Alice Guy

Dessins : Catel Muller

Scenario : José-Louis Bocquet

400 Pages

Castermann, 2021

Fin de lecture le 19 décembre 2021.

Dans la série « Les Clandestines de l’histoire », et après les biographies d’Olympe de Gouges, Josephine Baker, ou encore Kiki de Montparnasse, Catel et Bocquet proposent de revenir sur l’histoire méconnue de la première femme réalisatrice de films, Alice Guy.

Cette biographie mise en images présente la jeune Alice très attachée à ses parents et ses frère et sœurs, dont elle est à plusieurs reprises séparée durant la petite enfance. Lorsqu’elle naît en Suisse en 1873, son père est en effet libraire en Amérique du sud, et les voyages en bateau entre l’Europe et le Chili sont très très longs.

La petite fille pourra y rejoindre sa famille trois ans plus tard, mais n’y restera que jusqu’en 1879, toute la famille devant rejoindre la France suite à la faillite du père. Désemparé, peinant à joindre les deux bouts et devant retirer ses enfants de leur coûteux pensionnat, puis très affecté par la mort de son fils unique, le père d’Alice décède en 1891 alors que la jeune fille n’a que 18 ans.

Ses sœurs aînées mariées, Alice reste seule avec sa mère Marie, et entreprend d’apprendre la sténographie. C’est par ce biais qu’elle entre comme assistante au Comptoir général de la photographie, dont le tout nouveau fondé de pouvoir est un certain… Léon Gaumont.

Alice a mis un pied dans l’univers de la photographie, de ses expériences concurrentielles et des énormes progrès que l’époque accueillera sur la mise en images fixes tout d’abord, légèrement animées ensuite : avec l’appui de Gaumont, la jeune femme parvient à réaliser de vraies scénettes de fiction, dont le fameux « Une fée dans les choux ».

Alice n’a de cesse de progresser, tourne des documentaires à l’étranger, un mini-film en Camargue.

Alice traverse l’Atmantique pour s’installer aux États-Unis avec son mari Herbert Blaché et poursuivre, pour Gaumont d’abord, à travers sa propre société de production ensuite, la réalisation de très courts-métrages. A la tête de son propre studio, en solo ou avec Herbert, la visionnaire produit des films d’une bobine, jusqu’à quatre bobines.

Malheureusement dépassée financièrement par les mauvais placements de son époux et ses frasques avec une jeune première, par le rouleau compresseur du protectionnisme américain qui s’invite dans les sociétés de production de cinéma, Alice décide de rentrer en Europe : après une centaine de films et de courts-métrages, et près de vingt ans de carrière, Alice doit tout arrêter à quarante-six ans. Elle vivote avec ses deux enfants, et devra batailler toute sa vie pour faire reconnaître son rôle de pionnière dans l’industrie cinématographique… fait avéré malheureusement post-mortem.

Découvrir la vie d’Alice, c’est donc s’immerger dans une révolution fantastique où l’o croise entre autres les frères Lumière (premier film de l’histoire avec « L’arroseur arrosé »), Gustave Eiffel, Buster Keaton, Charlie Chapplin, Pathé, Georges Méliès (inventeur du story-board), et tant d’autres grands noms indissociables de ce qu’on appelle dès 1895 le cinématographe. Au travers du travail de recherche de la jeune femme, pour attirer l’attention d’un public de plus en plus exigeant, le lecteur assiste aux batailles entre les différents protagonistes pour s’emparer d’un marché qui s’emballe dès le début du vingtième siècle.

Outre la mise en image soignée de Catel, le noir et blanc épuré rendant grâce à la jeune femme passionnée, le travail de recherche effectué par Jean-Louis Bocquet est considérable. À la fin du livre, on trouve une « Chronologie de la vie d’Alice Guy et des principaux événements liés à l’invention du cinéma ». Puis sur cinquante pages, sont proposées les notices biographiques des principaux personnages qui ont côtoyé Alice ou sont intervenus de près ou de loin dans le cours de sa vie.

Ce livre est passionnant ! Il rend justice à une réalisatrice qui n’a cessé de se battre pour faire reconnaître son travail précurseur. Jamais plus je ne regarderai une photographie ou quelques secondes d’un film sans avoir une pensée pour ces personnes dont la concurrence, certes, mais également l’émulation, ont amené une richesse, une découverte et une compréhension du monde, des mondes inconnus jusqu’alors, et la mise en exergue d’œuvres de fiction !

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GASTON LEROUX ou Le Vrai Rouletabille Biographie suivie de Six Histoires Epouvantables

Jean-Claude Lamy

259 pages

Éditions du Rocher, 2003

Fin de lecture 26 mai 2021.

J’ai découvert Gaston Leroux et Rouletabille, son héros reporter, à l’adolescence. Autant dire que cela remonte à loin! Mais je n’ai jamais oublié mon ressenti à la lecture de la série, même si je ne les ai ni relu ni vu aucun des nombreux films adaptant notamment Le mystère de la chambre jaune et Le parfum de la Dame en noir. Peut-être -sans doute – par peur d’être déçue par une autre représentation que celle que je m’en étais faite.

Cette biographie m’intéressait donc particulièrement et je suis ravie de l’avoir enfin sortie de mes étagères après un destockage de médiathèque et achat fin 2019 ! Elle est très courte, 87 pages seulement, car suivie par six nouvelles et une bibliographie fort utile.

Préfacé par Edgar Faure (1908-1988), jeune homme lors de sa rencontre inopinée avec Gaston Leroux (1868-1927), le livre évoque la jeunesse d’orphelin chargé de famille puis la carrière de celui qui, devenu avocat, a préféré la chronique judiciaire, le reportage aux quatre coins du monde et le feuilletonnage (avec le non moins fameux Chéri-Bibi, brigand qui s’excuse de devoir tuer, et dont je n’ai pas lu les aventures!), l’écriture de romans, pièces de théâtre et nouvelles, et l’adaptation au cinéma de certains d’entre eux.

L’auteur montre les similitudes entre l’enfance sans mère du jeune Gaston et celle de Rouletabille, orphelin qui la retrouve au cours d’une enquête. Les reportages, qui fondent la vie du personnage, sont aussi ceux de Gaston, envoyé spécial pour couvrir la révolution en Russie.

En décrivant ce que fut la vie de Gaston Leroux, c’est donc une autre époque qui s’anime, celle de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle : les reporters avides DU scoop, sortant précipitamment des salles d’audience pour téléphoner les nouvelles à leur rédaction, les romans feuilletons paraissant dans les quotidiens (ou les mensuels) et qui devaient tenir en haleine le lecteur, la facilité aussi de passer d’un journal à un autre lorsqu’un désaccord éditorial survenait.

Cartésien et imaginatif, lui-même déclencheur de scoop, attaché à sa vie familiale mais ne dédaignant pas les conquêtes, Gaston Leroux était un bon vivant, dépeint ainsi par ses proches, dont ses deux enfants, Gaston et Madeleine.

L’inspiration de Gaston Leroux lui venant la nuit, il laissait reposer les idées durant quelques temps, puis démarrait sa période d’écriture. La relation par Gaston Junior des conditions mises en place par son père dans ces moments est à mourir de rire, tel cet extrait :

« L’année, elle, était tout aussitôt découpée en trois : quatre mois de réflexion, quatre mois de rédaction, quatre mois de repos. Comme mon père était un sage, il entamait régulièrement le cycle par les quatre mois de repos. »

Le reporter Rouletabille, à l’image de son auteur, est un cartésien :

« Il ne faut jamais… Jamais… Vous entendez jamais… Se baser uniquement pour raisonner sur les apparences extérieures les plus évidentes, quand ces apparences vont à l’encontre de certaines vérités morales qui sont claires comme la lumière du jour. » (extrait de Rouletabille chez le tsar)

Cette idée, comme le constate Jean-Claude Lamy qu’ « Il n’y a pas d’indice pur, toute vérité, ou mieux toute bribe de vérité, ne nous parvient que réfractée à travers une subjectivité. », c’est ce qui a prévalu dans les différentes histoires racontées par Gaston Leroux. Pas simplement dans la série des Rouletabille, qui mettait bien évidemment en exergue le fameux « bon bout de la raison », mais également dans ses pièces de théâtre et autres romans où, à chaque fois, l’auteur impose au lecteur un jeu d’apparences trompeuses (Le fantôme de l’opéra, tant adapté depuis, ou Le fauteuil hanté).

J’en veux d’ailleurs pour preuve les Six histoires épouvantables qui suivent cette courte biographie, des nouvelles qui entraînent le lecteur dans l’univers d’un Gaston Leroux inspiré et malicieux, autour majoritairement d’un cercle de vieux marins attablés à la « terrasse d’un café de la Vieille Darse, à Toulon » et qui échangent leurs contes et légendes :

La hache d’or : où comment un joli cadeau offert à une très vieille dame entraîne des confidences épouvantables… (ma préférée !)

Le dîner des bustes : où le narrateur laisse les apparences prendre le dessus sur la réalité et se retrouve alors dans une situation épouvantable….

La femme au collier de velours : où une vendetta corse ne peut finir que de manière épouvantable…

Le Noël du petit Vincent-Vincent : où l’on découvre un cambriolage sans cambrioleur et un assassinat sans assassin, avec une chute épouvantable…

Not’ Olympe : où la beauté d’une jeune femme provoque une épouvantable décimation parmi ses prétendants…

L’auberge épouvantable : où un couple de jeunes mariés visite le lieu de plusieurs crimes célèbres et épouvantables…

J’ai beaucoup aimé me replonger dans l’écriture de Gaston Leroux, je regrette cependant la brièveté de la biographie et encore plus que l’illustre écrivain, disparu soudainement trop tôt, n’ait pu confier à la postérité ses mémoires, d’homme, de grand voyageur et de connaisseur de l’âme, qui m’auraient sans aucun doute enchantée.

Karen Blixen, Une odyssée africaine

Jean-Noël Liaut

251 pages

Payot, 2004

Fin de lecture 28 décembre 2020.

Si j’ai vu plusieurs fois le film Out of Africa, à ma grande honte, je n’ai lu aucun ouvrage de l’auteure, Karen Blixen, ni même La ferme africaine, autobiographie servant de base au film.

Mais j’avais quelques bribes de connaissances sur cette femme, et lorsque j’ai eu l’occasion de me procurer le présent ouvrage, biographie plus près du réel que celle évoquée par l’auteure elle-même, je n’ai pas hésité. Ce livre traînait depuis quelques mois sur mes étagères, il me faisait de l’œil, le voilà sorti !

Et je découvre, grâce aux recherches fouillées de Jean-Noël Liaut, une Suédoise de presque trente ans qui ne peut se résoudre à devenir une vieille fille à la campagne. Ambitieuse et soucieuse de se doter d’une place dans la société aristocratique qui l’a dédaignée jusqu’alors, elle accède à la demande d’un cousin éloigné, jumeau de son grand amour qui n’a pas voulu d’elle. Elle y gagne un titre, celui de baronne, il y a gagne une fortune grâce à la dot amenée par le mariage.

Mais tout oppose ces deux êtres : tandis que Karen est d’une intelligence fine, aime la littérature, Bror Dixen est un homme mal dégrossi qui continue à mener une vie de conquêtes et de malversations après leur mariage.

Les personnages campés, il reste à planter le décor : l’Afrique de 1914, à l’aube de la Première Guerre Mondiale, une plantation de café inadaptée au terrain et au climat…

Tout est presque dit. Mais non. Car le caractère bien trempé de Karen, sa solitude, vont l’amener à s’épancher dans les correspondances qu’elle entretiendra avec sa famille et ses amis. Bien plus que la biographie « enjolivée» pour ne pas perdre la face qu’elle rédige, ce sont ces correspondances et les entretiens de Jean-Noël Liaut avec des proches de l’écrivaine qui apporteront la réalité de sa vie.

Une vie riche d’écriture, mais pauvre d’amour, tiraillée constamment par les aspects contradictoires de sa forte personnalité.

Son « Rejet viscéral de la morale bourgeoise et de son hypocrisie criminelle » ne l’empêchera pas de tout tenter pour se faire épouser de son amant adoré Denys Finch Hatton afin d’obtenir une certaine « respectabilité ». Il n’accédera jamais à sa demande. C’est leur histoire qui est romancée dans Out of Africa.

La vie de Karen Blixen est également riche de ses rencontres : on croise ainsi dans sa ferme africaine des nobles, des politiques, le futur George 8, tant de personnages qui nourriront l’esprit fertile de l’écrivaine. Frivole autant que passionnée d’art et de littérature, elle ne dédaigne pas les beaux atours qu’elle se procure lors de ses visites à Londres, malgré sa situation financière de plus en plus précaire.

Portrait très documenté d’une femme complexe, flouée par les hommes, gravement malade, amoureuse de l’Afrique et de ses habitants, écrivaine prolixe, cette biographie m’a donné envie de lire ses ouvrages ou d’en regarder les adaptations : si j’ai déjà vu Out of Africa, je ne connais pas, par exemple, Le dîner de Babette (Le festin de Babette dans l’adaptation filmée).

« Karen abordait avec sa mère des questions aussi différentes que le contrôle des naissances, l’« amour libre » ou l’infidélité conjugale, et l’on imagine combien ces lettres malicieuses devaient perturber la très puritaine Ingeborg – on sent leur auteur prendre un plaisir non dissimulé à malmener tendrement leur destinataire. »

Les jardins d’hiver

Michel Moatti

287 pages

Éditions Hervé Chopin

Fin de lecture 9 novembre 2020

Je remercie les Éditions Hervé Chopin et Babelio pour m’avoir adressé ce livre dsns le cadre de la Masse Critique d’octobre 2020.

Mathieu Ermine est un jeune attaché culturel qui travaille à l’Institut français de Buenos Aires. L’Argentine, en cette fin des années 70, c’est celle des généraux, des guérillas, des enlèvements et des exécutions pour chaque opposant potentiel à la junte militaire.

Mathieu se contente de vivre tranquillement sans se préoccuper du climat politique lorsque celui-ci le rattrape.

Un jour de 1979, il prend à bord de son véhicule un homme ensanglanté, qui vient d’être libéré d’un des camps de rétention, dénommés « les jardins d’hiver ».

Cet homme s’avère être Jorge Neuman, un intellectuel argentin, professeur et écrivain célèbre.

Neuman explique à Mathieu son parcours, la disparition de sa fille, les tortures subies par sa femme. Alors que le jeune homme prend conscience des risques qu’il court à avoir recueilli le fugitif, et décide de rentrer vite en France, l’écrivain lui remet un manuscrit qui expose la vie politique au sein de l’Argentine.

Neuman lui confie vouloir consacrer le reste de sa vie à chercher Rafael Vidal, le responsable de la mort de sa fille et de sa femme, et disparaît.

Quarante ans après, le jeune homme apeuré s’est mué en homme aguerri, Mathieu est devenu le biographe de Neuman et recherche désormais des traces du disparu.

Le livre est donc le récit par Mathieu de sa rencontre avec Neuman, des recherches historiques que l’écrivain réalise afin de pouvoir écrire ce qu’a vraiment été la vie de l’Argentin. Il est émaillé des extraits du manuscrit confié par celui-ci.

Ce qui est très intéressant, c’est qu’on imagine ainsi le travail effectué par Michel Moatti lui-même pour compiler toute la documentation nécessaire à l’écriture de son roman. A l’instar d’une plongée en abîme. Car certes, c’est un roman, mais la base historique est bien réelle : les rafles, les camps d’extermination, les vols de la mort…

Confronté à des survivants de cette époque tragique, Mathieu se retrouve à éprouver une sorte de syndrome de l’imposteur, lui qui n’a fait que se servir des dires et écrits de Neuman pour rédiger ses ouvrages, sans réellement chercher la vérité sur l’homme dont il racontait la vie. Son cheminement personnel est visible tout au long de son récit, et interroge sur la part de subjectivité de tout biographe sur la relation des activités et ressentis de son sujet d’écriture.

Ce polar plonge le lecteur dans l’horreur des exactions commises en Argentine, mais l’amène aussi à prendre du recul vis à vis du récit de certains : les héros le sont-ils vraiment ? Quelle part sombre recèlent-ils en eux qui pourrait les amener à basculer du côté des lâches et des traîtres ? Comment l’humain devient-il un pantin ?

Pour tout dire, j’ai eu beaucoup de mal à le lire. Non parce qu’il n’est pas intéressant ou haletant, mais parce que justement la base historique et les exactions évoquées sont bien réelles. A chaque fois que je me plongeais dedans, je ne pouvais plus le lâcher, mais dès que je m’arrêtais, j’avais de grandes difficultés à y revenir, d’où le délai qu’il m’a fallu pour le lire, entrecoupé d’autres lectures.

Mais il doit être lu, car c’est le talent de Michel Moatti que de m’avoir fait ressentir ce malaise, et outre l’histoire imaginaire de Neuman, trop peu d’ouvrages de fiction portent sur cette époque trouble de l’Argentine (je vais peut-être enfin franchir le pas et lire le roman de Frédéric Couderc Aucune pierre ne brise la nuit que je n’ai jamais réussi à ouvrir après une rencontre avec l’auteur, tant le sujet me rebutait).

« J’avais vingt-trois ans et mourir me semblait appartenir au domaine des livres et des contes. J’habitais un monde où, comme l’avait écrit quelqu’un dont l’identité ne me revenait pas, « ce sont toujours les autres qui meurent». »

« Rafael Vidal avait été – et Jorge Neuman me l’avait dit puis transmis par écrit de toutes les manières possibles –l’homme qui avait anéanti sa vie. Il lui paraissait normal que le reste de cette vie soit désormais consacrée à l’anéantissement de Vidal. »

« Nous avions laissé derrière nous la barbarie et l’obscurantisme. Qui pouvait imaginer que notre pays allait libérer des monstres comparables aux nazis, qui allaient nous ramener à l’heure des rafles, des camps d’extermination, des sauvageries son nom et de l’assassinat de sang-froid de milliers d’enfants ? »

« Une conscience normale ne doit travailler qu’à cela, pensais-je à chaque fois que je tentais de sonder Isabel Pavón sur ses jours à Lugar del hecho. Effacer, encore et encore. Détruire ces images monstrueuses, ces visages de jeunes gens attachés et battus. Ces heures froides, dans l’antichambre de la souffrance et peut-être de la mort, qu’ils ne voyaient jamais venir, avec ces bandeaux de coton qu’ils avaient serrés sur leurs yeux. »

« Les dictatures ne fabriquent pas de héros. Elle ne fabriquent que des pantins minables aux vies et à l’avenir sinistres. Elles ne fabriquent que des traîtres et des morts dont on trahira le souvenir. »