LE LISEUR

Bernhard Schlink

1996, Editions Gallimard, 242 pages

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Avertissement : J’avais déjà entendu parler de ce livre et du film The Reader qu’on en a tiré. Merci Eli Zabeth de me l’avoir conseillé…

Je n’en connaissais absolument pas le sujet, et il est difficile d’en parler sans en déflorer une partie essentielle… je prends donc le parti ici de n’évoquer que ce qui pourra encourager un éventuel lecteur à ouvrir le livre… pour ne plus le lâcher…

Quand Michaël rencontre Hanna, il a 15 ans, elle en a 35. Ils deviennent amants. Michaël est très attaché à la jeune femme malgré une certaine incompréhension face aux réactions qu’elle a quelquefois. Une caractéristique importante de leur relation est que Hannah souhaite que Michaël lui fasse la lecture à haute voix chaque jour : « Lecture, douche, faire l’amour et rester encore un moment étendus ensemble, tel était le rituel de nos rendez-vous. »

 Leur histoire dure finalement très peu de temps, moins d’une année, car Hannah le quitte brusquement et Michael en est effondré. Sans jamais l’oublier, il poursuit ses études de droit, et sept ans plus tard, à la faveur d’un séminaire, il assiste à un procès au cours duquel Hanna est dans le box des accusés.

Durant plusieurs semaines, Michael écoute et observe les femmes accusées dont Hanna, qui manifestement ne se défend pas bien. Michael ne comprend pas pourquoi Hanna ne réagit pas, et à force de réflexion, il finit par découvrir son secret. Il se demande alors s’il doit ou non intervenir, car cela pourrait changer le cours des choses pour Hanna : « J’avais été spectateur, et j’étais soudain devenu partie prenante, dans le jeu et la décision. Je n’avais ni cherché ni choisi ce nouveau rôle, mais je l’avais – que je le veuille ou non, que je fasse quelque chose ou que je reste passif. » Les autres accusées rejettent toute faute sur Hanna, qui finit par être condamnée à la détention à perpétuité.

Au regard des crimes commis, Michael ne souhaite pas avoir de contact avec Hanna pendant son séjour en prison et sa vie à lui se poursuit jusqu’au moment où il décide après l’avoir revue une fois, bien des années plus tard, d’écrire leur histoire, finalement l’histoire de toute une génération.

Le liseur est un livre à part.

 Dans trois parties bien distinctes, Bernard Shlink évoque tout d’abord une histoire d’amour singulière, très sensuelle, la naissance du désir et son obsession chez le jeune homme, puis le procès avec la découverte de la personnalité, des actes  d’Hanna et les interrogations de Michaël, son voyage sur les lieux du « crime d’Hanna », et enfin l’après procès avec les leçons que le jeune homme essaye de tirer de cette aventure. Les descriptions sont fabuleuses dans cet ouvrage, que ce soient les représentations presque oniriques  d’Hanna par Michaël alors jeune homme romantique, ou la noirceur du reste dès qu’on n’est plus dans le souvenir :

  • visuelles : «Je lui offris la chemise de nuit en soie. Elle était de couleur aubergine, avec des bretelles minces, dégageant les épaules et les bras, et elle descendait aux chevilles. Le tissu était brillant et chatoyant. Hanna fut contente, souriante, rayonnante. Elle se pencha pour voir, tourna, sur elle-même, dansa quelque pas, se regarda dans la glace, observa brièvement son reflet et se remit à danser. C’est aussi une image qui me resta d’Hanna. »
  • olfactives : « J’avais tant aimé son odeur, jadis. Une odeur toujours fraîche : de linge frais ou de sueur fraîche, une odeur de femme fraîchement lavée  ou fraîchement aimée (…) Souvent j’ai flairé sa peau comme un animal curieux, (…). »
  • sensitives : « je n’avais pas froid, et le hurlement du vent, le grincement d’un arbre devant ma fenêtre et le claquement épisodique d’un volet n’étaient pas violents au point de m’empêcher de dormir. Mais c’est intérieurement que j’étais de plus en plus agité, jusqu’à me mettre à trembler de tout mon corps. J’étais angoissé, mais non comme on s’attend à un évènement fâcheux, c’était un état physique. »

De nombreux thèmes sont abordés dans cet ouvrage : entre autres, le passage initiatique d’un tout jeune homme vers l’adulte qu’il deviendra, la recherche de ce qui fait l’autre, ce qu’on ne connaît pas de lui. Et comment cette nouvelle conscience de l’autre, de ses actes, peut également modifier la perception de la relation que peuvent avoir eu deux êtres. Michael restera marqué à jamais par cette femme qui lui a donné son corps mais ne s’est finalement pas confiée à lui. Il ne pourra pas s’empêcher (comment lui en vouloir d’ailleurs ?) de se repasser les moments intenses qu’ils ont vécus au filtre des actes ignobles commis par Hanna.

Et ainsi est particulièrement bien décrite dans ce livre, la difficulté de prendre la bonne décision quand on détient une information qui peut changer le cours d’une vie : à l’aune de quelles valeurs peut-on juger ce que fait autrui ? ne pas se défendre alors qu’on en a la possibilité est-il légitime ? n’est-ce pas une autre façon de reconnaître et de vouloir expier ses fautes ?

Et cette sublime phrase que je retiens : «Fuir n’est pas seulement partir, c’est aussi arriver quelque part. »

Un livre bouleversant.

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La bibliothèque des cœurs cabossés

KATARINA BIVALD

2015

Editions DENOËL

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Une petite bouffée d’air pur avec ce roman conseillé par ma marraine de blog (merci Eli Zabeth)…

Sara Linqvist, jeune suédoise libraire, a correspondu au sujet de leur passion commune, les livres, durant deux ans avec Amy Harris, retraitée de l’Iowa, lorsque cette dernière l’invite à passer l’été dans sa petite ville de Broken Wheel. Mais quand Sara arrive, Amy est décédée et elle se retrouve seule face à des habitants plus ou moins accueillants. Elle vit dans la maison d’Amy, est conduite par George, un homme malheureux parce que sa femme est parti avec leur fille, va faire ses courses chez John qui lui refuse tout paiement, et commence à connaître Andy, Caroline, Grace, Tom…

Sara, qui ne veut pas être redevable de l’hospitalité qu’on lui offre (« Depuis son arrivée à Broken Wheel, Sara avait le sentiment d’avoir une dette envers la ville. Ce n’était pas uniquement le loyer, même si ce détail continuait à la perturber. C’était aussi le café, la bière, les hamburgers et les tomates de John »), va utiliser les ouvrages accumulés par Amy afin d’ouvrir la nouvelle librairie du village, et faire renaître celui-ci. Avec ses méthodes bien à elle, Sara va organiser sa boutique avec les livres qu’elle chérit tant (une classification comportant les « livres à la fin malheureuse »). Les premiers clients paraissent, et se multiplient. Mais son visa de touriste arrive bientôt à expiration…

Sara n’a jamais vraiment vécu, sauf au travers des livres (« Passer son existence à lire n’était pas déplaisant, mais ces derniers temps, Sara avait commencé à se demander si c’était réellement… une vie »), et certains habitants ont également « claqué la porte » aux sentiments, notamment pour ne pas ternir leur image. C’est la ville entière qui va se mobiliser pour garder Sara.

L’ouvrage est délicieux, entre publication des lettres d’Amy et ressenti de Sara et des habitants.

On pourrait le lire en premier degré comme des histoires d’amour et de vie.

On s’aperçoit très vite que l’auteure est très documentée, de nombreuses références littéraires émaillant le propos.

Mais également, qu’il s’agit d’un ouvrage ouvrant la porte à la tolérance et à l’acceptation de soi et des sentiments éprouvés, les thèmes du racisme et de l’homosexualité étant très ouvertement abordés.

Ce livre se déguste, il ne peut pas laisser indifférent.