Les Oiseaux chanteurs

Christy Lefteri

361 pages

Les Éditions du Seuil, 2022

Fin de lecture le 25 avril 2022

Je remercie Babelio et les Éditions du Seuil pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée. J’avais beaucoup aimé son précédent livre L’apiculteur d’Alep, et j’étais ravie de découvrir celui-ci.

Nicosie, Chypre. Une ville à la frontière entre le nord sous contrôle turc et le sud de l’île. Une mère, Petra, sa fille de douze ans, Aliki. Des tensions dans la relation filiale. Un homme, Yiannis, locataire de Petra.

Très proche d’eux, figure centrale de ce livre, bien qu’elle n’y apparaisse jamais : Nisha. Nourrice d’Aliki, femme de ménage de Petra, amante secrète de Yiannis, la jeune femme sri-lankaise a disparu soudainement, un dimanche soir. Rien ne le présageait. Rien ne peut l’expliquer.

« La fin peut être là, sous nos yeux, sans qu’on le soupçonne un instant. »

Comme elle a laissé derrière elle des objets qui lui sont chers, il semble impossible qu’elle se soit enfuie, malgré ce que pense le policier à qui Petra, puis Yiannis, s’adresse :

« Je ne peux pas m’amuser à chercher ces étrangères. J’ai du travail. Si elle ne revient pas, c’est sans doute qu’elle est passée au Nord. C’est ce qu’elle font. Elles vont du côté turc dans l’espoir de trouver un meilleur emploi. »

Yiannis pense avoir perdu la femme de sa vie. L’ancien banquier se débat parallèlement avec sa conscience qui lui reproche le braconnage qu’il exerce sur les oiseaux chanteurs pour le compte de la mafia locale.

Ces oiseaux – et tant d’autres espèces – ces milliers de petits êtres qui finissent leur vie pris dans des filets ou attrapés à la colle, forment le symbole d’une liberté tant souhaitée. Symbole repris au fil de l’ouvrage.

Petra et Yiannis mènent l’enquête chacun de son côté, avant de joindre leurs efforts.

Au fur et à mesure de leurs recherches, dans l’alternance de leur narration respective, ils dévoilent leurs ressentis, et se dessine le portrait de la jeune disparue, puis de ses pairs, les immigrées économiques asiatiques, issues du Népal, du Sri-Lanka ou de Corée. Ces ouvrières au service des familles aisées, des magasins ou des maisons de passe, qui font partie du paysage chypriote, prennent peu à peu un visage auquel il est possible de s’identifier, à l’instar de Petra.

« Je me rendais compte que je n’avais jamais pensé à elle en ces termes, que j’avais refusé de voir qu’elle était un être humain avec ses peines et ses espoirs. Je le savais, mais cela restait très théorique et très lointain. Je ne l’avais jamais ressenti dans mon cœur. »

En toile de fond, Chypre apparaît rongée par la crise économique et les pratiques mafieuses en tous genres, accueillant des migrants désireux de trouver une vie meilleure mais bloqués dans ce cul-de-sac.

A partir d’un fait réel, la plume incisive de Christy Lefteri met ainsi en scène une société disparate, qui invisibilise une partie des siens. Elle explore avec précision les événements et sonde les cœurs. Et, tandis que les personnages examinent leurs failles, les descriptions portent le lecteur : les épices et les fleurs embaument, des mets préparés s’échappe un fumet alléchant. Cependant, jamais très loin, c’est l’odeur de la mort – inéluctable, humains et animaux – qui le laisse nauséeux.

J’ai fini en larmes ce livre profondément émouvant.

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