Les quatre filles du Révérend Latimer

Colleen McCullough

660 pages

Éditions France Loisirs, 2016

J’ai lu beaucoup de livres de Colleen McCullough, « Tim » notamment m’avait beaucoup touchée dans les années 80. J’aime son talent de conteuse.

Dernier écrit par l’auteure australienne avant son décès en janvier 2014, ce roman propose d’explorer la période de la crise économique de 1929 et ses répercussions en Australie au travers de la vie de quatre jeunes femmes, deux paires de jumelles issues du révérend Latimer.

Le révérend Latimer est un homme affable, mais rigoriste, affublé d’une seconde épouse dominante qui lui mène la vie dure tout comme à leurs 4 filles.

Les deux premières jumelles Edda et Grace, nées du mariage précédent du révérend, voudraient s’émanciper, tandis que les autres jumelles Heather « Tufts » et Kitty souhaiteraient échapper à l’emprise de leur mère.

En 1925, le révérend propose de créer pour ses filles l’apprentissage du métier d’infirmière dans l’hôpital de leur ville dont il est un des administrateurs. Les 4 jeunes filles y seront confrontées aux disparités sociales, en butte à la jalousie de leurs consœurs et aux contraintes mises en place par un directeur radin. Leurs aspirations sont pourtant très différentes : Edda voudrait devenir médecin, chose inconcevable à l’époque, Grace n’aime pas les études et leur préfère les trains, Heather est méthodique et pragmatique tandis que Kitty, la préférée de leur mère au regard de sa beauté, ne rêve que d’avoir une famille nombreuse.

Les rencontres qu’elles feront, que ce soit dans leur vie privée ou professionnelle, leur permettront d’affiner leurs envies et et d’atteindre leurs objectifs quelquefois de manière très inattendue.

Des caractères bien trempés, des amours heureuses ou moins, la gémellité mais aussi le féminisme naissant dans une époque troublée et la conquête du pouvoir politique sur fond de crise économique, autant de thèmes abordés dans ce livre qui est bien plus que la simple narration de la vie et des relations des jumelles.

La description des personnages dits « secondaires » mais qui ont un fort impact sur les jumelles est très intéressante : la marâtre et son désir de paraître et de dominer autrui, notamment son entourage proche, en devient ridicule. Mais la personnalité des hommes est également fort bien décrite, celle de Charles « Charlie » Burdum mérite le détour : difficile à cerner, tour à tour ange (très généreux et altruiste) et démon (possessif et violent), son physique même dénote ses traits de caractère. Son ambition politique sert également de prétexte à explorer le système politique en vigueur dans les années 30 en Australie.

Et tout ce petit monde évolue dans une communauté réduite où tout se sait, tout prête à commérages : doit-on en faire fi ou se conformer à la bienséance ?

Un livre très complet donc, avec des rebondissements et l’évolution des 4 jeunes femmes sur presque une décennie, un moment de lecture très plaisant.

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LA PART DES FLAMMES

Gaëlle Nohant

562 pages

Editions Héloïse d’Ormesson, 2015 / Le Livre de Poche, janvier 2018

Incendie du Bazar de la Charité, 4 mai 1897. Une page très sombre de l’histoire de Paris est au cœur du roman de Gaëlle Nohant. Cette manifestation et le drame qui s’ensuit servent de prétexte à croiser des destins, notamment ceux de trois femmes, la duchesse Sophie d’Alençon, sœur de l’impératrice Sissi, la comtesse Violaine de Raezal, veuve affublée de beaux enfants peu sympathiques et une jeune fille, Constance d’Estingel, tourmentée entre amour mystique et amour charnel.

La duchesse voue sa vie aux pauvres, la comtesse voudrait se rendre utile pour oublier son mari bien-aimé, et Constance met fin à ses fiançailles. La personnalité très forte de la duchesse, son dévouement auprès des plus humbles lui amènent l’admiration véritable de ses proches, et sa haute naissance l’envie de courtisanes. Femme attentive aux autres, elle va s’adjoindre les deux autres pour tenir un stand lors du Bazar de la Charité, où se pressent les élites pour « aider » les plus pauvres, mais surtout pour être vues !

L’incendie dévastateur va bouleverser la vie des familles parisiennes, car de nombreuses femmes meurent ou sont marquées définitivement dans leur chair. Comment surmonter un tel drame ? « Comment ferait-on, comment vivrait-on dans le vide assourdissant des appartements, qui trouverait-on à chérir et à malmener ? » Le roman met également en lumière les lâches et les héros, et outre l’aspect purement historique, remarquablement relaté, l’auteur narre les destins croisés de ces femmes qui n’auraient peut-être pas dû se rencontrer.

Mais je souhaite aussi souligner la présence d’un homme fort attachant, Joseph, le fidèle cocher de la duchesse  et celle de Laszlo, aristocrate journaliste qui dénonce le voyeurisme de ses pairs et reste le fervent amoureux de Constance, malgré le rejet de celle-ci.

J’ai beaucoup aimé ce livre fort documenté. J’en avais lu un autre (Ce que Fanny veut, de Karine Lebert), dont une partie couvrait cette période, l’histoire du déroulement de l’incendie m’était donc familière, mais le sujet tout autre. Là où l’on suivait le destin d’une jeune femme prête à tout pour sortir de sa basse extraction, le roman de Gaëlle Nohant porte un regard critique sur la bourgeoisie et l’aristocratie de la fin du 19ème siècle, avec leurs faux-semblants, leur vilennie, le poids du patriarcat, la toute-puissance des sachants. Il met en scène ces trois femmes que l’adversité amène à prendre en main leur vie, faisant fi des règles de la sacro-sainte bienséance.

Un roman où se rejoignent plusieurs styles : le réalisme du drame, le romantisme avec deux jeunes gens pris de tourments, le suspens.

L’écriture est magnifique, les descriptions superbes, on est dans les flammes avec les protagonistes, on sent le poids des rumeurs et on vibre avec ces femmes en rupture avec leur monde.

On comprend donc pourquoi La Part des flammes a été élu prix du livre France Bleu/Page des Libraires 2015 et prix des Lecteurs du Livre de Poche 2016.

Un vrai régal.

NOS RICHESSES

Kaouther Adimi

2017

Editions Seuil, 216 pages

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Dans ce court ouvrage, estampillé « roman », Kaouther Adimi nous conte en fait la vie de libraire et d’éditeur d’Edmond Charlot, personnage qui a marqué le monde de l’édition dès 1935, puisqu’il est le premier à avoir inséré une jaquette avec le résumé du livre et la biographie de l’auteur, en 1949. On suit ses envies et ses désillusions au fil d’une narration à la manière d’un journal intime. On assiste à Alger à l’ouverture de la bibliothèque-librairie «Les vraies richesses », où l’on croise les auteurs connus (Camus, Gide, …) et ceux qui le deviendront au fil du temps.

Mais ce livre est également un prétexte pour évoquer les liens qui vont se distendre entre la France et l’Algérie, où Charlot va jouer un rôle, puisqu’il publiera des manifestes pour l’indépendance.

On y voit aussi les amis du début, ceux avec qui il aura été associé, se mettre en travers d’Edmond Charlot, jusqu’à la dissolution de ses sociétés, et finalement la fermeture de la librairie. Et la partie romancée commence ici : un jeune homme est chargé de vider la librairie et de rendre les locaux propres à un autre commerce. Mais c’est sans compter la mobilisation des gens du quartier, et du vieil Abdallah, le dernier gérant de la librairie.

Une découverte de la vie de l’éditeur, des risques financiers qu’il a pris pour défendre les auteurs et les ouvrages, l’histoire d’un homme dans l’Histoire de l’Algérie et des livres. Un plaidoyer parfois très drôle ( « Est-ce que les cachous ont une date de péremption ou sont-ils comme les livres, impérissables ? ») pour conserver les livres, évidemment !

Mais toujours une difficulté pour moi quand je n’arrive pas à démêler le vrai de l’écriture d’invention… J’ai donc intercalé d’autres lectures pour arriver jusqu’au bout.

CITATIONS

« J’ai confié aux copains : « Je n’ai jamais dissocié la librairie et les éditions. Jamais. Pour moi, c’est la même chose. Je n’arrive pas à croire qu’on puisse être éditeur si on n’a pas été ou si on n’est pas libraire à la fois. » Autant vendre des cachous. »

Pour écrire :

« Achetez une table, la plus ordinaire possible, avec un tiroir et une serrure.

Fermez le tiroir et jetez la clé.

Chaque jour, écrivez ce que vous voulez, remplissez trois feuilles de papier.

Glissez-les par la fente du tiroir. Evidemment sans les relire. A la fin de l’année, vous aurez à peu près 900 pages manuscrites. A vous de jouer. »

LE LISEUR

Bernhard Schlink

1996, Editions Gallimard, 242 pages

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Avertissement : J’avais déjà entendu parler de ce livre et du film The Reader qu’on en a tiré. Merci Eli Zabeth de me l’avoir conseillé…

Je n’en connaissais absolument pas le sujet, et il est difficile d’en parler sans en déflorer une partie essentielle… je prends donc le parti ici de n’évoquer que ce qui pourra encourager un éventuel lecteur à ouvrir le livre… pour ne plus le lâcher…

Quand Michaël rencontre Hanna, il a 15 ans, elle en a 35. Ils deviennent amants. Michaël est très attaché à la jeune femme malgré une certaine incompréhension face aux réactions qu’elle a quelquefois. Une caractéristique importante de leur relation est que Hannah souhaite que Michaël lui fasse la lecture à haute voix chaque jour : « Lecture, douche, faire l’amour et rester encore un moment étendus ensemble, tel était le rituel de nos rendez-vous. »

 Leur histoire dure finalement très peu de temps, moins d’une année, car Hannah le quitte brusquement et Michael en est effondré. Sans jamais l’oublier, il poursuit ses études de droit, et sept ans plus tard, à la faveur d’un séminaire, il assiste à un procès au cours duquel Hanna est dans le box des accusés.

Durant plusieurs semaines, Michael écoute et observe les femmes accusées dont Hanna, qui manifestement ne se défend pas bien. Michael ne comprend pas pourquoi Hanna ne réagit pas, et à force de réflexion, il finit par découvrir son secret. Il se demande alors s’il doit ou non intervenir, car cela pourrait changer le cours des choses pour Hanna : « J’avais été spectateur, et j’étais soudain devenu partie prenante, dans le jeu et la décision. Je n’avais ni cherché ni choisi ce nouveau rôle, mais je l’avais – que je le veuille ou non, que je fasse quelque chose ou que je reste passif. » Les autres accusées rejettent toute faute sur Hanna, qui finit par être condamnée à la détention à perpétuité.

Au regard des crimes commis, Michael ne souhaite pas avoir de contact avec Hanna pendant son séjour en prison et sa vie à lui se poursuit jusqu’au moment où il décide après l’avoir revue une fois, bien des années plus tard, d’écrire leur histoire, finalement l’histoire de toute une génération.

Le liseur est un livre à part.

 Dans trois parties bien distinctes, Bernard Shlink évoque tout d’abord une histoire d’amour singulière, très sensuelle, la naissance du désir et son obsession chez le jeune homme, puis le procès avec la découverte de la personnalité, des actes  d’Hanna et les interrogations de Michaël, son voyage sur les lieux du « crime d’Hanna », et enfin l’après procès avec les leçons que le jeune homme essaye de tirer de cette aventure. Les descriptions sont fabuleuses dans cet ouvrage, que ce soient les représentations presque oniriques  d’Hanna par Michaël alors jeune homme romantique, ou la noirceur du reste dès qu’on n’est plus dans le souvenir :

  • visuelles : «Je lui offris la chemise de nuit en soie. Elle était de couleur aubergine, avec des bretelles minces, dégageant les épaules et les bras, et elle descendait aux chevilles. Le tissu était brillant et chatoyant. Hanna fut contente, souriante, rayonnante. Elle se pencha pour voir, tourna, sur elle-même, dansa quelque pas, se regarda dans la glace, observa brièvement son reflet et se remit à danser. C’est aussi une image qui me resta d’Hanna. »
  • olfactives : « J’avais tant aimé son odeur, jadis. Une odeur toujours fraîche : de linge frais ou de sueur fraîche, une odeur de femme fraîchement lavée  ou fraîchement aimée (…) Souvent j’ai flairé sa peau comme un animal curieux, (…). »
  • sensitives : « je n’avais pas froid, et le hurlement du vent, le grincement d’un arbre devant ma fenêtre et le claquement épisodique d’un volet n’étaient pas violents au point de m’empêcher de dormir. Mais c’est intérieurement que j’étais de plus en plus agité, jusqu’à me mettre à trembler de tout mon corps. J’étais angoissé, mais non comme on s’attend à un évènement fâcheux, c’était un état physique. »

De nombreux thèmes sont abordés dans cet ouvrage : entre autres, le passage initiatique d’un tout jeune homme vers l’adulte qu’il deviendra, la recherche de ce qui fait l’autre, ce qu’on ne connaît pas de lui. Et comment cette nouvelle conscience de l’autre, de ses actes, peut également modifier la perception de la relation que peuvent avoir eu deux êtres. Michael restera marqué à jamais par cette femme qui lui a donné son corps mais ne s’est finalement pas confiée à lui. Il ne pourra pas s’empêcher (comment lui en vouloir d’ailleurs ?) de se repasser les moments intenses qu’ils ont vécus au filtre des actes ignobles commis par Hanna.

Et ainsi est particulièrement bien décrite dans ce livre, la difficulté de prendre la bonne décision quand on détient une information qui peut changer le cours d’une vie : à l’aune de quelles valeurs peut-on juger ce que fait autrui ? ne pas se défendre alors qu’on en a la possibilité est-il légitime ? n’est-ce pas une autre façon de reconnaître et de vouloir expier ses fautes ?

Et cette sublime phrase que je retiens : «Fuir n’est pas seulement partir, c’est aussi arriver quelque part. »

Un livre bouleversant.