Le libraire de Cologne

Catherine Ganz-Muller

277 pages

Scrineo, 2020

Fin de lecture le 9 avril 3023

A Cologne, fin 1933, la librairie Mendel a pignon sur rue. Elle travaille avec de nombreux partenaires commerciaux, et a mis en place un système de prêt de livres.

Son propriétaire, Alexander Mendel, emploie quelques personnes fidèles.

Mais dans cet entre-deux guerres, alors que les premières lois anti-juives ont été promulguées par Hitler, le chef de famille décide de s’exiler en France pour protéger les siens.

« Le peuple a perdu tous ses repères, il ne croit plus dans les institutions, il rejette les élites. C’est pour ça qu’Hitler a été élu, il avait un discours que le peuple a cru proche de lui sans voir ce qu’il signifiait réellement. »

Alexander confie alors sa boutique à Hans Schreiber, un tout jeune homme amoureux de sa fille Lisa. D’abord en qualité d’associé puis de propriétaire, puisque les familles juives sont dépossédées de leurs biens.

Et Hans n’aura de cesse de faire survivre la librairie, face à toutes les adversités : menaces, descentes de police, maladie, deuil, bombes. Alors que les relations humaines sont empreintes de méfiance, car une dénonciation est très vite arrivée, Hans va pouvoir compter sur des soutiens très variés pour sauver ces biens si précieux à ses yeux : les livres.

Inspirée de l’histoire réelle de sa famille, Catherine Ganz-Muller dépeint l’horreur et la vaillance : un homme, seul majoritairement, dont la loyauté envers le patron qui lui a fait confiance sera sans faille, face à la cruauté des affiliés de l’idéologie nazie. Sans conteste, l’attitude d’Hans est une véritable résistance pour conserver la liberté de penser par les ouvrages, même au péril de sa vie.

Ce livre destiné à la jeunesse et primé en 2021 bénéficie d’une chronologie historique et d’un glossaire, ainsi que de précisions relatives aux personnes réelles dont certains personnages sont inspirés. Il témoigne de la dégradation de la démocratie, de l’instauration d’une autocratie qui dénie la liberté de penser et de s’instruire grâce aux livres.

Ce livre a toute sa place dans l’éducation historique et constitue un repère pour l’avenir…

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LALALANGUE [Prenez et mangez-en tous]

Frédérique Voruz

203 pages

HarperCollins, collection Traversée, septembre 2022

Fin de lecture 12 octobre 2022

Je remercie Babelio et les éditions HarperCollins pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse critique privilégiée.

Au début, on pourrait penser que Lalalangue conte l’histoire vraie d’une femme brisée par un accident terrible dans lequel elle perd ses jumeaux, des garçons, et une de ses jambes. Elle ne s’en remettra jamais. On ne peut qu’éprouver de l’empathie pour elle.

Mais ce livre explore surtout les conséquences de ce drame sur l’entourage de cette femme, ce qui change radicalement le regard que l’on peut porter sur elle.

En effet, au lieu de reporter son amour perdu sur ses autres enfants, elle va s’acharner sur eux, et surtout sur les filles.

Frédérique, la dernière de la fratrie, raconte les humiliations, les mauvais traitements, la honte face aux camarades, aux voisins. Le mysticisme particulier de la mère effrayante qui préfère s’entourer de clochards – car il faut faire le bien ! – que de s’occuper de ses propres enfants.

C’est sa religion personnelle qu’elle met en place, avec ses rites et surtout ses règles restrictives. Désordre et saleté innommables en sont les maîtres-mots, malnutrition voire dénutrition, voire pire…

Le père ne pèse pas face à la volonté de son impétueuse épouse.

Et lorsque Frédérique essaye de sortir de cette famille destructrice, évidemment par ses seuls moyens, elle en est empêchée :

« Elle s’acharnait à minutieusement détruire tout ce que je m’échinais à construire. Venant me rappeler d’où je venais. Que je lui appartenais. J’étais mortifiée en la voyant saper mes efforts démesurés pour m’éloigner de l’avenir tragique qu’elle me destinait. »

C’est uniquement par elle-même et avec le soutien d’un de ses frères que Frédérique Voruz parviendra à changer le cours de sa vie, à modifier la portée du langage familial. En construisant sa carrière de comédienne, en jouant la pièce de sa vie et en en rédigeant les pages qui en sont le reflet.

« Être née dans cette famille était une anomalie que je prenais soin de corriger.

Me « faire un nom ». Un nom qui me soit propre. Un nom propre. J’avais besoin de nettoyer un nom sali par l’histoire de ma famille. Un nom qui soit détaché de la crasse dans laquelle nous grandissions. Acquérir une renommée pour me re-nommer.»

J’avais très envie de lire ce livre, dont le titre m’avait attirée. J’ai dévoré ses courts chapitres, sans m’arrêter. Terrifiée par ce récit, les larmes aux yeux la plupart du temps, un sourire esquissé lorsque l’auteure évoque les réactions de sa thérapeute à qui elle se confie. Émue par les dessins tracés par cette survivante en illustration de son enfance malheureuse.

J’ai eu plus de mal à écrire cette chronique. Car en fait, il faut juste lire ce livre : pour comprendre ce qui se cache derrière certains murs, mais aussi qu’il est possible de s’échapper de l’emprise de parents maltraitants physiquement et psychiquement.

Un témoignage poignant.

Les Enfants endormis

Anthony Passeron

277 pages

Éditions Globe, 25 août 2022

Fin de lecture 16 août 2022.

Je remercie les Éditions Globe de m’avoir adressé ce premier ouvrage d’Anthony Passeron dans le cadre d’un service presse, et l’auteur pour sa sympathique dédicace.

Qui sont les Enfants endormis ? Ce pourrait être les vôtres, ou les miens. En l’occurrence, ce sont ceux que l’on trouve dans l’arrière-pays niçois dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, une seringue plantée dans le bras.

Ils sont ceux que la drogue détruit, peu à peu, au point qu’ils mentent, volent, arnaquent pour se payer leur dose, celle qui leur sera peut-être fatale immédiatement, ou à petit feu. Car si l’overdose les guette, un mal sournois s’infiltre dans les aiguilles qu’ils se repassent : le sida.

Dans Les Enfants endormis, Anthony Passeron mêle, avec pudeur et habileté, les découvertes pas-à-pas d’un petit groupe de scientifiques français particulièrement (mais aussi américains) à l’histoire de sa famille et plus particulièrement de son oncle Désiré, dans un contexte social peu évoqué jusqu’à présent. Car on a beaucoup associé le sida au monde de la nuit, au show-business, aux homosexuels. Mais ce roman documentaire inscrit la terrible maladie dans l’ennui des jeunes gens sans souci apparent mais que la ruralité étouffe, et montre comment elle conduit à la déchéance et à la destruction psychologique d’une famille jusqu’alors honorée et respectée.

La méconnaissance de la maladie et de son évolution génère angoisse et tourment à la fois pour le patient et ses proches, au point que cela devient un secret de famille qu’on refuse d’évoquer devant les plus jeunes.

« L’odeur de la Javel. C’est le seul souvenir olfactif qu’il me reste de la maison de mes grands-parents. L’odeur du désespoir de Louise, ramenant son fils de l’hôpital, comme le premier pestiféré du village depuis le Moyen Âge. »

Le déni de la mère de Désiré est poignant. Si elle ne prononce pas les mots, son fils ne pourra que guérir. Sa belle-fille aussi. Et sa petite-fille…

Le soutien de chaque membre de la famille est également touchant. Tout comme le refus des enfants de voir sombrer leur jeune cousine.

Anthony Passeon s’appuie sur la triste expérience familiale pour retracer les débuts de la maladie, les balbutiements des recherches jusqu’aux conclusions déterminantes, dans un style simple et dépouillé. Il montre comment la jeunesse insouciante s’est fourvoyée et combien décrocher de la drogue est difficile, voire impossible. Il évoque les attentes souvent déçues des malades et de leur famille, au rythme des essais scientifiques et médicamenteux.

J’étais toute jeune adolescente au moment de la découverte du SIDA. Je me souviens des articles de journaux, des reportages télévisés, de ce déferlement d’informations plus ou moins douteuses – et il n’y avait pas encore de réseaux sociaux… Cela a marqué toute ma génération et je n’ai pu m’empêcher de frissonner à l’évocation dans ces pages de la persévérance de ces jeunes médecins dont les recherches ont sans doute empêché que les conséquences soient pires encore. Car toute la société pouvait être concernée par ce nouveau virus.

Tout à la fois document historique, sociologique et biographique, ce premier ouvrage est d’une grande qualité. J’ai été intéressée par le récit très clair des avancées scientifiques et profondément émue par l’évocation honnête et délicate de la famille de l’auteur. Je n’ai pu retenir mes larmes, surtout à la lecture du calvaire de la petite Émilie.

Il faut le lire. Ceux qui ont vécu l’époque que retrace l’auteur. Ceux qui l’ignorent. Pour comprendre l’ampleur de cette épidémie terrible qui s’est abattue et qui fait encore, plus de quarante ans plus tard, des ravages.

Coup de cœur !

Mon frère chasse les dinosaures

Giacomo Mazzariol

175 pages

Slatkine&Cie, 25 août 2022

Fin de lecture le 13 août 2022

Je remercie les Éditions Slatkine & Cie pour m’avoir permis de découvrir les épreuves non corrigées du roman-témoignage de Giacomo Mazzariol, publié en Italie en 2015, à paraître le 25 août 2022.

Giacomo Mazzariol invite le lecteur à entrer dans sa maison.

Alors qu’il pense que le nouveau petit frère à venir va rééquilibrer les forces en présence puisqu’il a déjà deux sœurs, et profiter de cette fratrie pour jouer au ballon, monter aux arbres et parcourir le monde à vélo, le petit Giacomo, cinq ans, apprend qu’un chromosome va changer à jamais sa vie et celle de sa famille. Car Giovanni est atteint de trisomie vingt-et-un.

Giacomo, dit Jack, va faire le deuil de certains de ses rêves. Il va, grandissant, mener une vie double : acceptation de Gio, ce frère qu’il aime lorsqu’il est chez lui, crainte et honte de le faire savoir à ses copains d’école et de s’afficher avec lui.

Puis, peu à peu, il va mûrir au regard de situations cocasses qui lui feront comprendre que sa peur du jugement d’autrui n’appartient qu’à lui.

« Les écrivains, c’était nous. La responsabilité de décider comment se terminerait cette histoire, d’ailleurs, ne tenait qu’à moi. Personne n’était là pour verser dans mon cœur cette peur du jugement des autres, j’étais seul à la nourrir. »

Il n’y a aucun pathos dans cet ouvrage, bien au contraire. Les sentiments sont très justes et leur description fine et sans faux-semblants. Oui, élever un enfant différent n’est pas simple et bouleverse la vie familiale. Oui, l’adolescence est une période où tous veulent être semblables et que se différencier prend des proportions énormes. Mais c’est bien souvent une idée qui ne correspond pas totalement à la réalité. Le témoignage de Giacomo Mazzariol vaut toutes les thérapies sur la résilience : il montre par l’exemple, sans être donneur de leçon, comment cesser de lutter et regarder la réalité via un autre prisme rend la vie tellement plus facile. La façon des parents d’aborder la naissance de cet enfant « spécial », et de réagir face à certaines situations invite le lecteur à s’interroger durablement sur le sens de certains choix, comportements ou excuses.

« Maman disait qu’aimer un frère, ça ne veut pas dire choisir quelqu’un à aimer, mais se retrouver à côté de quelqu’un que tu n’as pas choisi, et l’aimer. »

J’ai notamment beaucoup aimé la façon dont le papa de Giocomo explique les avantages de son emploi à un ancien camarade plutôt hautain…

J’ai été très touchée par cette mise en exergue (😉) pleine de maturité mais d’un abord très simple également, d’un tout jeune homme qui prend le parti de montrer au monde entier ce qu’il a essayé de dissimuler durant quelques années…

Giacomo Mazzariol est devenu scénariste, j’espère lire d’autres ouvrages aussi forts que celui-ci.