La bombe humaine, c’est moi

Marion Du B’

203 pages

Chafouine Éditions, 2020

Fin de lecture 12 octobre 2022

Première découverte d’une auteure dont j’avais entendu parler pour son écriture acérée.

Et en effet, au travers de la vie de Noah, jeune femme un peu perdue dans sa vie, notamment sentimentale, Marion Du B’ explore les sentiments, les envies de rébellion qui peuvent émerger lorsqu’un individu estime qu’il perd le contrôle de son existence.

Il s’agit avant tout d’un roman, dans lequel Noah s’interroge sur les décisions qu’elle prend : quitter l’homme qu’elle a rejoint après une précédente rupture, quitter son emploi qui l’ennuie, sortir de ses addictions, changer de région ou de pays, régler ses problèmes d’adolescence et trouver, enfin !, l’homme qui fera son bonheur.

Sur un peu plus d’une année, on vit ses hauts et surtout ses bas, on accompagne dans sa quête une anti-héroïne à laquelle on s’attache facilement.

« Les rires qui parviennent encore à mes oreilles sont ceux des copains imaginaires issus de mes séries préférées. Quoique la « préférence » reste un sentiment que je ne suis plus sûre de connaître non plus… La peine par contre est bien présente. Son omniprésence ne laisse place à aucun espoir. Je coule, je coule. Je me noie dans cette vie que j’ai laissé se créer autour de moi, sans sourciller. »

Jusqu’au moment où elle décide de prendre son destin en main.

En filigrane, la narratrice remet en question les certitudes, invite à la réflexion sur le sens de la vie qu’on a construite, et propose de se recentrer sur les besoins qui sont propres à chaque individu, abstraction faite du regard d’autrui.

Un livre sympathique, qui se lit très vite, drôle (certaines situations sont tellement visuelles, voire… odorantes… que j’ai éclaté de rire !), mais très cru par moments.

Ce livre m’a été dédicacé par l’auteure et offert par Isabelle, encore merci !

Publicité

La dernière conquête du major Pettigrew

Do you want a cup of tea with Major Pettigrew and Mrs Ali ? © CF 5/09/22

Helen Simonson

494 pages

NiL édition, 2012

Fin de lecture 2 septembre 2022

Le major Pettigrew est un ancien militaire, à la retraite. Veuf, il vient de perdre son frère Bertie.

Ce n’est pas très joyeux dans la maison familiale de Edgecombe Saint Mary… les habitudes régissent la vie bien réglée du major, autour de ses lectures de Kipling, de chasse, de golf et bien évidemment du thé traditionnel. Il est en effet très attaché aux valeurs anglaises, et ne saurait choquer personne.

« Le smoking n’est pas un thème (…). C’est la tenue préférée des gens bien élevés. »

Mais le hasard est malicieux, et très pertinent !

Car c’est Madame Ali, l’épicière d’origine pakistanaise mais tout à fait anglaise, qui vient en aide au major en fort mauvaise posture. Tous deux se découvrent des points communs, dont la lecture.

Et tout à coup, la vie du vieux monsieur s’éclaire. Le courant passe entre les deux esseulés.

Mais les convenances pourraient bien les rattraper : un gentleman anglican ne saurait frayer avec une dame musulmane…

Dépité par sa belle-sœur et déçu par son propre fils, le major doit faire face à une querelle autour de vieux fusils, à un promoteur américain qui veut bouleverser la topographie du village, aux dames patronnesses qui veulent organiser un dîner-spectacle au très sélect club de golf local et à la famille de Mme Ali, pour le moins hostile à son égard.

Helen Simonson propose une histoire qui pourrait être adaptée en série, avec la touche « so british » adéquate. Car tout est représenté dans ce livre : la noblesse anglaise désargentée, l’appât du gain, l’enjeu de préserver les apparences, le racisme ordinaire, les mésalliances, les choix de vie compliqués, …

Si je pensais m’ennuyer en commençant ce livre qui prenait la poussière sur mes étagères, que nenni ! Je me suis beaucoup amusée des réflexions du major in petto bien souvent, mais également aux remarques bien senties, voire caustiques, qu’il envoie sans jamais se départir de son flegme :

« (…) de nos jours, les hommes attendent de leur femme qu’elle soit aussi époustouflante que leur maîtresse.

⁃ C’est atroce. Comment donc les distingueront-ils l’une de l’autre ? »

Et bien sûr, on assiste à l’évolution complexe de ses sentiments envers une très digne Mme Ali, en contrepoids des relations délétères entretenues par Roger.

« L’amour c’est cela, Roger. C’est quand une femme chasse toute pensée lucide de ton esprit, quand tu es incapable d’échafauder des stratagèmes de séduction et quand les manipulations habituelles t’échappent, quand tous tes plans soigneusement élaborés n’ont plus aucun sens et tout ce que tu peux faire, c’est rester muet en sa présence. Tu espères qu’elle ait pitié de toi et tu lâches quelques mots gentils dans le vide de ton esprit.»

Je me suis régalée de ce livre, une petite parenthèse au pays de Jane Austen, revisité « en mode » vingt et unième siècle.

Cabossé

Benoît Philippon

319 pages

Le Livre de Poche, 2022, Gallimard, 2016

Fin de lecture le 31 juillet 2022.

Ayant découvert Benoît Philippon grâce à l’excellent Mamie Luger en 2020, puis acheté Joueuse en 2021, j’ai réitéré cette année avec le premier livre de l’auteur, dont j’apprécie les personnages hauts-en-couleur.

Cabossé a reçu le Prix Transfuge du meilleur espoir policier en 2016 et concourt en 2022 pour le Prix des lecteurs du Livre de Poche.

Roy est le produit d’un mauvais karma : sa drôle de tête amochée d’abord, qui donne envie de fuir au quidam, sa famille, ensuite, pas vraiment aimante, et les événements et rencontres qui le font grandir… plutôt en mal. Du ring de boxe et matchs arrangés aux contrats avec des malfrats, Roy ne regarde pas trop qui est le donneur d’ordres… sauf lorsque son cerveau, même peu développé selon lui, le met en alerte et lui prouve l’inanité de sa vie.

Et Roy, au hasard d’un site de rencontres, tombe sur la frêle et lumineuse Guillemette. L’Amour avec un grand A, celui qui ensorcelle et empoisonne bien souvent, les entoure et les lie à tout jamais.

Roy a la carure d’un géant. Cabossé par la nature et par la vie. Mais son cœur est rempli d’une grâce et d’une délicatesse qui fait envie. Le pendant d’une énorme violence qu’il ne parvient pas toujours à canaliser. Car la Bête, lorsqu’elle se réveille, c’est pour protéger ceux qu’il aime, ceux qui l’aiment aussi. Et ses poings parlent bien plus que lui… l’ex de madame en fait les frais !

Nourri aux films américains, Roy embarque alors sa nouvelle petite amie dans une cavale à la Bonnie and Clyde à travers l’Auvergne particulièrement, où il a fait ses classes.

L’occasion pour les tourtereaux de s’ouvrir sur leurs déboires respectifs. Ceux de Roy forment un bunker que seule Guillemette semble capable de forcer. Et bien sûr, à l’image du couple maudit, ils sèment la terreur sur leur passage, malgré eux. Faut juste pas trop les chercher…

« L’agressivité, avec Roy, c’est comme la nitroglycérine, si tu la manies pas avec délicatesse, elle peut te péter à la gueule. »

Quel talent ! Je me délecte toujours autant de l’écriture enlevée de Benoît Philippon, aussi bien quand il décrit les situations que lorsqu’il fait parler ses personnages, souvent des paumés affectés par une vie compliquée. Un petit héritage d’Audiard dans la tournure des phrases dont l’humour décapant m’a encore bien fait glousser dans le train…

Et si certains passages sont parfois scabreux ou violents – Roy ne fait pas dans la dentelle -, on pardonne à ses personnages auxquels on s’attache facilement tant leur vie est par ailleurs très émouvante. C’est ce que relate le récit des lieux et rencontres qui ont façonné Roy, qui lui ont appris à respecter et protéger les êtres qu’il chérit, qui lui ont donné cette culture inattendue qui s’expose au détour d’une page, surplombant les immondices qui jalonnent sa route.

J’ai encore une fois beaucoup aimé, à la fois l’histoire et le style.

📚📚📚📚📚

[Spoiler

Petit plus surprenant et pétillant, dans ce premier livre de l’auteur, les deux fugitifs débarquent chez une certaine grand-mère prénommée Berthe, dotée d’un vieux Luger… qui leur fait la leçon :

« Quand t’as vécu la guerre, tu sais que t’a plus le droit de te laisser abattre. (…) Quand t’en sors, tu vis. Parce que tu peux. Pas parce que tu veux. »

Grand-mère qu’on retrouve bien évidemment dans le deuxième opus de Benoît Philippon !]

La délicatesse du homard

Laure Manel

346 pages

Le Livre de Poche, 2021, Éditions Michel Lafont, 2017

Fin de lecture 26 juillet 2022.

Voici un petit bijou qui se déguste. Commencé, impossible à lâcher. Je l’ai lu d’une traite, vive les vacances !

Ce sont deux âmes esseulées, par obligation, pour se protéger, que la vie met face à face.

Elsa s’est échouée sur la plage qui jouxte le centre équestre que tient François. Elle ne veut rien dire de son passé. Lui ne veut plus s’attacher.

Il l’accueille malgré les réticences de son entourage. Elle accepte de rester un temps.

« Il n’y a pas de place ici pour moi. Il faudrait que je trouve le courage de partir, de mettre les voiles. Je me dis « encore quelques jours ». Rien que quelques jours… Pour prendre une grande brassée de bonnes petites choses, pour avoir la force de poursuivre ma quête. »

Elle cuisine. Il lui apprend à monter.

Tous deux marqués par des drames vont ainsi peu à peu s’apprivoiser. Non sans mal. Car chacun à ses propres doutes, ses peurs qu’il doit combattre.

« S’il y a un bon côté dans le célibat, c’est de vivre comme on l’entend sans essuyer de remontrances, sans avoir de justifications à donner ou de concessions à faire. J’aime ma liberté. »

Comme un journal intime à deux voix, les événements sont relatés par chacun, par leur prisme, avec leur évolution respective et les émotions qu’ils ressentent. Elsa reste sur la réserve, toute en questionnement, tandis que François est plus léger dans son récit, plus direct. Puis l’un et l’autre se dévoilent et ce sont de profondes blessures intimes qui émergent.

La délicatesse, c’est celle de l’écriture de Laura Manel, qui distille les informations sur ses personnages page après page. Ce sont les magnifiques paysages bretons qu’Elsa prend en photo. C’est aussi et surtout celle de l’amour naissant qu’aucun d’eux n’ose nommer, qui amène François à respecter d’autant plus celle qui lui devient chère au fil des jours. C’est lui, bien sûr, un peu rustre, endurci, que la jeune femme attire malgré elle.

J’ai éprouvé de jolies émotions (euphémisme de bon aloi pour ne pas dire que les larmes ont coulé abondamment !) avec cet ouvrage qui conte avec simplicité les drames et orages de la vie et démontre la possibilité malgré tout de se construire un avenir… avec la bonne personne.