L’AIR DE RIEN

AUDE PICAULT

Octobre 2017

Editions DARGAUD

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Je souhaite tout d’abord remercier Lecteurs.com et les éditions DARGAUD de m’avoir adressé cette BD pour découverte… une chouette découverte !

Aude Picault est une trentenaire, dessinatrice de BD, dont quelques 90 « strips », c’est-à-dire bandes dessinées de quelques cases disposées en bande horizontale, ont été publiés entre 2013 et 2015 dans le supplément week-end du journal Libération et regroupés dans l’album inédit « L’air de rien » fin 2017.

Dans l’album, la majorité de ces mini-bd sont ordonnées sur deux rangs, ce qui permet d’y trouver deux histoires par page, sauf 12 histoires qui prennent la forme de quelques cases sur la page de gauche et d’une planche prenant la totalité de la page de droite. Les dessins des strips sont en noir et blanc, avec quelques touches de couleur, la même pour la totalité d’une histoire (dans « Jeux de rôles », les divorcés qui se détestent portent un manteau bleu, tout comme leur enfant, alors que leurs nouveaux conjoints sont exclusivement en noir et blanc…). Ceux des grandes planches sont totalement colorés, ce qui crée un contraste.

Je ne connaissais pas l’auteur, j’avais donc hâte de découvrir. Aude Picault croque la vie quotidienne, qu’elle soit au foyer, dans la rue, au travail ou au café, et fait une part belle (ou moche !) aux relations amoureuses.

Avec humour et tendresse, elle nous met face à nos travers et contradictions : j’ai adoré la fille qui rentre chez elle et ne trouve pas ses clés, qui finit par vider son sac en totalité par terre… et retrouve ses clés dans sa poche ! Du vécu… !!! la femme qui veut tout maîtriser dans son foyer, les femmes que le garçon de café appelle «mesdemoiselles » et qui finissent par tâcler la seule célibataire, l’homme qui donne des conseils à son copain pour quitter sa femme alors qu’il n’est pas du tout décidé, la fille qui se coiffe avec le produit de la publicité en escomptant le même résultat… Si je continue, je vais aussi donner toutes les chutes !

Des BD rapides à lire, d’un intérêt très contemporain, avec une large part faite aux femmes, qui m’ont fait sourire, penser à mes propres travers ou ceux de mes proches, avec ces banalités et généralités qui nous mènent parfois par le bout du nez… et quelquefois réfléchir.

Du point de vue du dessin, mes préférés sont ceux qu’on trouve sur deux pages, car ils sont aussi plus colorés : la page de gauche est souvent un détail de la planche de droite… Il faudrait presque cacher la page de droite pour réfléchir à ce qu’elle pourrait représenter… avant de découvrir qu’elle peut ne rien avoir avec ce qu’on pensait… le chien qui arrive devant une flaque… qu’on imagine être de l’eau… « L’air de rien », je vous laisse découvrir la page de droite !

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PAS DE PITIE POUR MARTIN

Karin SLAUGHTER

2009

Editions Grasset et Fasquelle

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Un polar de Karin Slaughter, je saute dessus en général. Quand il est court – 150 pages, c’est rare. Quand en plus il est drôle, c’est encore mieux. Mais il est aussi gore, méchant, vicieux, c’est sans doute ce qui fait son attrait !

Martin Reed est… comment dire ? le souffre-douleur de sa génération de copains, de sa mère («A première vue, Evelyn Reed était l’essence même de la charmante vieille dame. Jusqu’au moment où elle ouvrait la bouche »), de ces copains qui sont devenus ses collègues, de sa subalterne qui le traite comme un chien, bref, il n’a rien pour plaire et en plus ne fait pas grand-chose non plus pour changer : «(…) son existence était toute entière placée sous le signe de la banalité, et la normalité avait toujours été son inatteignable horizon. Sa taille, son poids, son intelligence, tout en lui était moyen ; alors pourquoi donnait-il à ce point l’impression d’être toujours en dessous de la moyenne ? » .

Et ce qui est drôle, c’est qu’il travaille comme comptable dans une entreprise qui confectionne du papier hygiénique, et des produits sanitaires en général, d’où la superbe couverture du livre… avec du sang, hé oui, forcément, car c’est  tout de même une reine du polar qui écrit, et il y a eu meurtre ! Meurtre dont est très vite accusé Martin, car il s’agit d’une de ses collègues, qu’on retrouve du sang dans sa voiture, et qu’il est incapable d’expliquer ce qu’il faisait à l’heure de l’horrible crime.

Même la charmante fliquette Albada a dû mal à le disculper, et son avocat commis d’office qui semble avoir «douze ans » tant il fait jeune, n’est vraiment pas d’une grande efficacité.

Tous les clichés du mauvais polar sont dans ce livre : le pauvre type, la fliquette qui se raconte une vie, les méchants, le sexe, le meurtre, l’accumulation est exquise et on finit par souhaiter que ce pauvre type s’en sorte, juste pour une fois ! Mais est-il innocent ou coupable ?

Le ton est féroce, corrosif, l’intrigue est aussi là, mais l’humour est en prime (avec les têtes de chapitre extra longues à la façon des auteurs du 19ème siècle), alors on se laisse faire et on se surprend à être sans pitié pour Martin!

EN UN MONDE PARFAIT

Laura Kasischke

2010

Christian Bourgeois éditeur

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Jiselle est hôtesse de l’air, trentaire et célibataire quand Mark, commandant de bord, superbe veuf père de trois enfants, lui demande de l’épouser. Les filles aînées de Mark – Sara et Camilla –  détestent  la nouvelle venue, tandis qu’elle arrive à apprivoiser le jeune Sam.

Jiselle a démissionné pour s’occuper de sa maison et des enfants de son époux, tandis que celui-ci est de plus en plus absent. « Que diable faisait-il là ? Mark avait été absent quatre jours sur cinq depuis le début du mois. Si elle n’obtenait pas que Sam ressorte de sous ce lit, il se pouvait qu’il y reste jusqu’à ce que Mark rentre à la maison. Un squelette d’enfant en jean et T-shirt. Boucles blond vénitien et poussière. »

Pendant ce temps, une terrible épidémie, qualifiée de « grippe de Phoenix », continue de frapper les Etats-Unis, et les citoyens américains sont persona non grata hors de leurs frontières. Mark est ainsi retenu en quarantaine lors d’une escale en Allemagne, et Jiselle doit faire face seule aux coupures d’électricité et aux restrictions d’essence et alimentaires, tandis que le pays sombre dans le chaos.

« Il s’était dit très peu de chose sur ce qui arrivait véritablement aux victimes de la grippe de Phoenix. Seul le ministre de la Santé s’était exprimé sur le sujet. Il avait été critiqué pour son attitude propre à engendrer la peur, et remplacé à son poste par quelqu’un de plus réservé. Mais ses paroles – « J’ai vu des gens succomber au cancer et j’ai vu des gens s’éteindre du sida, or j’ignorais que le Seigneur eût en réserve de bien pires façons de mourir » – avaient été reprises et citées cent mille fois avant que l’on tente de les étouffer. »

Jiselle doit tout mettre en œuvre pour protéger sa nouvelle famille, malgré les différends qui les oppose. Elle organise donc leur vie autour de leçons, de jeux, en attendant que les choses s’arrangent.

Encore une fois, Laura Kasischke mêle la poésie à l’horreur, elle dépeint les paysages, les relations humaines, elle nous tient en haleine jusqu’au bout… et on reste encore imprégné de son écriture après avoir refermé le livre. Moi qui n’aime pas particulièrement les descriptions, je suis toujours fascinée par son aptitude à me faire ressentir (voir, sentir, éprouver) ce qu’elle expose, comme un tableau : « Le temps avait été tellement chaud, ensoleillé et humide, cela de si bonne heure, que toutes les fleurs étaient déjà à leur plus haut degré d’épanouissement, pour ensuite faner dès le début de juillet. Les magnolias, l’air gorgés d’eau, tapissaient la pelouse de leurs pétales. Les branches des rosiers fléchissaient sous le poids des roses. Les jonquilles étaient couchées, leurs tiges ayant ployé sous la charge de fleurs énormes. »

LA MAISON D’A CÔTE

 

Lisa Gardner

2010, Albin Michel, 418 pages

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Banlieue de Boston. Sandra et Jason Jones sont mariés depuis cinq ans. Ils ont une petite fille, Clarissa, surnommée Ree, âgée de quatre ans.

Sandra est professeur dans un collège, le jour.  Jason est journaliste, il travaille plus spécifiquement la nuit. Ainsi, ils peuvent se relayer pour élever leur fille. De l’extérieur, tout semble normal dans leur vie, lorsque Sandra disparaît. Jason rentre chez lui une nuit après son travail, tout est fermé, mais Sandra a disparu. Ree est sans doute le seul témoin de sa disparition.

L’inspectrice fétiche de Lisa Gardner, DD Warren, va essayer de faire la lumière sur cette disparition dans une maison digne de Fort Knox – « Des verrous à double entrée, murmura DD. Pas de caméra. Je me demande si ce dispositif vise à empêcher quelqu’un d’entrer ou de sortir. ». Elle se retrouve confrontée au mari, mutique, dont le seul but semble être de protéger sa fille, mais pas de chercher sa femme. « Fascinant, non ? Quoi, sa femme se volatilise au milieu de la nuit en laissant sa fille seule à la maison et, loin de coopérer ou de nous poser la moindre question logique sur nos démarches pour retrouver sa femme, Jason Jones reste assis dans son canapé aussi muet qu’une carpe. » Et bien évidemment, il est le suspect tout trouvé, puisque le plus proche de Sandra.

Mais un délinquant sexuel, Aidan, habite également à proximité. Il suit un programme d’insertion, il travaille, mais ne serait-il pas impliqué ? D’ailleurs, lui-même détecte très vite la présence de la police, avant même que l’affaire ne soit dévoilée au grand public : « J’ai jeté un œil par la petite fenêtre au-dessus de l’évier et il était là, dans un joli cadre de dentelle renaissance : individu de sexe masculin, blanc, environ un mètre soixante-quinze, un mètre quatre-vingts, cheveux  bruns, yeux marron, qui marchait à grandes enjambées sur le trottoir d’en face en direction du sud. Il portait un pantalon de coutil sans plis, une veste sport dans le genre tweed et une chemise bleue à col boutonné. Des chaussures de cuir brun cirées avec d’épaisses semelles en caoutchouc noir. Dans sa main droite, un petit carnet à spirale.

Un flic . (…) Enquête de voisinage. Les flics font une enquête de voisinage dans la rue. Et ils viennent du nord. Donc il s’est passé quelque chose, probablement dans cette rue, un peu plus au nord. (…)

Les flics vont venir me chercher. Tôt ou tard. A deux, à trois, avec toute une équipe d’intervention, ils convergeront vers ma porte. C’est pour ça que les gens comme moi existent. Parce que chaque quartier doit avoir un mouton noir et on peut faire autant qu’on veut comme si tout était normal, ça n’y changera rien. »

Ce thriller de Lisa Gardner relate l’enquête de police au travers des attitudes et agissements de Jason et Aidan notamment, avec une alternance d’un récit par Sara de sa propre vie avant son mariage et durant son mariage, de ses interrogations sur ce qu’est une famille.

Lisa Gardner est toujours aussi habile à faire monter la tension, nous baladant de suspect en suspect, montrant aussi l’empathie de son enquêtrice vis-à-vis de la petite fille qui souhaite avant tout retrouver sa maman, son ambivalence concernant l’implication du mari ou du délinquant dans l’affaire, les difficultés à faire jaillir la vérité au milieu de tous les mensonges.

Si je devais sous-titrer ce livre, cela pourrait d’ailleurs donner : « Où l’on découvre que la vie d’une petite famille bien rangée est peut-être plus compliquée qu’il n’y paraît, que les mensonges peuvent être le socle de l’unité familiale ». Mais quelle valeur ces mensonges ont-ils vraiment au regard de la disparition de Sandra ? En sont-ils la cause ?

Un livre très documenté sur les procédures concernant le suivi des délinquants sexuels au sein de la société aux Etats-Unis, et sur les traces informatiques que nous laissons sur tout appareil connecté… Je recommande donc ce bon polar qui pourra vous faire douter de votre voisin si gentil et serviable… Et  d’ailleurs, je crois que je vais arrêter là, on ne sait jamais… !