Le souffle de l’Ogre

Brigitte Aubert

298 pages

Éditions Fayard Noir, 2010

Fin de lecture 22 juin 2021.

J’ai déjà lu quelques polars/thrillers de Brigitte Aubert que j’avais bien aimés.

J’ai tenté celui-ci, acheté en destockage de médiathèque, car je trouvais l’idée intéressante : faire se croiser au sein d’une même histoire différents personnages de contes de fée.

Mais cette revisite ne m’a pas du tout convenue, notamment en raison de la violence gratuite (meurtres, abus sexuels, exploitation de l’être humain, guerre sans merci) qu’on y trouve, même si elle pouvait être l’apanage des populations du Moyen Âge… ou ultérieures.

J’ai failli arrêter ma lecture à plusieurs reprises, écœurée, et choisi finalement de la précipiter en passant les détails sordides.

Cette histoire pleine de rebondissements commence lorsque, dans une période de disette, Sept le septième (Le Petit Poucet), âgé de sept ans, parvient à échapper à la hache de son père en emmenant avec lui Un, son frère handicapé de onze ans.

Sept et Un (qui ne font pas Huit 😉) se réfugient malencontreusement chez l’Ogre Ernst, abuseur et meurtrier. Ils n’arrivent à s’enfuir qu’en se faisant passer pour les filles de l’Ogre. Celui-ci se lance alors à leur poursuite, précédé par son souffle fétide…

Les deux garçons vont vivre un périple en traversant plusieurs « pays » (« Avant », « Après »), rythmé par des rencontres avec des avatars plus ou moins déjantés de Blanche-Neige, Peau d’Âne, La Belle au Bois Dormant, le Chat Botté, le Petit Chaperon Rouge, Barbe-Bleue, Hansel et Gretel, … Sept, rusé et courageux malgré son jeune âge, arrive à détourner le destin initial de plusieurs de ces personnages, soit en les sauvant, soit en les laissant s’enferrer dans leurs mauvais penchants.

Une entraide est ainsi établie entre plusieurs d’entre eux en vue de rejoindre la mer pour échapper à l’horrible guerre opposant le souverain local à son principal rival. Et bien évidemment, pour les enfants, l’enjeu est également de s’éloigner de ces contrées marquées par la violence des adultes.

Les contes écrits ou réécrits par Charles Perrault et les Frères Grimm sont déjà très violents dans leur version initiale. Destinés aux adultes, ils ont été expurgés pour pouvoir les lire aux enfants, et largement remaniés par les studios Disney pour convenir au plus grand nombre.

Dans cette très sombre revisite qui met en présence ces personnages de plusieurs contes, Brigitte Aubert exploite au maximum les penchants les plus vils de l’humanité. Je crois que c’est également le cas de la série québécoise Les contes interdits, dont certains lecteurs sont friands. Le présent ouvrage, écrit bien en amont, m’a suffi…

Et c’est bien dommage, car l’intention première est intéressante et le travail de refonte est considérable. Non contente de réinventer les héros les plus connus des contes, ou de les placer dans des situations inédites, l’auteure en modifie d’autres pour servir son histoire. Ainsi les deux jeunes sœurs du conte Les fées de Charles Perrault, frappées d’un sort les amenant à expectorer, pour l’une, des bijoux et des fleurs, pour l’autre, des crapauds et serpents, sont-elles rassemblées en une seule jeune fille qui rejette les pierres précieuses ou animaux au gré de ses émotions. Je n’ai pas su identifier tous les contes dont elle s’est inspirée, mais il me semble y avoir vu quelques clins d’œil, à l’âne chantant des Musiciens de Brême par exemple. Elle crée également des liens de parenté entre personnages de contes différents.

L’écriture est alerte, quelques situations et dialogues empreints d’un certain humour, le vocabulaire riche d’expressions moyenâgeuses ou inventées et les caractéristiques de quelques personnages judicieusement exploitées : l’arrogance du Chat Botté qui s’exprime en rimes, la rivalité des jeunes princesses discutant chiffons, les réflexions du jeune Sept m’ont fait sourire plus d’une fois.

« – De quoi as-tu peur ? demanda-t-il en se dressant du mieux qu’il le pouvait.

– Pas d’un petitou comme toi. Mais en ces temps troublés, il y a pléthore de mauvaises gens.

Sept ne savait pas ce que voulait dire « pléthore », mais songea que c’était sûrement encore trop. »

Peut-être l’auteure a-t-elle voulu faire ressortir le pire de certains pour mettre en exergue les qualités – toutes relatives – des autres. Il m’en restera globalement un sentiment de malaise.

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Storia

Collectif d’auteurs (cf détail plus bas)

410 pages

Hugo et Cie, octobre 2020

Fin de lecture 12 novembre 2020

Je remercie les Éditions Hugo Poche de m’avoir adressé ce livre.

Il s’agit, comme en 2018 avec Phobia , de la rédaction de nouvelles sur un thème imposé, par un collectif d’auteurs de thrillers. Ce livre est ainsi édité au profit de l’association ELA contre la leucodystrophie.

Dix-sept auteurs ont participé cette année à l’exercice, sur le thème des mythes, légendes et contes de fées, et j’ai beaucoup aimé cette revisite si particulière. Cela m’a permis également, comme à chaque recueil de nouvelles, de découvrir la plume d’écrivains que je n’avais pas encoe lus. Voici ci-dessous un bref résumé de chaque nouvelle, sans dévoiler bien évidemment leur fin… car à l’inverse des contes de fées… le dénouement n’est pas toujours très joyeux !

La fille aux allumettes Roy Braverman & Ian Manook Pp 13-27

Froideur de l’hiver pour ce conte moderne qui dénonce entre autres les jugements hâtifs des soi-disant bien pensants. On se prend très vite à aimer cette jeune fille qui cherche à rassurer ses proches.

J’ai beaucoup aimé le parti pris des auteurs, sans filtre.

Nico le petit saint Damien Eleonori pp 29-53

Des jeunes garçons se baladent à vélos dans la campagne et jouent à se faire peur près d’un camp de gitans. Des disparitions, des réapparitions. Une référence tout au long de la nouvelle à la légende initiale, un peu à la manière d’Agatha Christie.

La peau que j’habite (d’après Peau d’Âne) Johana Gustawsson Pp 55-73

Une jeune fille vient de perdre sa maman, et doit la remplacer au sein du foyer familial. Comment réintégrer son rôle initial de jeune fille ? Un coup de cœur pour la modernité de l’adaptation. (Et un clin d’œil à Thierry Jonquet).

Dur à cuire (d’après Le Petit Bonhomme de pain d’épices) Victor Guilbert Pp 75-104

Une policière malmenée par son corps se lance à la poursuite d’un tueur en série singulier. En trente pages, l’auteur réussit le pari de conquérir le lecteur par un attachement au personnage principal, une poursuite haletante… et une fin, ouah !!!!

L’une de mes nouvelles préférées.

Blanche et les sept assassins Jérôme Loubry Pp 105-123

Amsterdam, quartier rouge. Blanche exerce le plus vieux métier du monde, alors que sévit un tueur en série.

L’arbre de glace (d’après La Genèse) Mo Malø Pp 125-144

A travers l’expédition de trois scientifiques dans un coin inexploré du Groenland, Mo Malø décortique le sens de la vie et de la mort, en réinventant un jardin d’Eden glacé. Un conte philosophique.

Au bois hurlant (d’après La Belle au bois dormant) Armelle Carbonel Pp 145-168

Clara peine à maintenir en place les sept jeunes enfants dont elle a la responsabilité. En pleine forêt, sous des abris de fortune, elle leur conte La Belle au bois dormant sans se douter que leur vie va bientôt relever du mythe…

Le joyeux Noël d’Otto (d’après Le Bûcheron et ses trois fils) Thomas Enger (traduit du norvégien par Henning Enger) Pp 169-195

Le vieil Otto tient à sa forêt comme à la prunelle de ses yeux. Il en connaît chaque arbre, chaque souche. Sa forêt est donc l’objet de convoitise, surtout au moment des fêtes. Mais cette année, c’est décidé, il piègera le voisin qui lui vole habituellement le sapin qu’il s’est choisi pour Noël… Brrr quelle horreur !

Sangdrillon Nicolas Beuglet Pp 197-207

Quand un professeur entreprend de replacer, pour ses élèves, Cendrillon au cœur des mœurs en vigueur lors son invention… Une nouvelle complètement déjantée, qui m’a beaucoup fait rire !

Once upon a time… in L.A (d’après Pinocchio) Nicolas Duplessier Pp 209- 234

Quand un couple de policiers recherche un jeune voyou dans les bas-fonds de L.A., tout peut arriver.

Un de mes contes préférés, avec cette impression de visionner une série américaine.

Rouge (d’après Le Petit Chaperon Rouge) Ivan Zinberg Pp 235-266

L’auteur réussit le pari de revisiter le conte du Petit Chaperon Rouge tout en s’appuyant sur un fait divers qui a marqué le Paris des années 80, « Le tueur de vieilles dames ».

Les trois petits porcs Ludovic Miserole Pp 267-277

Les « Trois petits cochons » à l’heure d’internet, quand la louve vient se venger de ces bestioles beaucoup moins gentilles que dans le conte initial…

Un de mes préférés !

Paradise, lost and found (d’après Le Vilain Petit Canard) Christophe Dubourg Pp 279-303

Des années d’errance avant de se découvrir enfin, voici ce qu’essaye de raconter Paradise. Avec de nombreuses références cinématographiques qui émaillent son récit.

Le « Barbe-Bleu » Vincent Hauuy Pp 305-331

Brrrrr… Excellente adaptation en mode 2.0 du conte sanguinaire… A qui peut-on donc se fier ? J’aimerais bien lire la suite !

Boucles-d’Aur Lorraine Letournel Laloue Pp 333-361

Il vaut mieux éviter de tomber en panne de voiture en rase campagne… si on ne veut pas tomber nez à nez avec un… ou plusieurs ours !

La chute m’a fait beaucoup rire.

Le tout petit Pousset Jacques Expert Pp 363-383

Un petit enfant bien malin ! J’ai beaucoup aimé les descriptions du frère aîné et de sa femme, tous deux aussi répugnants que le petit est mignon.

La Belle ou la Bête ? Alice Morgane (lauréate du concours « Storia » sur Fyctia) Pp 385-400

Il ne faut jamais se fier aux apparences… un conte d’une extrême violence, psychologique et physique, qui dénote une grande maîtrise de l’écriture pour une jeune auteure que j’aurai plaisir à suivre.

P. S. Bilan global : je pensais alterner la lecture des nouvelles avec un autre livre, mais j’ai été emballée par ces revisites, et j’ai pris grand plaisir à les lire d’une traite. Beaucoup d’humour, des clins d’œil, une vraie réussite à partager avec les amateurs de thrillers et polars.