De Jean-Louis Fournier, je possédais quelques livres et en avais lus d’autres.
Ses petites histoires parlent directement au cœur des âmes sensibles.
Dans ce livre, il rapporte les histoires qu’il a – prétendument – racontées à sa psychanalyste pour la faire rire.
Il y commente aussi les réactions de la praticienne et ses propres réflexions sur elle, le transfert aidant.
Bien sûr, il y a des drames et les histoires sont majoritairement tristes (plusieurs relatives au suicide), voire terribles pour certaines. Ni la psy ni lui-même ne sont dupes : le narrateur y raconte ce qu’il ressent. Ainsi, certaines histoires font référence à d’autres facettes de l’auteur-réalisateur (Allô, c’est la Noiraude – L’oiseau vertigineux).
Sur deux ou trois pages en général, il dépeint un personnage, une situation, qui fait sourire ou pleurer. Il joue avec les mots – Lettre envoyée le 5 août en est un bel exemple -, avec les émotions, avec l’absurde (Interdit de mourir, Peur de déranger), de façon parfois crue mais surtout poétique (L’inconsolable, La villa malade)… parce que c’est bien souvent Le rire qui sauve.
J’ai eu plaisir à lire ce recueil d’une cinquantaine d’historiettes qui correspondent aux consultations tenues durant une année. J’y ai retrouvé ce que j’aime chez cet auteur, son impertinence, son écriture précise et son vocabulaire, l’art de dessiner les êtres avec des mots.
Ayant découvert Benoît Philippon grâce à l’excellent Mamie Luger en 2020, puis acheté Joueuse en 2021, j’ai réitéré cette année avec le premier livre de l’auteur, dont j’apprécie les personnages hauts-en-couleur.
Cabossé a reçu le Prix Transfuge du meilleur espoir policier en 2016 et concourt en 2022 pour le Prix des lecteurs du Livre de Poche.
Roy est le produit d’un mauvais karma : sa drôle de tête amochée d’abord, qui donne envie de fuir au quidam, sa famille, ensuite, pas vraiment aimante, et les événements et rencontres qui le font grandir… plutôt en mal. Du ring de boxe et matchs arrangés aux contrats avec des malfrats, Roy ne regarde pas trop qui est le donneur d’ordres… sauf lorsque son cerveau, même peu développé selon lui, le met en alerte et lui prouve l’inanité de sa vie.
Et Roy, au hasard d’un site de rencontres, tombe sur la frêle et lumineuse Guillemette. L’Amour avec un grand A, celui qui ensorcelle et empoisonne bien souvent, les entoure et les lie à tout jamais.
Roy a la carure d’un géant. Cabossé par la nature et par la vie. Mais son cœur est rempli d’une grâce et d’une délicatesse qui fait envie. Le pendant d’une énorme violence qu’il ne parvient pas toujours à canaliser. Car la Bête, lorsqu’elle se réveille, c’est pour protéger ceux qu’il aime, ceux qui l’aiment aussi. Et ses poings parlent bien plus que lui… l’ex de madame en fait les frais !
Nourri aux films américains, Roy embarque alors sa nouvelle petite amie dans une cavale à la Bonnie and Clyde à travers l’Auvergne particulièrement, où il a fait ses classes.
L’occasion pour les tourtereaux de s’ouvrir sur leurs déboires respectifs. Ceux de Roy forment un bunker que seule Guillemette semble capable de forcer. Et bien sûr, à l’image du couple maudit, ils sèment la terreur sur leur passage, malgré eux. Faut juste pas trop les chercher…
« L’agressivité, avec Roy, c’est comme la nitroglycérine, si tu la manies pas avec délicatesse, elle peut te péter à la gueule. »
Quel talent ! Je me délecte toujours autant de l’écriture enlevée de Benoît Philippon, aussi bien quand il décrit les situations que lorsqu’il fait parler ses personnages, souvent des paumés affectés par une vie compliquée. Un petit héritage d’Audiard dans la tournure des phrases dont l’humour décapant m’a encore bien fait glousser dans le train…
Et si certains passages sont parfois scabreux ou violents – Roy ne fait pas dans la dentelle -, on pardonne à ses personnages auxquels on s’attache facilement tant leur vie est par ailleurs très émouvante. C’est ce que relate le récit des lieux et rencontres qui ont façonné Roy, qui lui ont appris à respecter et protéger les êtres qu’il chérit, qui lui ont donné cette culture inattendue qui s’expose au détour d’une page, surplombant les immondices qui jalonnent sa route.
J’ai encore une fois beaucoup aimé, à la fois l’histoire et le style.
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[Spoiler
Petit plus surprenant et pétillant, dans ce premier livre de l’auteur, les deux fugitifs débarquent chez une certaine grand-mère prénommée Berthe, dotée d’un vieux Luger… qui leur fait la leçon :
« Quand t’as vécu la guerre, tu sais que t’a plus le droit de te laisser abattre. (…) Quand t’en sors, tu vis. Parce que tu peux. Pas parce que tu veux. »
Grand-mère qu’on retrouve bien évidemment dans le deuxième opus de Benoît Philippon !]
Attendre une dédicace durant un salon du livre permet de réaliser d’autres rencontres avec des auteurs qui m’étaient inconnus, sinon de réputation, du moins de lecture.
J’ai donc eu le plaisir de lire ce roman déjanté, dans lequel Colin Thibert met en scène des antihéros décidés à mettre un peu de beurre dans les épinards de la pire des façons.
Deux amis, Jean-Jacques, vieux beau – mais surtout fainéant – sur le retour, et Antoine, écolo-idiot, font leur l’idée d’un troisième comparse dénommé Canard, d’enlever le frère jumeau d’un milliardaire, inconnu du grand public – le jumeau, pas le milliardaire, vous me suivez ?-, afin de dévaliser le compte suisse du magnat…
Mauvaise idée… car le jumeau est atteint de démence, et va plutôt compliquer les activités de ses ravisseurs, malgré leur haute opinion d’eux-mêmes.
« Une fois Antoine parti, Jean-Jacques se tourna vers Canard.
⁃ Il est vraiment lourd, des fois.
⁃ C’est pas sa faute, il est né comme ça.
⁃ Je parlais d’Antoine.
⁃ C’est vrai qu’il est con, aussi, Antoine.
Ils rirent de connivence, heureux de se sentir supérieurs. »
Voici donc bientôt nos looseurs, aux moyens et à l’intelligence limités, poursuivis par un détective privé, un agent très secret, né Rostopchine, et la gendarmerie jusqu’en Suisse. De mauvais choix entraînent bien souvent de mauvaises conséquences… mais pas pour tout le monde ! Car d’autres assoiffés cherchent bientôt à empocher le magot.
C’est drôle, rythmé, totalement amoral, les personnages principaux sont désopilants, et les autres, pas mieux. Riches ou pauvres, ils aspirent tous à accroître impunément leur grosse ou petite fortune. J’ai lu ce livre en partie dans les transports en commun, ce qui a amené mon vis-à-vis à lever les yeux à mes gloussements ! Je me disais « oh mais non, pas ça tout de même ! Ah mais si ! »… Les situations sont improbables, les dialogues savoureux, j’ai passé un excellent moment avec ce livre dont j’ai réalisé la parfaite adéquation du sous-titrage en rédigeant cette chronique : « Le bon, la brute et l’abruti »…
Conseillé par une bibliothécaire de la médiathèque que je fréquente, voici un court roman fort sympathique.
« Clac » la porte qui se ferme, clé à l’intérieur. Et le narrateur de constater qu’il est sorti sans ses chaussures, mais en pantoufles. Pas de double – son épouse est partie avec, et sa femme de ménage ne reviendra pas avant la semaine suivante.
L’instant de dépit passé, notre « pantouflard » se résout donc à poursuivre sa journée en chaussons. Et c’est tout un monde qui s’offre alors à lui.
On le regarde, ou plutôt on avise gaiement ses pieds. Lui se trouve finalement fort aise d’arpenter trottoirs, couloirs du métro et salle de réunion en charentaises.
Ce petit tour du sort, cet accroc à la routine quotidienne va faire émerger de sa déprime l’homme, l’amoureux et l’employé. Il va trouver en lui des ressources insoupçonnées : tenir tête à ses collègues et à son partenaire de tennis, trouver de nouveaux amis et déterminer son avenir.
Il a les moyens, notre homme, il pourrait acheter une paire de chaussures. Mais les premiers instants flottants ont laissé place à une nouvelle assurance, et malgré lui, il est devenu « (…) un individu qui ne craint pas d’affirmer son originalité, en dépit du regard des autres. »
Ne pas se conformer, modifier pour quelques temps sa façon d’être ou de penser pourrait donc être très positif… et pourquoi pas contagieux ?
Cet ouvrage plein de charme se lit le sourire aux lèvres : clin d’œil à des chansons que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, usage abusif du subjonctif conjugué à tous les temps, jeux-de-mots et solides bases littéraires en font un tout à la fois amusant et un brin subversif…
Et si demain, on changeait une petite chose à nos habitudes, juste pour voir ?