Igonshua ou Jamais sans eux

Eric-Delphin Kwégoué

56 pages

Lansman Editeur, 2019

Fin de lecture 13 août 2022.

Un peu de théâtre en ce mois d’août, avec ce livre chiné lors de la Fin de partie de la Compagnie Issue de Secours en résidence à La Ferme Godier de Villepinte jusqu’en juin 2022.

Igonshua a reçu le Prix 2017 inédits D’AFRIQUE ET OUTREMER.

Au sein d’une maisonnette, à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, un couple, Iko, pêcheur de sable et Stella, sa femme.

En cette soirée où tous deux sont couchés tôt à cause du couvre-feu, ils recueillent une jeune femme éplorée, Igonshua, avec sa petite fille de sept mois. Elle a assisté au rapt de son fils et de son mari, a elle-même été victime de violence. Les militaires rôdent autour dans le village.

En quelques dialogues entre les personnages et une cinquantaine de pages, tout est dit : les dissensions, voire la haine entre ethnies des deux côtés de la frontière, les exactions, les enjeux relationnels au sein des familles, la place de l’homme et de la femme au sein du couple, le poids des traditions, l’amour maternel, le désir d’enfants qui peut faire tout basculer, l’incompétence et l’injustice des gradés omnipotents… Quel tour de force !

Le texte est puissant, sans temps mort.

« J’entends comme une révolte… comme une nouvelle peste… Le peuple hurler de peur… Car les conflits divisent. J’entends le bruit sourd des stylos huppés signer les parchemins de la honte à la place de la majorité patriotique. »

Le drame se joue, implacable. Les monologues de Stella en mal d’enfants et ceux d’Ingonshua évoquant ses malheurs sont poignants. On scande les mots, même en lecture silencieuse, et on se représente aisément les scènes dont le décor minimaliste met en valeur le texte et les personnages.

Je regrette désormais de ne pas avoir eu l’occasion de voir jouer cette pièce… mais certainement pas d’avoir découvert le texte et son auteur !

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J’aimais mieux quand c’était toi

Véronique Olmi

CD audio lu par l’auteure

3 h 09 découpées en 15 plages, dont une interview de l’auteure de 26 minutes

Audiolib, 2015, Éditions Albin Michel, 2015

La quatrième de couverture est si explicite qu’il me semble plus simple d’en poster la photographie pour exposer le sujet du livre.

Je n’avais pas lu la quatrième de couverture car bien souvent sur les livres audio, elles sont plus explicites que sur les ouvrages papiers. Ça m’intéressait donc de découvrir un court livre écrit par l’auteure de Bakhita, lu et beaucoup aimé en 2018. Et de surcroît, qu’il soit lu par l’auteure elle-même, qu’elle puisse ainsi faire doublement passer ses intentions.

Mais j’ai eu quelques difficultés à rentrer dans l’histoire du fait de la voix de l’auteure. Bien qu’elle soit également écrivain de théâtre et comédienne, sa voix n’est, à mon sens, pas vraiment « radiophonique » et a gêné mon écoute. De plus, j’ai trouvé peu intéressant le début, sauf quelques réflexions de Nelly sur sa famille, ses enfants, son métier.

Le tournant du livre et d’une certaine façon une mise en abîme de son personnage principal intervient lorsqu’elle monte sur scène et se retrouve pétrifiée par ce spectateur inattendu.

Dès cet instant, le rythme est plus soutenu, une sorte de schizophrénie se met en place, Nelly la femme et Nelly l’actrice se dédoublent, semblent vivre des existences parallèles durant le premier acte de la pièce de théâtre. Il s’agit à mon avis du meilleur moment du roman : on vibre avec la comédienne, on voudrait la soutenir, l’aider à se lever, lui faire oublier la femme meurtrie pour ne plus se préoccuper que du jeu scénique.

Après cet acte, la narration perd à nouveau ce rythme, jusqu’au moment où Nelly décide de faire un choix quand à ce perturbateur, non seulement de sa vie de femme, mais aussi de sa carrière. Elle va le trouver pour lui signifier sa décision et on sent la tension lorsqu’elle se remémore leur passé commun, l’opportunité de l’avenir et les impossibilités qui s’offrent à eux.

À ce moment, la narration s’emballe, les mots sont des pulsations du cœur de la femme qui doute, et la femme prend le dessus sur la comédienne.

J’ai un avis très mitigé sur ce livre : des moments où je me suis franchement ennuyée, mon esprit vagabondant durant l’écoute. D’autres durant lesquels je me suis dit que j’attendais impatiemment de savoir pourquoi Nelly disait à son interlocuteur – réel ou imaginaire – de la gare de l’Est, qu’elle était « morte hier », que tout son univers s’était écroulé. D’autres encore où j’ai bien aimé en connaître plus sur le déroulement de la journée d’une comédienne, et sur ses ressentis : excitation, peur de perdre sa voix, son texte, nécessité de faire le vide pour ne se donner qu’à son personnage, obligation de faire face sur scène quoi qu’il arrive.

Et j’ai vraiment été happée par deux moments clés : comment Nelly doit affronter son spectateur inattendu, et la toute dernière scène.

Enfin, et c’est une première depuis que j’écoute des livres audio, un entretien avec l’auteure est placé en dernière plage (15) du CD. Durant vingt-cinq minutes, Véronique Olmi expose à la fois ses intentions d’écriture du présent ouvrage et son envie de porter elle-même la version audio, mais revient également sur d’autres livres et les sujets qui lui tiennent à cœur, sa manière de travailler. J’ai vraiment apprécié d’en apprendre ainsi plus sur l’auteure.

Les cahiers de Rémi

Dominique Richard

Illustrations de Vincent Debats

212 pages, et une posface de 6 pages

Éditions Théâtrales jeunesse, 2012

Quatrième tome des âges transitoires, Les cahiers de Rémi est aussi le plus long, car il couvre son existence entre onze et vingt ans.

On y croise des personnages secondaires hauts-en-couleurs, du caïd tendre au jeune homme triste en passant par la grand-mère, le cousin et le frère de Rémi.

Les autres tomes comportent également des dessins, mais celui-ci est le plus abouti car on a l’impression d’y découvrir vraiment la vie de Rémi au travers de ses cahiers d’écriture, de ses dessins, devoirs de vacances, listes d’envies, d’expériences et enfin de renoncements.

Ce sont sans doute les réflexions les plus philosophiques aussi (au regard de la tranche d’âge couverte par le livre), sur le sens de la vie, la recherche d’un métier, la mort, les secrets de famille, les fractures de la vie. Et également la découverte de l’homosexualité au travers de rendez-vous manqués ou aboutis.

Enfin, l’éphémère de l’amourette est bien exposé quand Rémi ne reconnaît plus celui qu’il avait tant aimé en secret.

A nouveau j’ai beaucoup aimé ce livre, et l’alternance de l’écrit et des dessins est agréable.

Hubert au miroir

Dominique Richard

90 pages, avec 4 pages de postface de l’auteur

Éditions Théâtrales jeunesse, 2008

Troisième tome de la série de Dominique Richard consacrée aux âges transitoires (après Grosse Patate et Les Saisons de Rosemarie), Hubert au miroir expose la vie de ce pré-adolescent qui aimait tant se regarder dans le miroir, adulé par les filles pour sa beauté, mais qui ne s’y reconnaît plus.

« Hubert – Je m’aime bien et je m’insupporte, je m’observe et je ne me reconnais plus, je me cherche et je ne rencontre que du vide. »

Dégingandé, à l’étroit dans un corps en mutation qu’il semble ne plus pouvoir contrôler, affecté par des boutons et des poils qu’il voudrait voir disparaître, Hubert ne se sent pas non plus à sa place dans sa famille et dans sa vie : sautes d’humeur, reproches à son père et à son frère, tristesse de la perte de sa maman trop tôt partie cohabitent. Ils sont décortiqués durant son sommeil grâce au personnage fictionnel du professeur qui vient le visiter et lui propose des énigmes linguistiques amusantes à résoudre.

On entrevoit également dans cet ouvrage ce qui sera dévoilé dans le dernier tome (Les cahiers de Rémi), la sexualité naissante, la difficulté à avouer ses sentiments.

L’écriture est habile et l’interprétation scénique ne doit pas être si facile au regard des phrases en formes de jeux de mots prononcées par Hubert et le professeur. J’ai un peu moins apprécié le facétieux entraîneur de football, même si sa façon de relativiser les choses est très positive.

J’ai beaucoup aimé cette pièce dans laquelle Dominique Richard dissèque en un texte relativement court la difficulté pour un jeune de faire face en même temps à tous ces changements : physiques, psychologiques, l’ouverture vers le monde des adultes quand il voudrait rester encore un peu dans l’enfance (tandis que Rosemarie voulait grandir plus vite!). La perte des repères familiaux est également présente : le père jadis admiré est désormais abhorré, et l’incompréhension s’installe entre eux. Le personnage du père qui veille sur son enfant en essayant de maintenir le dialogue est très émouvant.