Le manoir des immortelles

Thierry Jonquet

165 pages

Gallimard, 1986

Fin de lecture 2 novembre 2021.

Lu dans le cadre du challenge The Black November 2021 / semaine 1 : lire un livre d’un auteur décédé

J’ai retrouvé dans ce livre tout ce que j’avais aimé dans Mygale.

Ici, un homme, Hadès, espionne un immeuble et les hommes qui y entrent. Il les prend en photo, les numérote et les détrousse brièvement pour connaître leur identité. Si celle-ci ne lui convient pas, la mort est au bout du chemin…

En parallèle, le commissaire Salarnier mène l’enquête sur des cadavres sans tête retrouvés dans Paris. On est en novembre, la grisaille est installée, dans la météo mais aussi dans la vie Salarnier : son épouse Martine lutte contre un cancer.

La mort enveloppe tout ce roman, par les références mythologiques et picturales, par les meurtres bien évidemment et dans l’agonie de la femme de Salarnier.

« … la figure de la mort, telle que nous la rencontrons avec ses symboles et ses emblèmes dans l’histoire de l’art, a connu moult variations… »

On peut d’ailleurs voir un effet miroir déformant entre les agissements d’Hadès qui se bat contre l’œuvre de mort et Sarnier qui la laisse agir… et se prendre de compassion tant pour le meurtrier que pour l’enquêteur.

Un court roman, mais d’une précision redoutable, et très émouvant.

J’ai beaucoup aimé !

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Pour seul refuge

Vincent Ortis

366 pages

Pocket, 2020, Éditions Robert Laffont et Société du Figaro, 2019

Sélection Prix Nouvelles Voix du Polar 2021

Fin de lecture 20 juillet 2021

Je remercie les Éditions Pocket pour m’avoir adressé ce livre dans le cadre du jury Prix Nouvelles Voix du Polar 2021, en compétition avec … Et avec votre esprit dAlexis Laipsker.

Je n’ai pas souhaité donner trop de détails, ni inclure de citations pour ne pas gâcher le suspense de cette belle découverte.

Alan a commis un terrible crime et sa condamnation a été minime aux yeux de certains.

Ben est un jeune homme de la classe moyenne. Accusé d’avoir dealé de la drogue, son plus grand tort est probablement d’avoir pour père le juge Edward McCarthy.

Edward McCarthy est un juge très sûr de lui qui tombe en panne sur le chemin qui le conduit à la prison où est retenu son fils… et disparaît.

Ted est un policier très attaché à la justice.

Un jeune homme emprisonné, des meurtres atroces. Des policiers qui se mettent en quatre pour retrouver le juge. Des pistes viciées qui trompent les enquêteurs et le lecteur, jusqu’à la fin.

Edward et Alan. Un juge expérimenté et un jeune délinquant. Tout les oppose, ils risquent de s’affronter.

La neige, le froid pour seuls compagnons : l’obligation de collaborer pour se tirer de ce mauvais pas. Un escape game grandeur nature, le temps imparti est serré, un grizzly vient s’en mêler.

Deux parties dans ce livre. Deux face à face. Un drame absolu. Une atmosphère. Les émotions et sentiments se modifient au fil de la lecture, entre empathie et horreur.

Un thriller haletant, un gros coup de cœur pour l’histoire et l’écriture !

… Et avec votre esprit

Alexis Laipsker

462 pages

Pocket, 2021, Éditions Michel Lafon, 2020

Sélection Prix Nouvelles Voix du Polar 2021

Fin de lecture 14 juillet 2021

Je remercie les Éditions Pocket pour m’avoir adressé ce livre dans le cadre du jury Prix Nouvelles Voix du Polar 2021, en compétition avec Pour seul refuge de Vincent Ortis.

En préambule, je connaissais Alexis Laipsker en qualité de commentateur d’émissions sur le poker, jeu que je ne pratique pas du tout mais qui m’intéresse depuis longtemps pour les aspects psychologiques qu’il recouvre.

J’ai également eu l’occasion d’assister à un Apéro polar Pocket virtuel le 6 juillet 2021, au cours duquel j’ai pu apprécier la présentation de son travail par l’auteur lui-même, ainsi que ses inspirations. Un bref résumé en fin de chronique du livre revient sur cette rencontre avec Alexis Laipsker.

Le livre

Tout d’abord, la couverture est superbe, et on comprend tout de suite quel va en être le sujet principal : le cerveau.

En effet, cet organe est mis à l’honneur lorsqu’un Prix Nobel de chimie en est dépouillé après une mort sordide, tandis que d’autres scientifiques de renom sont enlevés. Un étrange symbole semble être leur point commun, seul indice qui les relie.

La commissaire Cannelle Pourson à Strasbourg, le lieutenant Simon Vairne à Paris et le lieutenant Marion Masteraux à Aix-en-Provence vont être amenés à échanger des informations sur ce qui semble être une terrible machination contre des scientifiques de renom.

Mais le lieutenant Vairne, de la DGSI, a la possibilité de se rendre sur les différents lieux et d’enquêter directement sur le terrain, car il y va de la Défense Nationale. Il va ainsi collaborer plus étroitement avec Marion. Ensemble, ils vont remonter le fil pour découvrir ce que cachent ces disparitions, et forment un duo plein d’humour.

J’ai trouvé un peu longue la mise en place, le roman démarre pour moi vraiment vers la page 180, à la rencontre de Simon et Marion. Cela laisse néanmoins au lecteur la possibilité de se poser toutes les questions tordues en même temps que les policiers, à la fois sur le meurtre de Strasbourg et sur la disparition du premier scientifique à Lyon. Cela permet aussi d’entrer dans l’univers de différents services de police généralement peu mis en exergue. Quelques invraisemblances fictionnelles par rapport à la « vraie vie », notamment avec le téléphone portable non remplacé (ou alors il aurait fallu expliciter qu’un mobile professionnel ne se remplace pas en vingt-quatre heures) et le recours au SSPO pour trouver un tueur en série, m’ont gênée.

J’ai bien aimé les personnages, clairement identifiés (bien qu’un peu caricaturaux), avec deux approches spécifiques : Cannelle et Marion et la difficulté toujours patente de se faire une place dans un monde masculin, Simon dont l’esprit mathématique et cartésien diverge avec une certaine tendance à l’indiscipline.

Ils doivent tous composer avec la machine administrative et les enjeux de carrière pour eux-mêmes et pour leurs supérieurs : échouer, c’est se voir dessaisir de l’enquête, et potentiellement stagner dans son grade.

Et bien évidemment, Simon est à part : ancien joueur de pocker (comme l’auteur), habitué à déterminer les mensonges, aux aptitudes exceptionnelles pour définir des probabilités pour chaque situation qui se présente à lui, il est attachant et intéressant. Quelquefois arrogant, il sait cependant revenir sur ses conclusions initiales pour mener à bien son enquête.

« De ces nuits entières passées autour d’un tapis de jeu, il avait conservé le besoin d’associer une probabilité à chaque événement sur le point de se produire. Cette manie singulière lui permettait de voir les choses de manière extrêmement rationnelle, débarrassée de tout sentiment et de toute émotion. Sans doute y avait-il d’autres moyens d’y parvenir. C’était le sien. Il intégrait un maximum d’informations, puis en déduisait une probabilité. »

Même si j’avais deviné aux trois-quarts l’énigme, j’ai bien aimé le livre dans l’ensemble, les retournements de situation, les interactions entre les personnages et surtout le réalisme de la chute. Un premier roman prometteur. Et j’espère retrouver Simon dans des ouvrages ultérieurs.

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Apéro polar Pocket – rencontre avec Alexis Laipsker

La construction d’un livre : tout est dans son esprit, Alexis Laipsker commence par imaginer la fin « coup de poing », « le plus dur est de construire le milieu pour que tout se révèle fluide ». Il écrit donc la fin, puis le début, et enfin le milieu du livre. Il privilégie toujours l’histoire, l’enjeu est de la rendre crédible. Ensuite, il construit ses personnages inventés de toutes pièces – même si Simon lui ressemble – et ses lieux pour servir au mieux l’histoire. « Je sais où je vais, où je dois aller, mais je les laisse faire, se répondre ».

Comment insuffler un aspect technique à un personnage de fiction : Le métier de policier comporte un travail de probabilité. L’auteur a voulu insérer des « arborescences de probabilités incongrues au cours d’un dialogue, d’une phrase ». Le personnage de Simon est un peu timide au début, un peu plus affirmé ensuite. La lecture des expressions corporelles demande une formation sur des petits détails, afin « de balayer des facilités classiques pour éviter les raccourcis ». L’objectif est de déterminer une anomalie.

Pourquoi le polar : l’auteur vient du milieu du poker, qui est un jeu d’information, de désinformation, de manipulation et de mentalisme. Le roman noir lui plaisait avec la possibilité de « manipuler le lecteur avec de fausses pistes ». L’enjeu était d’abord d’éprouver du plaisir à écrire, et ensuite d’être édité.

Le livre qu’il aurait aimé écrire : Nous rêvions juste de liberté de Henri Lœvenbruck.

Le choix du titre de son roman : à connotation religieuse, tourné vers l’esprit.

Est-ce qu’il lit ? Il lit moins, commence mais ne finit pas les livres, « car je vois où l’auteur veut aller ». Le revers de la médaille !

Une famille presque normale

Mattias T. Edvarsson

623 pages

Pocket, 2021, Sonatine Éditions, 2019

Fin de lecture 25 juillet 2021.

Je remercie les Éditions Pocket pour m’avoir adressé ce livre dans le cadre du jury Prix Nouvelles Voix du Polar 2021, en compétition avec Le pensionnat des innocentes d’Angela Marsons.

Le lecteur entre dans l’intimité d’un foyer suédois par ceux qui l’habitent, dans un moment tragique, le procès de l’un d’eux pour meurtre.

Le père, Adam, pasteur, très respecté, adorateur de sa fille, qui a tant d’attentes envers elle, mais devient peu à peu impuissant à la comprendre.

« Nous avions placé la barre très haut en prétendant être les meilleurs parents que nous pouvions pour notre enfant, mais nous n’avons pas été à la hauteur de nos ambitions. »

La fille, Stella, tout juste sortie de l’adolescence, n’a jamais voulu justifier ses emportements, ne souhaitant pas rentrer dans les cases prédéfinies des psychologues et de son père. Son rêve est un voyage en Asie, sa seule confidente sûre est son amie Amina.

« J’ai toujours espéré que papa comprendrais tout seul. (…) Chaque fois que papa ne comprenais pas, j’étais déçue et nous nous éloignions un peu plus l’un de l’autre. »

La mère, Ulrika, avocate, absente chronique du cercle familial, qui se décide à prendre les choses en mains pour sauver le modèle préétabli.

« Le droit a été ma religion. Il a ses lacunes, à certains égards importantes, mais j’ai cru dur comme fer au droit comme pilier et phare de la société moderne. (…) Maintenant, je ne sais plus que croire. »

Le récit choral va mettre en lumière les dysfonctionnements de cette famille considérée comme « normale » vue de l’extérieur. Au prétexte de la découverte du cadavre d’un homme aisé, se dessinent les liens filiaux, conjugaux, biaisés par les faux-semblants, les mensonges. Quand s’ouvre le procès, c’est aussi celui de la différence, de l’échec de la prise en charge d’une enfant. Mais c’est la lâcheté des uns contre l’amitié presque inconditionnelle des autres que l’on retient in fine.

Un éloge de la lenteur… les récits sont très différents entre les mains des trois protagonistes. Présent et passé se mêlent, se croisent et modifient la perception du lecteur. Parmi les narrations des parents chargées de doutes, de culpabilité, où l’amour s’exprime de façon très différente, la jeune fille est peut-être la seule à oser être elle-même. Mais l’amour des parents va se manifester d’une toute autre manière face à l’adversité, jusqu’à défier la justice et la morale. La progression permet de recadrer plus objectivement les faits que la vision tronquée ou déformée par chacun : au terme de ma lecture, j’ai eu la sensation de la description d’un même accident par les différents témoins, qui arrangeraient la vérité pour qu’elle corresponde à leurs souhaits, parfois inconsciemment.

Les émotions fluctuent, au fur et à mesure de la compréhension de ce qui se joue réellement dans cette famille. Les projections paternelles, l’absence maternelle, les impulsions de la jeune fille, tout concourt à mettre en place le drame : mais pas forcément dans le sens ou pour les raisons qu’on imagine !

J’ai bien aimé ce très bon thriller psychologique, qui explore les ressorts des actions dominées par la peur et l’amour, un peu lent dans le récit du père, ragaillardi par celui de la fille, sublimé par la mère.