de l’aide française est remise en question par le pouvoir local et les soldats de retour sur le sol national sont pointés du doigt… Pas d’honneurs, rentrés en catimini, honte à eux, un suivi psychologique et une aide au retour à la vie civile très insuffisants.

Estelle Tharreau narre la guerre et ses horreurs, les conséquences sur ses acteurs à la fois au sein du conflit et sur la vie des rescapés et de leur famille. On tombe avec Braqui au coeur de l’abîme…

Ce n’est pas un polar, ce n’est pas un thriller.

C’est l’histoire crue, presque un documentaire, des hommes et des femmes qui font la guerre ou tentent de maintenir la paix, de leurs familles et de l’endroit du décor dont le reste de l’humanité ne voit que l’envers. C’est aussi une critique des conditions d’accompagnement psychologique et matériel de ces soldats. Et c’est passionnant, terrible, poignant, bouleversant.