Azincourt par temps de pluie

Une couverture à l’image du contenu de l’ouvrage ! ©️ CF 19 mars 2023

Jean Teulé

205 pages

Mialet-Barreau, 2022

Fin de lecture 18 mars 2023

Il y a bien longtemps que je voulais me plonger dans un nouvel ouvrage de l’auteur à la plume si particulière. A la faveur de mon club de lecture sur le roman/polar historique, j’ai vu ce titre exposé et hop, le voilà lu !

La bataille d’Azincourt m’avait échappée. Si je suis férue des événements ultérieurs au seize siècle, j’avoue mon manque d’intérêt et donc mon ignorance sur la majorité de ceux qui concernent les années précédentes, même si quelques bribes me reviennent de temps à autre.

Vive donc la lecture, qui permet d’entrer directement sur le champ de bataille par un biais différent.

Azincourt se situe dans ce qui est dénommé aujourd’hui Baie de Somme, plus précisément dans l’Artois. Les Anglais venus de Rouen ne songent qu’à échapper à leurs poursuivants français et à regagner via Calais leur « home sweet home » après des défaites ayant entraîné de grosses pertes humaines.

Mais les Français se refusent à les laisser quitter le territoire : il faut les exterminer. Et Azincourt est tout à fait indiqué : les habitants ont fui, les Anglais sont encerclés. Soucieuse de plaire à son roi et surtout désireuse d’obtenir l’exonération d’impôts promise par le souverain, toute l’aristocratie française se presse vers le lieu et festoie largement en prévision de cette bataille dont l’issue est totalement certaine.

« L’ensemble des seigneurs [m’a] amené près de trois mille [albalétriers]. C’est plus qu’il n’en faut. L’affaire sera vite réglée avec eux en première ligne. »

Même lorsque l’émissaire du roi Henri V d’Angleterre propose la paix, les princes la refusent :

« Toute l’Europe se gausserait de l’immense prestigieuse armée française qui viendrait faire grand bruit au bord d’un champ de bataille puis fuirait. Maintenant qu’on est là… Et quand même, armés jusqu’aux dents, nous sommes cinq fois plus nombreux qu’eux alors ça va aller… »

La seule qui s’interroge sur le bien-fondé de cette bataille et sur les conditions de préservation du matériel d’assaut est une femme, Fleur-de-Lys, prostituée qui accompagne les Français sur tous les lieux de guerre. L’avenir lui donnera entièrement raison…

Car prise en tenaille entre deux forêts, massée en bas de la colline ravinée par l’eau, l’armée française va se faire laminer par son adversaire.

D’une bataille de trois jours de David contre Goliath, Jean Teulé peint une fresque épique. Il montre, détails et dessins à l’appui, comment la bêtise des aristocrates français attachés à leur charte guerrière dépassée, leur manque d’anticipation et leur sotte présomption les ont mené à perdre la partie. A contrario, les Anglais galvanisés par leur roi Henri V, rendus hargneux par la peur de mourir, l’alcool et le manque de nourriture, se sont transcendés.

C’est évidemment très violent, et bien souvent cru, mais aussi très intéressant sur le plan tactique. Les descriptions précises dépeignent la scène comme si on y était, les pieds dans la boue et la pluie sur le reste. Avec sa verve et son humour noir, l’auteur place quelques mots de vieux françois et anglois, et quelques critiques bien senties de la seule femme à l’encontre de la gente masculine.

Je me suis régalée !

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L’hôte

Jacques Ferrandez

D’après l’œuvre d’Albert Camus, Préface de Boualem Sensal

62 pages

Gallimard jeunesse, Collection Fétiche, 2009

Fin de lecture 17 février 2023

« La Loire, le Rhône, la Garonne. » Voici ce que répètent les élèves algériens de ce maître français, qui dirige une école sur les Hauts Plateaux, au milieu de nulle part.

Il subvient aux besoins de ces enfants et leurs familles démunies et vit seul sur cette colline aride bientôt enneigée.

« Ce pays est cruel à vivre, mais je me contente du peu que j’ai… Avec mes murs crépis, mon puits et mon ravitaillement hebdomadaire, je suis un seigneur, ici… Et puis… c’est là que je suis né… Partout ailleurs, je me sens exilé…»

La guerre est présente, sans être cependant déclarée. Lui est maître d’école, se refuse à y prendre part. Un policier va cependant lui demander de remettre un présumé meurtrier indigène à la prison de la ville la plus proche. Le maître rejette fermement cette obligation qui lui est faite, mais accepte d’accueillir l’hôte inattendu. Cet homme intègre sympathise avec le prisonnier, partage son repas avec lui et au petit matin, lui remet de la nourriture et de l’argent avant de lui indiquer une route vers laquelle il pourra s’enfuir.

Mais le prisonnier prendra une toute autre décision, sans imaginer ses graves conséquences pour le maître d’école.

L’hôte est une nouvelle écrite par Albert Camus, issue du recueil L’exil et le royaume. On y retrouve tout son amour pour l’Algérie, les drames qui s’y sont joués. Dans cet écrit, il transcende les différences qui séparent les hommes pour proposer, dans un espace-temps superbe, un instant de respect et de fraternité entre deux inconnus que tout devrait opposer.

La préface de Boualem Sansal contribue à expliciter le propos et à remettre la nouvelle dans son contexte historique.

« L’homme de la colline et son hôte font le choix de la responsabilité et du respect de soi, c’est le seul chemin qui vaille. »

Jacques Ferrandez transcrit admirablement la solitude de vie sur la colline qui permet prendre du recul sur le chaos, les silences, les hésitations et la force dans des dessins d’une grande beauté. Très peu de dialogues sont nécessaires pour traduire les émotions et la beauté des êtres, l’étendue des paysages.

J’ai lu la nouvelle dans mon adolescence, l’avais oubliée, j’ai été charmée et émue par ce roman graphique qui m’en a rappelé l’intensité.

Disco Queen

Stéphanie Janicot

234 pages

Albin Michel, 2023

Rentrée littéraire janvier 2023

Fin de lecture 21 février 2023

Conseillé par la libraire venue présenter quelques livres de la rentrée littéraire à la médiathèque, il s’agit du seul roman un peu « feel good ».

Soizik, sexagénaire proche de la retraite est hospitalisée suite à un infarctus. Elle découvre qu’une affection plus grave risque de l’emporter plus vite qu’elle ne l’aurait souhaité, et décide de rédiger une sorte de roman autobiographique, dont elle donne les chapitres à lire à ses filles au fur et à mesure.

On y mesure combien sa vie a été tracée par la lignée familiale :

« C’est un curieux début dans l’existence que de naître de parents tristes. La mort s’engouffre dans les nombreux creux de l’enfance. Si j’ai apporté de la joie, du mouvement, de l’impromptu dans ce foyer endeuillé, j’en ai hélas reçu l’inquiétude et le sens de la fatalité. »

Or, afin de sortir de son destin, et de mettre en garde ses propres filles du risque de tomber dans une certaine routine, Soizik imagine dans son roman créer au sein de sa propriété un bistrot et une discothèque consacrée à la musique disco, et d’y convoquer John Travolta !

Ses filles, soucieuses de rendre la fin de vie de leur maman un peu plus douce, vont tout mettre en œuvre pour réaliser son projet imaginaire, dans le plus grand secret. Et c’est ainsi que le village entier s’échine durant la fin de séjour à l’hôpital.

Tandis que la maman imagine, les filles construisent. Et peut-être pas simplement un lieu de rencontre, mais une certaine idée du bonheur.

« S’il lui restait une chose à réussir enfin, avant de disparaître pour de bon, c’était exactement ça : atteindre ce point de légèreté, cette bulle dans laquelle la fatigue n’existe plus, où les palpitations sont celles de la joie, non plus celles de l’angoisse, où le sourire devient l’état naturel du visage et l’esprit, un ballon d’hélium attiré vers les cimes. »

J’ai beaucoup aimé l’alternance des pages du roman de Soizik et celles de la narration des événements réels. La distinction est facilitée par une police de caractère différente. Sur le fond, Stéphanie Janicot propose une réflexion mélancolique sur les choix de vie, mais démontre également la capacité de l’amour à porter les rêves vers la réalité. Et s’il suffisait de se parler, de penser un peu différemment pour modifier la perception des personnes et des événements ?

J’ai trouvé formidable cette idée de transmission d’une mère à ses enfants. Les sujets évoqués sont ceux de notre époque, traités de façon distanciée et simple mais pas simpliste via le roman, ils prennent toute leur importance dans les faits.

Voici un très joli moment de lecture.

American Dirt

Jeanine Collins

573 pages

Éditions 10/18, 2022, Éditions Philippe Rey, 2020

Fin de lecture 8 janvier 2023

Il ne fait pas bon vivre au Mexique quand on est journaliste. Ou membre de sa famille. Et quand bien même on aurait incidemment noué des liens d’amitié avec le chef d’un cartel. Lydia va être confrontée à cette amère expérience. Libraire, elle a partagé un lien fort autour des livres avec Javier, chef des Jardineros, un gang qui terrorise Acapulco. Mais lorsque son mari Sebastián écrit un article sur le mafieux, la sentence tombe rapidement : c’est l’hécatombe dans la propriété familiale. Seuls Lydia et son fils de huit ans, Luca, en réchappent miraculeusement.

Débute alors une fuite en avant vers les États-Unis. Se méfier de tous. Ne laisser aucune trace. Sauter en marche sur le train de marchandises dénommé « La Bestia », surveiller Luca comme son ombre, faire la connaissance d’autres migrants malgré eux, autres victimes des cartels, expulsés des États-Unis ou migrants économiques. Rebecca et Soledad, deux jeunes Honduriennes, vont ainsi se lier avec Lydia et Luca, et leur montrer comment embarquer sur ce maudit train.

« En vérité, Lydia n’est absolument pas convaincue qu’ils vont vraiment passer à l’acte. Elle espère que oui, parce qu’ils doivent prendre ce train. Elle espère que non, parce qu’elle ne veut pas mourir. Elle ne veut pas que Luca meure. C’est une étrangère qui habite son propre corps, qui écoute le train approcher, qui transporte son sac à dos de l’autre côté de la route, pousse Luca devant elle. »

Depuis Acapulco dans le sud mexicain jusqu’à el norte, tout peut arriver. Des jours d’angoisse à épier les nouveaux venus, à échapper à la migra qui traque sans pitié les candidats à l’immigration clandestine.

Outre la tuerie qui débute le livre, Jeanine Cummins convie le lecteur à participer à un périple angoissant, violent, inhumain. On s’attache profondément à Lydia, au petit Luca et à leurs compagnes d’infortune. On constate avec effroi les trafics en tous genres, les droits de passage, la violence gratuite. Mais aussi, parfois, une lueur de solidarité.

J’ai mis quinze jours pour le lire, partagée : je ne pouvais pas lâcher ma lecture, mais je n’avais pas envie de m’y remettre. Tant l’écriture de Jeanine Cummins m’a prise aux tripes, m’a transportée sur le toit du train, dans la poussière, la chaleur ou le froid du désert, dans les pensées de Luca ou Lydia. Tant cette sensation d’oppression ne m’a pas quittée tout au long de ma lecture.

C’est ce que j’attends d’un livre : qu’il me bouleverse, me fasse sortir du quotidien, me pousse à la réflexion. Pari gagné pour ce formidable ouvrage, qui a obtenu le prix des libraires en 2022, amplement mérité !

PS : merci à Elisabeth de me l’avoir offert, je n’avais pas entendu parler de cet ouvrage.