ADIEU

Jacques Expert

2011

Sonatine Editions, 330 pages

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L’Adieu, c’est celui du commissaire Langelier à ses années de « bons et loyaux services » dans la police et la préfectorale. Au cours de son pot de départ, Langelier va revenir sur l’affaire qui lui a valu d’être rejeté par l’administration et ses collègues.

2001, deux familles très ordinaires font l’objet d’un sort terrible. Dns l’intervalle d’un mois, le même processus se répète : la femme est égorgée, les enfants étouffés avec leur oreiller, et le mari a disparu. Dès le début, Langelier soupçonne que le coupable est un des maris. Il se heurte à son ami et supérieur le commissaire Ferracci, qui penche plutôt, comme la presse, vers un tueur en série. Langelier s’obstine et concentre toute son attention sur cette enquête, délaissant sa vie de famille, au point que sa femme Stéphanie demande à Ferracci de lui retirer l’affaire afin que son mari puisse revenir vers elle. Las, c’est le contraire qui arrive. L’affaire lui est retirée, Langelier est muté peu après mais va continuer à enquêter de son côté, si bien que sa famille finit par le quitter, à son grand soulagement : il va enfin « pouvoir [se] consacrer encore plus à [son] enquête » car « Même abandonné de tous, il poursuivra sa mission. »

C’est Langelier qui raconte « l’affaire de sa vie » à ses collègues réunis à son pot d’adieu. Il les tient en haleine («(…) je sens que mes auditeurs ont hâte que j’en finisse »), et le lecteur par la même occasion, s’efforçant à montrer combien les lacunes de l’enquête ont été préjudiciables à la poursuite du tueur. On suit la progression de Langelier, les doutes qu’il a tour à tour sur la culpabilité de l’un ou l’autre des pères. On est happé par sa détermination à poursuivre coûte que coûte cette quête de la vérité. On subit avec lui les pressions  de celui qu’il considère comme son ancien ami, Ferracci, car il lui met des bâtons dans les roues : « A défaut d’obtenir de moi des informations, Ferracci m’a fait surveiller », « Dès que j’ai poussé la porte de mon appartement, j’ai tout de suite compris que j’avais eu de la visite (…) J’ai mis longtemps à me calmer, tellement, bien plus que les souvenirs anciens, la haine m’a submergé. Je me suis senti seul. Ils avaient violé mon secret. » On se prend à espérer que Langelier, qui a tapissé son appartement de notes et photos relatives à l’affaire,  qui a mis toute son énergie à la résoudre, qui a passé dix ans de sa vie à lutter contre l’avis de son ancien ami, va enfin apporter la solution.

Et jusqu’au bout, on cherche avec lui qui était vraiment ce tueur. Vingt pages avant la fin, je ne savais toujours pas de qui il s’agissait…

J’avais un doute sur le dénouement, mais la façon dont s’y prend Jacques Expert pour nous embarquer dans la quête du commissaire Langelier est magistrale. Un excellent roman policier que je recommande vivement, du point de vue du suspense, un de meilleurs que j’ai pu lire ces derniers temps.

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UN VENT DE CENDRES

Sandrine Collette

2014

Editions Denoël, 255 pages

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Première lecture d’un roman de Sandrine Collette… et pas déçue du tout !

Octave, Andreas et Laure ont subi un terrible accident de voiture voilà 10 ans. Laure en est morte.

A présent, Octave accueille chaque été des vendangeurs, dont cette année, Malo et sa sœur Camille.

Mais Malo trouve étrange la fascination d’Octave pour Camille, même si celle-ci est partagée entre « attirance et répulsion » en raison de la balafre d’Octave. Jusqu’à ce que Malo disparaisse après une dispute.

Des battues sont organisées pour retrouver Malo… sans succès. Une ambiance malsaine s’installe, Camille se sent épiée par Octave. Tous pensent que Malo est parti. Seule, Camille s’obstine. Jusqu’à découvrir le secret du maître des lieux.

Un roman dérangeant, horrifiant. Des descriptions du paysage alentour parfois pleines de douceur versus une histoire abominable. Tout est juste, les mots servent pleinement la tension instillée par l’auteure. L’impression d’être là, dans la tour, dans la vigne, dans le pressoir, tous les sens en alerte. Un suspense haletant, une fin incroyable.

Et une envie de découvrir d’autres livres de cette auteure, s’ils sont de même facture.

CITATIONS

« Quelque part un très léger sifflement émerge. Malo se redresse avec peine, tend l’oreille. Un oiseau de nuit. Des craquements, des bruissements. Il n’aurait pas dû s’arrêter, à présent il guette ces bruits autour de lui. Imagine n’importe quoi. La forêt regorge de sons qu’il ne connaît pas, étranges et hostiles. Un sifflement ? il secoue la tête, incrédule, vaguement inquiet cependant. Et puis quoi, peut-être ce début de migraine qui lui tape le front. Non ce n’était pas un oiseau. Ça ne lui ressemblait pas – pour ce qu’il en sait. Une illusion alors. Un jeu de son cerveau embrumé. Voilà, oui. Oublie.

Sauf que cela recommence. »

« De nuit en nuit les visites continuent. S’accélèrent. Le visage indéfinissable dans le dortoir sans lumière, la respiration silencieuse mais hachée.

Elle se prend la tête dans les mains, essayant d’atténuer le frisson de peur. Pourquoi il la surveille, qu’est-ce qu’il lui veut ? Elle comprend qu’ils sont l’un et l’autre bien au-delà d’une possible histoire qui se cherche. Bien plus profond. Et bien plus grave. »

« Ils discutent un moment de la journée, lapant leur verre à petites gorgées. Camille essaye d’écouter, l’attention flottante, distraite par le regard d’Octave. Ce regard avide et dérangeant qu’elle cherche en même temps qu’il l’intimide, et qui la coince là entre le mur et Lubin, et qui la dévore. Il faut que George et Lubin soient méchamment absorbés par leur conversation pour ne s’apercevoir de rien, et parce qu’ils s’en moquent aussi, seul le raisin compte, le raisin à coups de quatre tonnes déversées dans la maie, le jus de la cuvée et le jus de la taille, le taux de sucre cette année. Non, ils ne voient rien de ce qui se joue à un mètre d’eux, ne sentent rien de la tension pourtant palpable, électrique, qui s’est établie entre Camille et Octave, parce que c’est impossible aussi, elle est si jolie, ça ne les effleure même pas. Et quand ils repartent vers le pressoir ils les oublient tout simplement. Pas même un mot pour dire : On y retourne, faut surveiller. Pas un regard envers ces deux êtres qui n’existent plus pour eux et qui restent seuls face à face, silencieux et figés. »

FAMILLE PARFAITE

Lisa Gardner

2015

Albin Michel, 509 pages

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Une famille de Boston, Justin le père, Libby la mère, Aschlyn la fille de 15 ans, a disparu vendredi soir à son domicile, sans effraction, sans témoin. L’enquêtrice privée Tessa Leoni, personnage récurrent des livres de Lisa Gardner, est dépêchée par l’entreprise en bâtiment dont Justin est le patron pour travailler auprès  de la police locale et du FBI.

Et les enquêteurs apprennent vite que tout n’était pas si rose dans la petite apparence parfaite de la famille Denbe : Justin trompait sa femme, celle-ci noyait son chagrin dans les médicaments, et tous les deux avaient perdu le lien avec leur fille. Mais pourquoi les enlever ? Vengeance personnelle ? professionnelle ? L’entourage de Justin est en effet issu de milieux plutôt louches.

Jusqu’à ce que les ravisseurs fassent leur demande de rançon.

Le roman est construit, comme bien souvent chez Lisa Gardner, par l’alternance de chapitres à la première personne, la narratrice étant ici Libby, et du récit de la progression de l’enquête de police.

C’est d’autant plus intéressant qu’on sait grâce à Libby où sont maintenus les membres de la famille, la manière dont ils sont traités par leurs ravisseurs, mais quasiment jusqu’à la fin du livre, on n’a aucune information sur la raison de ce rapt. C’est très violent, rapide, les actions se déroulant principalement sur 4 jours. On assiste à la désagrégation de ce qui restait de la famille, et puis au sursaut de vie, car ils veulent s’en sortir, notamment pour leur fille.

Même si j’avais deviné une partie de la fin, il y a un très bon suspense et beaucoup d’humour dans ce livre (notamment lorsque Tessa interroge le coiffeur de Libby : « Ce qui lui a valu d’être présentée à James Farias, un des plus beaux spécimens de mâle qu’elle ait jamais rencontrés. Balayage blond, mâchoire carrée, barbe naissante taillée avec art, regarde bleu perçant, le tout avec des épaules et des bras sculptés comme on en voit rarement ailleurs qu’à Hollywood. Malheureusement pour elle, elle a comme l’impression que la nature ne lui a pas donné l’équipement nécessaire pour attirer l’attention de James. Encore une raison pour laquelle Sophie restera fille unique. »), ce qui permet de relâcher un peu la tension.

Lu très vite… car j’avais hâte d’arriver au dénouement, et je n’ai pas été déçue.

Citations : « quelques cas d’homicide involontaire commis au volant d’une voiture, notamment celui d’une femme de 80 ans qui jurait avoir roulé sur son mari de 85 ans par accident. Trois fois. On avait découvert qu’il approuvait avec la voisine de 70 ans. Une dévergondée, avait déclaré l’épouse, sauf qu’on avait plutôt entendu défergondée, parce que avant de rouler « accidentellement » sur son mari à trois reprises, elle n’avait pas pris la peine de chausser son dentier »

« Une bonne coupe de cheveux, ce n’est pas important pour les cheveux, chérie, mais pour la femme qui est en dessous. Si vous la négligez aujourd’hui, demain vous ne pouvez pas reprocher aux autres d’en faire autant. »

« Bien sûr, des inconnus peuvent faire du mal. Mais les gens que vous aimez font ça tellement mieux… »

DEUX GOUTTES D’EAU

Jacques Expert

2015

Sonatine Editions, 330 pages

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Une jeune femme, Elodie, est retrouvée morte à coup de hache chez elle. Son petit ami Antoine, vu avec l’arme sur une vidéo surveillance à la sortie de l’appartement d’Elodie, est appréhendé. Mais Antoine nie les faits et accuse son frère jumeau Franck. Les deux frères, qui se renvoient la culpabilité du crime, sont des vrais jumeaux… Comment identifier le tueur ?

Le commissaire divisionnaire Robert Laforge, au tempérament violent, et aux méthodes particulières, n’a jamais connu de défaite, mais cette enquête pourrait bien lui échapper. « Laforge est ainsi : il a la rancune tenace et il bénéficie du soutien total de sa hiérarchie. En haut, on ne refuse rien au divisionnaire Robert Laforge. Parce qu’il obtient des résultats (à l’en croire, les meilleurs de la PJ) mais aussi parce qu’il a su se faire craindre de ses supérieurs eux-mêmes. Pourtant, Laforge sait que ses ennemis, et dans la police il en a désormais un paquet, attendent qu’il se plante. »

La construction du roman consiste en l’alternance de chapitres dévoilant la vie des jumeaux et ceux relatifs à l’enquête, à la confrontation de chacun des suspects aux preuves relevées.

330 pages où l’on cherche, on furète dans le passé à la recherche d’indices sur la personnalité des jumeaux, seule façon d’arriver à les départager.

On apprend que leur enfance et leur adolescence n’ont pas été de tout repos. Il semble qu’un d’entre eux ait déjà eu des comportements « limites », l’agression d’un de leur camarade par exemple. Pour autant, on n’arrive jamais à savoir lequel des deux a agit, et lorsqu’elle convoque les parents après l’agression d’un élève,  « Ce que la directrice ne leur dit pas, c’est qu’elle a trouvé les jumeaux étrangement calmes, nullement troublés, ne se sentant absolument pas fautifs. Antoine et Franck l’avaient inquiétée par leur indifférence, comme s’ils n’avaient rien à voir avec tout ça et ne se souciaient aucunement de leur camarade. »

Les parents consultent nombre de spécialistes « Le professeur avait finalement émis l’hypothèse que l’un des deux avait sur son frère un ascendant qui lui permettait de remporter toujours son adhésion. « Je ne pense pas me tromper, avait-il expliqué à Sophie et Philippe, en disant qu’ils forment un couple atypique, avec un dominant et un dominé. Mais il est impossible aujourd’hui de déterminer lequel, de Franck ou Antoine, domine l’autre. »

Même le médecin gynécologue, Catherine DAOUT, qui a effectué la fécondation sur la mère des jumeaux est appelée par les parents lors de leur adolescence : «  Le plus terrible était qu’elle avait l’impression de ne plus jamais savoir lequel des jumeaux se trouvait en face d’elle. Leur ressemblance était toujours aussi absolue après toutes ces années. Elle glissa vers la certitude que l’un des deux frères était un être pervers et dangereux qui se servait de son double jumeau pour se protéger. Elle oscillait de l’un à l’autre, se posait mille questions, tendait des pièges pour les prendre en défaut, sans parvenir à trancher. »

Catherine Daout est également intégrée à l’enquête, et permet d’apporter des informations capitales qui finissent par forger l’intime conviction du commissaire divisionnaire  Laforge. Mais un coup de théâtre vient tout bouleverser…

J’ai beaucoup aimé les descriptions des comportements de chacun de protagonistes de cette histoire : les jumeaux bien sûr, mais également les policiers, décrits avec leurs forces mais plus précisément leurs faiblesses, les rapports entretenus au sein de l’équipe d’enquête, notamment la relation entre le commissaire Laforge et son adjoint le commissaire Brunet, faite de respect mais jamais familière. Une enquête qui détruira des hommes. C’est très bien construit, jusqu’à la fin que j’avais un peu devinée, mais qui reste dans la droite ligne de ce qui précède. Un bon polar… limite un thriller psychologique, qui se lit très vite, et qui ne donne pas du tout envie d’avoir des enfants… !