VERA

Karl Geary

256 pages

Editions Payot et Rivages, 2017

En préambule, je remercie l’éditeur et lecteurs.com de m’avoir fait parvenir cet ouvrage.

Ce court roman de l’acteur Karl Geary met en scène l’histoire d’un jeune Irlandais de 16 ans, Sonny, avec les envies de son âge -séduire les filles et échapper à son quotidien affectivement difficile. Son père joue aux courses le peu qu’il gagne, sa mère essaie de faire face. Les relations avec ses frères semblent complexes. Sonny va au lycée mais ne fait aucun effort pour travailler, il aime surtout bricoler les pièces qu’il vole pour construire son propre vélo. Il a une copine sur laquelle il fantasme, Sharon, qui voudrait devenir sa petite amie. Sonny travaille le soir dans une boucherie pour gagner un peu d’argent et accompagne son père le samedi dans quelques chantiers de rénovation dans les quartiers aisés. C’est à l’occasion d’un de ces chantiers à Montpelier Parade (titre orignal du roman) qu’il rencontre Vera, la maîtresse des lieux, une bourgeoise et surtout une femme mûre.

Pour Sonny, c’est un coup de foudre charnel, qui se transforme assez vite en amour pour cette femme que plus rien ne rattache à la vie.

Une relation singulière que Sonny va s’acharner à protéger coûte que coûte, y compris lorsque ses vols sont découverts et que ses parents s’en mêlent.

Tout est quasiment gris dans ce roman : la misère sociale, la fumée de cigarette omniprésente (il faudrait compter le nombre de cigarettes fumées dans cet ouvrage!!!), la misère affective des protagonistes.

Les seules éclaircies sont dans les instants où Sonny est avec Vera et ceux, rares, où ils semblent communier, car la femme ne s’épanche pas. Et surtout quand il s’évade grâce à la lecture des livres trouvés chez elle. Il découvre avidement des grands auteurs qu’il n’ouvrirait sans doute pas en classe et visite un musée.

Je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages ni à leur histoire, dont la révélation finale me laisse perplexe quant aux intentions de Vera envers Sonny.

Peut-être est-ce également dû à l’écriture qui, employant la deuxième personne du singulier pour parler de Sonny en lieu et place du « je » ou du « il », ce que je trouve par ailleurs plutôt intéressant dans la construction littéraire, met à distance les émotions.

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LA ROUTE SAUVAGE

Willy Vlautin

320 pages

Editions Albin Michel, 2018

Portland, Oregon, de nos jours, début de l’été.

Charley Thomson a 15 ans. C’est un adolescent perpétuellement affamé (« Tu n’as pas faim Charley? J’ai toujours faim ») dont l’objectif est de s’entraîner tous les jours afin de pouvoir intégrer l’équipe de football de son nouveau lycée à la rentrée.

A la faveur de son rituel de course à pied, il découvre le « Portland Meadows », hippodrome mythique de la ville et regarde de loin les chevaux.

Mais comme il a faim, il doit trouver de l’argent pour se nourrir, car son père est généralement plus occupé par ses conquêtes féminines que par son obligation de soin envers son garçon. Charley rencontre incidemment Del, un homme lunatique, qui entraîne des chevaux de courses et lui permet de travailler pour lui. Charley va découvrir l’univers des chevaux et se prendre d’amitié pour l’un d’entre eux, Lean on Pete (titre du roman en VO). Lorsque le père de Charley est hospitalisé, le cheval devient le seul confident de l’adolescent. Mais les méthodes de Del pour gagner des courses sont plus que douteuses, et lorsque Lean on Pete montre des signes de faiblesse dans une jambe, Charley comprend que son ami risque de terminer à l’abattoir. Sur un coup de tête, et parce que c’est le seul être qui compte vraiment pour lui, Charley s’enfuit avec le cheval pour retrouver sa tante, qui habite dans le Wyoming. S’ensuit alors une longue route semée de rencontres plus ou moins douloureuses pour le garçon, certains lui venant en aide et d’autres le traitant violemment.

La quatrième de couverture évoque le passage clé du roman de Willy Vlautin qui va faire basculer l’histoire de Charley Thomson. Mais cet épisode ne prend forme qu’à la moitié de l’ouvrage.

L’auteur a lui-même indiqué qu’il avait commencé l’écriture de ce livre lorsqu’il avait compris sa naïveté face à ce qui se passait réellement sur les champs de courses. Et sa volonté de sortir de ce milieu tant aimé par lui et qu’il ne pouvait plus voir de la même façon après l’épisode du cheval qui se casse une patte durant une course.

Et c’est cette naïveté qu’on retrouve chez Charley. C’est un jeune garçon, son rêve, c’est de devenir champion de football, pas d’être jockey ou palefrenier. Au début, son travail est strictement alimentaire et c’est au fil du temps, lorsqu’il se sent très seul, qu’il finit par se lier profondément avec ce cheval. A l’encontre d’ailleurs de ce que lui disent les autres : il ne faut pas s’attacher à un cheval… Mais Charley n’a personne d’autre à aimer près de lui.

La solitude et la violence sont très présentes dans ce livre. Charley doit se débrouiller seul, voler pour se nourrir et s’habiller lorsqu’il ne trouve pas de travail. Rappelons que Charley a 15 ans.

Le livre est écrit de façon documentaire, les faits et rien que les faits relatés par Charley. Et même lorsqu’il dit qu’il pleure, c’est factuel. Il met une distance face aux malheurs qui le touchent. Cette pudeur empêcherait presque le lecteur de ressentir de la compassion pour l’enfant si n’étaient distillés par instant certains de ses souvenirs, joyeux avec sa tante, beaucoup plus violents avec son entourage proche, son père et ses compagnons. Cette pudeur est d’ailleurs une protection mentale pour Charley (et pour le lecteur ?) qui doit survivre coûte que coûte et fait preuve d’un grand courage pour y arriver. On observe d’ailleurs la honte qui le prend lorsqu’il se retrouve obligé de voler pour manger. Lui veut travailler, gagner de quoi se nourrir. Au lieu de cela, il en est bien souvent réduit à finir les plats abandonnés par les gens dans les fast-foods.

Il y a également plusieurs histoires dans ce roman : celle de Charley, bien sûr, puisque c’est lui le narrateur des événements de cet été, mais également celle d’une Amérique distanciée des problèmes sociaux et surtout celle de l’univers des courses hippiques. J’avais déjà lu plusieurs ouvrages (romans de Dick FRANCIS par exemple ou témoignages) sur ce milieu, les dopages, la triche, la folie des paris, la difficile reconversion des jockeys, et on a ici un condensé des thématiques. Et dans la façon d’écrire et les sujets abordés, je trouve un peu de Steinbeck.

L’adaptation cinématographique est sortie cette année, d’où la réédition du livre en France, je ne sais pas si j’irai le voir. Car la distance de l’écrit ne saurait probablement être traduite dans des images. Et j’ai bien peur de succomber à l’émotion face à ce jeune garçon acculé par la vie!

Un très beau livre.

Je remercie Le Club des Explorateurs de lecteurs.com et les éditions Albin Michel (collection Terres d’Amérique) pour m’avoir permis de découvrir à la fois le livre et l’auteur dans le cadre d’une lecture commune avec Zabouille.

LA PART DES FLAMMES

Gaëlle Nohant

562 pages

Editions Héloïse d’Ormesson, 2015 / Le Livre de Poche, janvier 2018

Incendie du Bazar de la Charité, 4 mai 1897. Une page très sombre de l’histoire de Paris est au cœur du roman de Gaëlle Nohant. Cette manifestation et le drame qui s’ensuit servent de prétexte à croiser des destins, notamment ceux de trois femmes, la duchesse Sophie d’Alençon, sœur de l’impératrice Sissi, la comtesse Violaine de Raezal, veuve affublée de beaux enfants peu sympathiques et une jeune fille, Constance d’Estingel, tourmentée entre amour mystique et amour charnel.

La duchesse voue sa vie aux pauvres, la comtesse voudrait se rendre utile pour oublier son mari bien-aimé, et Constance met fin à ses fiançailles. La personnalité très forte de la duchesse, son dévouement auprès des plus humbles lui amènent l’admiration véritable de ses proches, et sa haute naissance l’envie de courtisanes. Femme attentive aux autres, elle va s’adjoindre les deux autres pour tenir un stand lors du Bazar de la Charité, où se pressent les élites pour « aider » les plus pauvres, mais surtout pour être vues !

L’incendie dévastateur va bouleverser la vie des familles parisiennes, car de nombreuses femmes meurent ou sont marquées définitivement dans leur chair. Comment surmonter un tel drame ? « Comment ferait-on, comment vivrait-on dans le vide assourdissant des appartements, qui trouverait-on à chérir et à malmener ? » Le roman met également en lumière les lâches et les héros, et outre l’aspect purement historique, remarquablement relaté, l’auteur narre les destins croisés de ces femmes qui n’auraient peut-être pas dû se rencontrer.

Mais je souhaite aussi souligner la présence d’un homme fort attachant, Joseph, le fidèle cocher de la duchesse  et celle de Laszlo, aristocrate journaliste qui dénonce le voyeurisme de ses pairs et reste le fervent amoureux de Constance, malgré le rejet de celle-ci.

J’ai beaucoup aimé ce livre fort documenté. J’en avais lu un autre (Ce que Fanny veut, de Karine Lebert), dont une partie couvrait cette période, l’histoire du déroulement de l’incendie m’était donc familière, mais le sujet tout autre. Là où l’on suivait le destin d’une jeune femme prête à tout pour sortir de sa basse extraction, le roman de Gaëlle Nohant porte un regard critique sur la bourgeoisie et l’aristocratie de la fin du 19ème siècle, avec leurs faux-semblants, leur vilennie, le poids du patriarcat, la toute-puissance des sachants. Il met en scène ces trois femmes que l’adversité amène à prendre en main leur vie, faisant fi des règles de la sacro-sainte bienséance.

Un roman où se rejoignent plusieurs styles : le réalisme du drame, le romantisme avec deux jeunes gens pris de tourments, le suspens.

L’écriture est magnifique, les descriptions superbes, on est dans les flammes avec les protagonistes, on sent le poids des rumeurs et on vibre avec ces femmes en rupture avec leur monde.

On comprend donc pourquoi La Part des flammes a été élu prix du livre France Bleu/Page des Libraires 2015 et prix des Lecteurs du Livre de Poche 2016.

Un vrai régal.

LA DAME AU SARI BLEU

Katherine Scholes

2005

Editions Belfond, 426 pages

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Après avoir été enchantée par La Reine des pluies, Leopard Hall et Les fleurs sauvages des Bougainvilliers, j’ai un peu moins aimé ce livre. Peut-être parce que ce n’est pas l’histoire à laquelle je m’attendais.

Zelda vit avec son père pêcheur sur une petite île de Tasmanie. Elle sait très peu de choses sur sa mère Ellen, qui est décédée alors qu’elle avait 4 ans. A la mort soudaine de son père, elle découvre qu’en fait sa mère est bien vivante, et comme elle n’a aucune attache, elle va partir pour essayer de la retrouver et comprendre pourquoi on lui a menti.

L’histoire racontée est en fait celle d’Ellen, depuis son enfance, sa vie de danseuse célèbre qui a tout plaqué avec son mari pour échapper aux contraintes médiatiques, mais qui au contact de sa fille Zelda, va avoir peur de reproduire les mauvais traitements qu’elle a elle-même subis de la part de sa mère. Ellen a donc préféré s’enfuir plutôt que de faire du mal à son enfant. Mais elle a souhaité garder un lien avec Zelda, ce que son mari lui a dénié.

Alors, avec l’aide de deux amies, riches et anorexiques, elle décide d’aller en Inde se ressourcer et tenter de les sauver. Là elle découvre des gens affamés, et le contraste est saisissant entre celles qui se privent sciemment de manger et la population qui mendie pour quelques miettes.

Ellen va ouvrir une distribution de repas pour ces pauvres, et peu à peu, elle va devenir une sorte de sainte pour tous ces gens, la dame au sari bleu.

Les descriptions de Katherine Scholes sont toujours aussi belles : «

Les rapports mère-fille sont très largement exposés dans cet ouvrage, violents et avec des résultats catastrophiques parfois, ainsi que le contraste entre la richesse des jeunes américaines habituées à être servies et la pauvreté du monde qu’elles vont découvrir.

Des destins de femmes tourmentées par leurs origines.

CITATION :

« Alors qu’ils approchaient de la maison, des fleurs de jardin se mêlèrent à la forêt ; des bleuets, des banksias jaunes émaillaient les buissons, s’insinuaient entre les lianes. Elle aperçut d’abord le sommet du toit, pentes vert foncé derrière l’entrelacs des branches. Ensuite, elle vit un long mur couvert de glycine blanche et des fenêtres aux volets fermés. Le sentier les avait menés au bord d’un champ d’herbes folles, près d’une fontaine de marbre blanc,  asséchée et bouchée par les feuilles. La maison, devant eux, était ombragée par une longue véranda tendue d’une toile verte en mauvais état. »

«Le carton de vieilles revues de robes de mariée faisait le tour de l’île, quand l’occasion l’exigeait, accompagné d’un paquet de restes de dentelles et de rubans. Comme la layette et les vieilles poussettes, on se les repassait d’une famille à l’autre, passage de témoin dans une course de relais sans fin. »

« L’avenir lui procurait quelques angoisses. Elle n’imaginait que trop bien sa vie avec Drew : de fiancée, elle deviendrait épouse, puis jeune mère, organiserait des activités pour les enfants et donnerait un coup de main à la cantine. Tous les mois, elle attendrait son magazine préféré et compterait les jours jusqu’à l’arrivée de celui-ci, avide de cette fenêtre ouverte sur le monde, sur cette autre vie à laquelle elle n’aurait jamais accès. Mais, au moins, elle n’aurait pas de problème d’identité. Elle saurait qui elle était, où elle allait. Ce serait rassurant. »