Cabossé

Benoît Philippon

319 pages

Le Livre de Poche, 2022, Gallimard, 2016

Fin de lecture le 31 juillet 2022.

Ayant découvert Benoît Philippon grâce à l’excellent Mamie Luger en 2020, puis acheté Joueuse en 2021, j’ai réitéré cette année avec le premier livre de l’auteur, dont j’apprécie les personnages hauts-en-couleur.

Cabossé a reçu le Prix Transfuge du meilleur espoir policier en 2016 et concourt en 2022 pour le Prix des lecteurs du Livre de Poche.

Roy est le produit d’un mauvais karma : sa drôle de tête amochée d’abord, qui donne envie de fuir au quidam, sa famille, ensuite, pas vraiment aimante, et les événements et rencontres qui le font grandir… plutôt en mal. Du ring de boxe et matchs arrangés aux contrats avec des malfrats, Roy ne regarde pas trop qui est le donneur d’ordres… sauf lorsque son cerveau, même peu développé selon lui, le met en alerte et lui prouve l’inanité de sa vie.

Et Roy, au hasard d’un site de rencontres, tombe sur la frêle et lumineuse Guillemette. L’Amour avec un grand A, celui qui ensorcelle et empoisonne bien souvent, les entoure et les lie à tout jamais.

Roy a la carure d’un géant. Cabossé par la nature et par la vie. Mais son cœur est rempli d’une grâce et d’une délicatesse qui fait envie. Le pendant d’une énorme violence qu’il ne parvient pas toujours à canaliser. Car la Bête, lorsqu’elle se réveille, c’est pour protéger ceux qu’il aime, ceux qui l’aiment aussi. Et ses poings parlent bien plus que lui… l’ex de madame en fait les frais !

Nourri aux films américains, Roy embarque alors sa nouvelle petite amie dans une cavale à la Bonnie and Clyde à travers l’Auvergne particulièrement, où il a fait ses classes.

L’occasion pour les tourtereaux de s’ouvrir sur leurs déboires respectifs. Ceux de Roy forment un bunker que seule Guillemette semble capable de forcer. Et bien sûr, à l’image du couple maudit, ils sèment la terreur sur leur passage, malgré eux. Faut juste pas trop les chercher…

« L’agressivité, avec Roy, c’est comme la nitroglycérine, si tu la manies pas avec délicatesse, elle peut te péter à la gueule. »

Quel talent ! Je me délecte toujours autant de l’écriture enlevée de Benoît Philippon, aussi bien quand il décrit les situations que lorsqu’il fait parler ses personnages, souvent des paumés affectés par une vie compliquée. Un petit héritage d’Audiard dans la tournure des phrases dont l’humour décapant m’a encore bien fait glousser dans le train…

Et si certains passages sont parfois scabreux ou violents – Roy ne fait pas dans la dentelle -, on pardonne à ses personnages auxquels on s’attache facilement tant leur vie est par ailleurs très émouvante. C’est ce que relate le récit des lieux et rencontres qui ont façonné Roy, qui lui ont appris à respecter et protéger les êtres qu’il chérit, qui lui ont donné cette culture inattendue qui s’expose au détour d’une page, surplombant les immondices qui jalonnent sa route.

J’ai encore une fois beaucoup aimé, à la fois l’histoire et le style.

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[Spoiler

Petit plus surprenant et pétillant, dans ce premier livre de l’auteur, les deux fugitifs débarquent chez une certaine grand-mère prénommée Berthe, dotée d’un vieux Luger… qui leur fait la leçon :

« Quand t’as vécu la guerre, tu sais que t’a plus le droit de te laisser abattre. (…) Quand t’en sors, tu vis. Parce que tu peux. Pas parce que tu veux. »

Grand-mère qu’on retrouve bien évidemment dans le deuxième opus de Benoît Philippon !]

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Joueuse

Benoît Philippon

347 pages

Le Livre de Poche, 2021, Les Arènes, 2020

Fin de lecture 28 août 2021.

J’avais beaucoup aimé Mamie Luger. Alors j’ai eu envie de renouveler l’expérience de l’écriture de Benoît Philippon en achetant ce troisième opus de l’auteur.

Le ton est tout de suite donné avec le récit haut-en-couleurs du début de vie de Zack : entraîné par son père, il devient un joueur de poker professionnel, « roi parmi les loosers ».

Zack a un sparring partner, Baloo le déprimé, son ami d’enfance. Les deux s’encanaillent pour arnaquer les petits joueurs. Pour sauver Baloo.

« A voir son ami ainsi flirter avec le vide, il se dit qu’un jour il ne parviendra pas à l’arrêter. Son cauchemar le plus régulier. »

Zack, dont les relations avec les femmes sont uniquement d’ordre sexuel – ne pas s’attacher, ne pas exprimer de sentiments – rencontre Maxine lors d’une soirée organisée par un mafieux. Car oui, le petit milieu que fréquente Zack n’a rien à voir avec les scènes internationales. Le débiteur indélicat et surtout impénitent se retrouve bien vite avec « deux trous de chevrotine dans le dos ».

Or Maxine est différente. A part les prostituées soumises aux mafieux, peu de femmes évoluent dans ces cercles en jouant au poker, et surtout en gagnant. Mais Maxine poursuit un but connu d’elle seule. Et pour cela, elle doit gagner beaucoup d’argent. Et donc gagner au poker. Dans tous les cercles miteux, de ville ou de campagne.

Zack croise son regard, est touché par elle, trop sans doute. Car lorsqu’elle le retrouve à une soirée suivante et lui propose un deal hors normes, Zack accepte, au grand dépit de Baloo.

« Baloo avait raison, elle lui met la tête à l’envers. Il a toujours rejeté toute forme d’émotion, il est hors de question de se laisser aller à la vulnérabilité. »

Tricheries en tous genres, bagarres, Benoît Philippon entraîne le lecteur dans un monde sanglant où les dettes se règlent à coups de poings… ou de revolver ! Le lecteur s’insère dans un film à la Audiard, avec cercle de jeux, voyous, aristocrate et jeune fille à défendre – quand bien même cette jeune femme dispose d’arguments frappants !

Chacun des personnages principaux est attachant dans son genre : à l’origine, tous sont des victimes, des écorchés vifs, qui se débattent avec leurs souvenirs pour survivre. Maxine, Zack, Baloo mais aussi le jeune Jean, surdoué recueilli par une Maxine au grand cœur, forment un quatuor qu’on souhaite voir évoluer vers le meilleur après avoir connu le pire.

L’écriture est enlevée, l’humour – noir – omniprésent dans les réflexions et les dialogues (délicat de lire ce livre dans un train, je me suis esclaffée à plusieurs reprises !), qui contrebalance les scènes violentes évoquées ou décrites, dont certaines relatives à Maxine sont terrifiantes.

J’ai beaucoup aimé ce roman, à la fois très divertissant et émouvant.

Mamie Luger

Mamie Luger et son chat noir…
Copyright CF 19 juin 2020

Benoît Philippon

380 pages

Les Arènes, 2018, Le Livre de Poche, 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois d’avril.

Sixième livre lu dans le cadre du jury.

Fin de lecture 4 avril 2020.

Une frêle dame de cent deux ans. Son crime a été de transpercer la fesse de son voisin d’un coup de pistolet.

Oui mais pas n’importe quel pistolet : un Luger. Un modèle allemand, arme de précision. De prime abord, pour l’inspecteur Ventura, l’affaire judiciaire sera vite bouclée ! Mais c’est sans compter la logorrhée de Dame Berthe, placée en garde à vue pour la vile agression, qui va dérouler sa vie en forme de confession.

Et son existence n’a pas été bien rose tout au long du vingtième siècle et en ce début de vingt et unième !

Durant ce face à face désopilant d’une journée entre le policier las et la vieille dame, se dessine le portrait d’une femme pleine de gouaille, truculente, féministe avant l’heure, qui a refusé de s’en laisser conter par les hommes qui l’ont croisée. Sous son apparence dureté, on devine la tendresse et le romantisme, les failles de l’enfant mal-aimée qui a voulu se débrouiller au mieux dans l’adversité.

Benoît Philippon écrit un polar très différent du genre habituel, car le lecteur connaît d’emblée la coupable sans pour autant en imaginer les crimes. L’écriture est très drôle, l’alternance du présent et du passé donnent du rythme à ce récit. Je ne me suis pas ennuyée une seconde dans cette litanie de meurtres qui font de Mamie Luger une tueuse en série à laquelle on s’attache malgré soi.

Les mots et les tournures à la Audiard m’ont ainsi charmée et fait passer un très bon moment de lecture… et une fois le livre refermé, Mamie Luger m’a encore accompagnée quelques temps.

Un coup de cœur !

Citations

« Je ne me saoules pas, je m’énivre pour libérer mon esprit et chercher l’inspiration dans l’évanescence.

Ouais, ben quand tu rentres avec ton haleine de poivrot, et que tu vomis dans l’escalier, l’évanescence, c’est moi qui me la coltine à la serpillière. »

« Dès qu’une femme cherche à faire valoir ses droits, vous la ramenez aux serviettes hygiéniques. C’est bas, vil et stérile. »