Hubert au miroir

Dominique Richard

90 pages, avec 4 pages de postface de l’auteur

Éditions Théâtrales jeunesse, 2008

Troisième tome de la série de Dominique Richard consacrée aux âges transitoires (après Grosse Patate et Les Saisons de Rosemarie), Hubert au miroir expose la vie de ce pré-adolescent qui aimait tant se regarder dans le miroir, adulé par les filles pour sa beauté, mais qui ne s’y reconnaît plus.

« Hubert – Je m’aime bien et je m’insupporte, je m’observe et je ne me reconnais plus, je me cherche et je ne rencontre que du vide. »

Dégingandé, à l’étroit dans un corps en mutation qu’il semble ne plus pouvoir contrôler, affecté par des boutons et des poils qu’il voudrait voir disparaître, Hubert ne se sent pas non plus à sa place dans sa famille et dans sa vie : sautes d’humeur, reproches à son père et à son frère, tristesse de la perte de sa maman trop tôt partie cohabitent. Ils sont décortiqués durant son sommeil grâce au personnage fictionnel du professeur qui vient le visiter et lui propose des énigmes linguistiques amusantes à résoudre.

On entrevoit également dans cet ouvrage ce qui sera dévoilé dans le dernier tome (Les cahiers de Rémi), la sexualité naissante, la difficulté à avouer ses sentiments.

L’écriture est habile et l’interprétation scénique ne doit pas être si facile au regard des phrases en formes de jeux de mots prononcées par Hubert et le professeur. J’ai un peu moins apprécié le facétieux entraîneur de football, même si sa façon de relativiser les choses est très positive.

J’ai beaucoup aimé cette pièce dans laquelle Dominique Richard dissèque en un texte relativement court la difficulté pour un jeune de faire face en même temps à tous ces changements : physiques, psychologiques, l’ouverture vers le monde des adultes quand il voudrait rester encore un peu dans l’enfance (tandis que Rosemarie voulait grandir plus vite!). La perte des repères familiaux est également présente : le père jadis admiré est désormais abhorré, et l’incompréhension s’installe entre eux. Le personnage du père qui veille sur son enfant en essayant de maintenir le dialogue est très émouvant.

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Les saisons de Rosemarie

Dominique Richard

87 pages, et 5 pages postface de l’auteur

Éditions Théâtrales, 2004

Rosemarie Peccola apparaît dans Le journal de Grosse Patate » comme une petite fille timide et peu causante.

Le présent livre qui lui est consacré montre combien est importante la richesse intérieure de cette enfant qui a un peu grandi et se trouve à la croisée de l’enfance et de la pré-adolescence.

Les adultes (le professeur de danse qui lui fait recommencer infiniment les mêmes postures, le professeur de mathématiques qui ne s’exprime que dans un imparfait du subjonctif, très approximatif d’ailleurs! et même son propre papa) ne semblent pas comprendre Rosemarie, réfugiée dans son monde intérieur. Et elle aime Rémi, mais n’ose surtout pas s’en approcher.

Incapable de se faire des amis du fait de son manque d’assurance, elle fait appel à son imagination pour se créer un copain imaginaire dénommé « le garçon ».

Rosemarie entretient alors un dialogue avec lui comme s’il s’agissait d’un véritable ami, et ce dialogue intérieur avec un « être » bienveillant et, qui plus est, affublé d’un défaut de langage, va l’amener à s’affirmer au fil des saisons de l’année scolaire.

La petite fille rêveuse et solitaire, qui se sent en décalage avec les autres déjà passés de l’autre côté de l’enfance, et incapable de s’exprimer ouvertement au début de la pièce, va se muer en une toute jeune fille qui reprendra pied dans la réalité.

Dominique Richard explore à nouveau l’enfance, notamment ce passage qui peut s’avérer douloureux, qu’il peut être difficile de quitter pour un inconnu qui fait peur, les doutes sur soi et les autres et la découverte des premiers sentiments amoureux.

Une jolie découverte, qui m’a ramenée vers ma propre enfance.

Le journal de Grosse Patate

Dominique Richard

60 pages

Éditions Théâtrales/Jeunesse, 2002

Pièce de théâtre créée sur scène en 1998, inspirée des souvenirs de l’auteur, Le Journal de Grosse Patate raconte la vie de la petite fille surnommée ainsi à cause de son appétit démesuré, et la place de ses amis Rosemarie, Rémi et Hubert auprès d’elle.

Même ses rêves habités par L’Homme en noir laissent une large place à la nourriture. Mais c’est lui qui met en lumière et interprète la nuit les événements de la journée.

Ainsi voit-on tour à tour des sujets comme la différence (si la petite fille est moquée pour sa masse corporelle, elle-même se venge sur le petit Rémi à coup de claques), l’amitié (avec ses hauts et ses bas), l’amour (tout le monde est amoureux d’Hubert!), le deuil, …

Les drôles de réflexions de la petite fille sont très pertinentes sur le monde des adultes et leurs contradictions (Dire « Vous êtes des grands maintenant » à des enfants encore petits, une hérésie !).

Une petite fille attachante car elle est loin d’être parfaite, mais avec des peines de son âge et de tout âge finalement…

Un très joli petit livre lu très vite, et puisque c’est le premier d’une série (les autres pièces mettant en scène en personnage principal chacun des amis de Grosse Patate), je lirai la suite avec plaisir.

Les vies qu’on s’invente

Nando López

270 pages

Sol y Lune Éditions, 2018

Merci aux Éditions Sol y Lune pour m’avoir fait parvenir ce livre (associé aux goodies de la photo, un grand merci supplémentaire!), et à Babelio pour me l’avoir fait gagner lors de la masse critique de septembre 2018.

Avant d’aborder le fond du livre, une petite réflexion sur sa couverture : elle est magnifique! Sur fond noir, des soleils et lunes parsemés en surimpression qui mettent en exergue le couple au centre de l’histoire, et les couleurs projetées sur les visages plongés dans leur intense réflexion. Visage tourné vers le passé pour l’homme, vers le futur pour la femme.

Les codes typographiques (marges et hauts et pieds-de-pages très réduits, succession des chapitres sans transition), qui sont différents des éditions que je lis habituellement m’ont un peu perturbée au début, mais je m’y suis vite faite.

La narration alterne entre l’histoire de Leo, l’homme, et celle de Gaby, son épouse, la quarantaine tous les deux.

Madrid. Ce lundi soir, Leo, par temps pluvieux, dans « un virage sans visibilité », heurte avec sa voiture une silhouette qui a soudain surgi devant lui. Mais il continue sa route. Comme il considère que ce n’est pas de sa faute – après tout il n’y est pour rien si cette personne a traversé à ce moment et à cet endroit- et qu’il ne veut pas détruire l’équilibre de sa famille, il va rentrer chez lui et faire comme si. Comme si rien n’était arrivé. Un mensonge de plus dans sa vie, car il est coutumier du fait. Mais il doit cacher les preuves pour ne pas être démasqué et va s’intéresser de près à l’enquête pour voir s’il risque d’être inquiété.

De son côté, Gaby s’ennuie dans son couple, dans son travail, dans sa vie tout court. A quarante-huit ans, elle aime son mari Leo, son fils adolescent, Adrián, mais ne trouve plus sa place. Elle n’en peut plus d’être superwoman et de devoir répondre présente pour plaire à tout le monde. A la faveur d’une discussion avec son meilleur ami Jorge, elle fait le pari de se trouver un amant. Elle a une semaine. Pour trouver. Mais aussi pour apprendre à mentir.

La communication n’existe plus dans le couple formé par Gaby et Leo. Ils vivent ensemble, mais en parallèle. Au lieu de s’épancher, de trouver une oreille attentive et un soutien, chacun raconte donc à l’autre ses « petits arrangements avec la vérité », la dissimulation devenant obligatoire pour que leur couple survive. Mais jusqu’à quand?

Car Leo et Gaby sont dans deux optiques très différentes : Leo veut surtout avancer dans sa vie, personnelle et professionnelle, quitte à mentir pour arriver à ses fins. Il n’éprouve aucun regret et finit même par croire aux mensonges qu’il raconte. Sa principale crainte étant d’être démasqué, il met tout en œuvre pour que cela n’arrive pas. Tout.

Par contre, Gaby est profondément affectée par ses propres mensonges et les cachotteries qu’elle commet. Elle se remet constamment en question. Il s’agit plus pour elle d’une période de transition dans sa vie, rendue possible par ses mensonges, mais qui ne saurait durer.

Ce livre explore notre façon de considérer nos faits et gestes, les décisions que nous prenons, au travers de deux personnages qui vont être confrontés à leur propre conduite et la façon dont celle-ci va rejaillir sur leurs proches et d’autres personnes : s’affranchir de la vérité, finir par croire à des mensonges jusqu’à ce qu’ils deviennent une réalité absolue. Et peut-être même en toute impunité.

Drame, polar, roman à ressorts psychologiques, c’est un ouvrage inclassable qui m’a permis de découvrir un auteur dont j’aimerais lire les autres écrits.

Citations

« Maintenant je suis en train d’occulter quelque chose qui s’est vraiment passé, alors que l’autre fois je m’étais limité à mentir sur la façon dont cela s’était passé. Ce n’était qu’une question de nuances. Et de point de vue. »

« Que c’est triste d’avoir l’impression que nous ne sommes pas fâchés à cause de ce que nous nous disons, mais à cause de toutes ces choses que nous nous taisons. D’une certaine façon, nos disputes commencent à éclater par omission. »

« Ce qui m’inquiète est qu’autant de petits mensonges soient le résultat des efforts pour occulter quelque chose de beaucoup plus important. »